C O R R E S P O N D A N C E I N E D I T E
Octave Uzanne à Joseph Uzanne
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1910.1][papier libre] Ce lundi 14 mars 1910.
Mon chéri – soigne toi bien et lâche Marseille, car
avec un vilain temps c’est une cité lugubre, froide, inhospitalière, la vie y
étant toute extérieure – les rues y sont pleines de courants d’air – tu n’as
pas de chance, car avec beau temps la ville est chantante et agréable et la
promenade sur la corniche délicieuse.
Je crois qu’avec la comète et l’équinoxe de mars ces
mauvais temps vont t’accompagner à Paris – ici je ne suis pas malheureux – la
pluie n’est pas tombée après ton départ ; ce matin ciel gris, vent d’est
mais aucune averse.
Je t’embrasse bien et t’écrirai à Paris – J’envoie mes
amitiés bien cordiales et une bonne accolade à Mme Million qu’elle non plus n’a
pas de veine dans sa pointe méridionale.
Tendresses.
Octave
J’ai eu ton mot ce matin.
[ref.
1910.2][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] Ce (mardi)
15 mars 1910.
La journée hier fut aussi lamentable ici, la plus
tempétueuse que j’aie vue à Raphaël, un vent à renverser, une pluie cinglante,
impossibilité d’ouvrir son pépin – ce fut dur de faire sa promenade et ses
petites courses à la poste et ailleurs. Ce matin tout est calme, ciel encore
gris. Hier, après midi, je fus au casino voir l’exposition d’art pour y
accompagner Mme Rouveyre et y rencontrai Angelo – et ce fut tout. Je travaillai
paisiblement le reste du temps.
Je vais aller ce matin déjeuner à Valescure puis
rentrerai (pas un mot de ton séjour à Marseille) J’espère que la longue course
de Marseille – Paris ne te fatiguera pas – à ta place, je serais descendu à
Terminus-Lyon où on est fort bien chauffé, mais tu as hâte de rentrer et tu as
tort – chez soi, on a tous les embêtements et on regrette de ne s’être pas
donné le loisir de l’hôtel, du divin hôtel que j’apprécie de plus en plus, le
seul endroit où l’on sente la liberté, la sérénité, la possession pleine et
entière de son temps. Moi, qui y vis depuis plus de 3 mois, je suis loin d’en
être las, au contraire, je ne me porte jamais aussi bien chez moi, malgré les
soins, peut être à cause des soins – les 6 mois que j’y vis par an sont les
meilleurs de ma vie.
J’embrasse bien Mme Million et vous souhaite à tous
deux un retour confortable sans vous envier de revenir à ce sale et humide
Paris.
Affectueusement.
Octave
Je t’écrirai à Paris.
Rochard viendra jeudi à Valescure – et je le verrai
demain à Cannes en allant chez notre vieil ami.
[ref.
1910.3][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] Mercredi
soir (16 mars 1910).
Mon chéri,
Je reviens de Cannes, j’ai vu le rasoir Rochard, sa
Jeanne si embêtante et si nulle – visitée un instant dans son locatis.
J’ai déjeuné chez Monsieur Ducreux (qui m’avait
télégraphié) avec Mme Mangini très excellente et sympathique vieille dame et la
pauvre Lucie Gauthey qui fait de la tuberculose à marche ultra-rapide et qui le
sait et se sent perdue.
J’ai assisté, avec Rochard, à la conférence, Dits et
Chansons de Georgette Leblanc au casino, où je vis Marny – rien que cette heure
de rampe théâtrale m’avait perdu la vue. Oh ! le théâtre non, ça me
tuerait les yeux. Il faut que j’y renonce et que je soigne ma vision si si
fragile aujourd’hui.
Il fait un temps idéal, adorable et une atmosphère si
nette et si pure.
J’ai reçu un mot du Figaro illustré, maintenant la
somme de 800 f et annonçant envois spécimens – je verrai la valeur de la ligne
et répondrai sans délai.
J’irai sans doute demain P.P.C à Anthéor.
Mes affectueuses tendresses, ce mot en hâte – je
verrai peut être les Dommartin ce soir ici en gare au passage.
Octave
[ref.
1910.4][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] Vendredi
(18 mars 1910).
Mon chéri, j’ai eu aujourd’hui mon ami Dommartin et sa
compagne Céleste, cousine de Roddaz à déjeuner – j’ai conduit en landeau – pour
nous protéger d’un affreux mistral qui balaie le ciel bleu avec rage, mes deux
compagnes dans l’Estérel, la tournée de La Louve – au passage je leur ai fait faire
deux beaux bouquets de mimosa par Ramello à qui j’ai donné la pièce et qui
faisait des expéditions à Nice pour la Générale Dodd.
Ma santé bonne – Demain j’irai à Anthéor – je verrai
Maizeroy à Agay et le présenterai aux Bertnay après déjeuner, car je déjeunerai
villa Paulotte.
Je quitterai sans doute St Raphaël pour l’Italie du 3
au 4 avril.
Je préparerai mes caisses et paquets ces jours-ci –
j’espère que les postiers ne vont pas se remettre en grève – que sait-on ?
Je le redoute, après leur circulaire.
Je n’ai rien reçu du Figaro illustré et serai fort
surpris si je reçois la lettre formulant nettement les conditions. Il y a tant
de gens qui intriguent pour ces numéros – je n’ai aucune confiance, parce que
je connais la vie et ce sale monde – tu verras que je n’ai pas tort – pour
Simond tu as déjà vu que j’avais du nez – ici il en sera de même, je le
parierais. Ils attendront plutôt mon retour pour ne pas écrire – mais sans
lettre, je ne ferai rien.
Affectueusement, mon chéri.
Octave
[ref.
1910.5][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] Dimanche de
Pâques – St Raphaël 27 mars 1910.
Mon bon chéri,
J’ai eu ta lettre de jeudi soir, hier soir samedi en
revenant de St Jean-Cap Ferrat, où j’étais arrivé vendredi vers 3 h et où
j’avais couché à l’hôtel Montfleury (où étaient de nombreux amis belges qui
revenaient à l’instant de Rome).
J’ai passé là deux bonnes journées, joyeuses et très
allantes en une compagnie gaie et familière, Dom, Souguenet, Montjoyeux, un
procureur général du roi Léopold, des femmes aimables, etc. Ce Cap Ferrat est
vraiment joli et séduisant et j’y reviendrai volontiers. La promenade y est
exquise. J’ai lâché Monaco et Nice et suis rentré avec la foule du samedi
de Pâques coucher à Raphaël.
Je pense voir ici Maëterlinck lundi, Rochard (s’il va
mieux) mardi, mercredi j’irai déjeuner avec Ducreux et Camille Ducreux et sa
femme et fort probablement vers vendredi j’irai vers Bormes et le Lavandou afin
de changer d’horizon deux journées successives à travers les Maures.
Ma santé est bonne, je sens que l’air, le plein air et
la distraction me font grand bien – aussi suis-je bien décidé à ne remonter
vers le nord que lorsque le beau temps y sera à peu près rétabli. Actuellement,
il y fait froid, m’écrit-on, et bien qu’à St Cloud l’air soit pur, je ne me
hâterai pas d’y revenir si le printemps n’est pas en vrai retour d’exil.
Ce pauvre Mariani aura vite fait de reprendre à Paris
l’amélioration acquise ici – c’est l’avis unanime de ceux qui l’ont vu si
touché. Il a le cerveau attendri et absolument coiffé par cette affreuse mégère
de la rue Castiglione – il ne parlait que d’elle à tout le monde ici au moment
de son départ et de ses « opinions sur le Père Lumière ». Je crois
que sa mentalité va baisser et se puériliser peu à peu. – l’essentiel, que je
te souhaite, est de te voir sortir le plus tôt possible des dures servitudes
qui sont si onéreuses à nos âges – j’espère qu’au moment opportun tu sauras
assurer ton indépendance, en refusant d’accorder au fils, le temps et le labeur
absolu donnés au père – tu es d’âge à « aller relayer » et si tu ne
détèles pas tout à fait à ne fournir qu’un travail bien rétribué et qui
n’entrave plus ta liberté d’allure, c'est-à-dire, n’exige pas ta présence à
heures fixes ni même à jours réguliers.
Pour la Dépêche je pense qu’en principe j’aurai 20 à
25% sur mon versement, mais ces terribles méridionaux sont peu pressés et me
font enrager – j’ai eu une correspondance avec Huc si difficile à mettre en
volonté d’écrire – il a fini par m’envoyer le reçu en règle que j’ai envoyé à
Carton, mais c’est tout. Huc doit être revenu à Toulouse d’où il doit m’écrire.
Il n’a rien pu décider encore pour ma collabo nouvelle. Je n’y tiens pas
d’ailleurs exclusivement – 3 nouveaux articles de 75 à 90 lignes chacun par semaine,
ce serait assujettissant et « vidant » même au prix de 6 à 600 frs de
plus par mois – s’il refusait ou n’acceptait pas mes conditions, je n’en serais
pas fâché – j’ai de quoi vivre avec mes travaux en cours, le surplus serait
pour mettre de côté au prix de beaucoup de fatigue – cela en vaut-il la
peine ? alors que j’ai tant de projets littéraires à réaliser et toute mon
indépendance à sauvegarder. – « à minimum de besoins, minimum de
servitudes » c’est ma devise – je ne veux pas la fausser ou la laisser
entamer. Je suis trop heureux de la vie exceptionnelle que j’ai su me créer et
j’éviterai tous les pièges d’argent qui me seraient tendus.
As-tu touché au Figaro comme il était dit que tu le
ferais cette semaine ?
Soigne toi bien et tâche d’éviter les grippes. Tu as
vu ce « de Vogue » si tôt enlevé. Il est vrai qu’il paraissait bien
faisandé de mine et qu’il devait faire de l’auto-intoxication. En tout cas, se
bien observer est sage – mars et avril sont de sales mois de grippe à Paris –
Embrasse bien pour moi Mme M. et Lisette.
Mes tendresses cordiales.
Octave
[ref.
1910.6][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] St Raphaël
– 29 mars 1910.
Hier, mon chéri, lundi de Pâques, j’ai eu la visite de
Sallès resté déjeuner avec moi – puis j’ai travaillé car il ne fallait guère
songer à sortir tant St Raphaël et ses routes étaient déshonorées par l’afflux
des pires bourgeois – un vrai « point du jour », une infamie. A
l’hôtel j’ai pris parti de déjeuner et de diner avant l’heure pour me faire
servir rapidement, car j’entrais dans des fureurs bleues lorsque, la salle à
manger envahie par des hordes d’automobilistes, je me voyais contraint
d’attendre 15 à 20 minutes le service des plats.
Et quels gens imbéciles, à réflexions idiotes,
incapables à rien comprendre et de rien voir ! quel monde ! Tous ces
gens ne seront ravis que lorsqu’ils reprendront le train du retour pour aller
bluffer dans leurs milieux. Ah ! non nos compatriotes ne l’ont pas l’éducation
du voyage.
Enfin toute cette semaine cet affreux monde régnera
encore sur les paysages – l’an prochain je tâcherai si je suis ici, de fuir
cette période pascale et j’irai en Corse ou ailleurs pour éviter cette poussée
chaque année plus dégoûtante.
Je prépare ma petite vitesse et n’aurai bientôt plus
avec moi qu’un grand sac de voyage me permettant de me mobiliser facilement –
si je n’avais mon numéro du Figaro sur Bruxelles, que je vais commencer, je me
serais déjà mis en route pour d’autres parties de l’Estérel ou des Maures, mais
je tiens à tout faire à son heure et même à ébaucher ma nouvelle collabo à la
Dépêche si elle se décidait, car ce serait prequ’immédiat, je crois – mais, je
le répète, j’ai du travail à ma suffisance et 4 articles par semaine, ça serait
un peu fort de café, comme aurait dit Sarcey.
J’attendais Rochard ce matin – il devait m’aviser par
télégramme ou une lettre – rien !
Peut être est-il plus malade – je vais lui lancer un
bleu – à moins qu’il ne vienne.
Affectueusement – le temps est admirable.
Amitiés à Mme Million et accolade à Lisette.
Octave
J’espère mot de toi ce mardi à 3 h.
[ref.
1910.7][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] St Raphaël
ce 31 mars 1910 – jeudi.
Temps frigide, neigeux, ciel gris ce matin – je suis
rentré hier de Cannes à 3 h 49 par le premier rapide sans avoir le temps
d’aller voir Rochard dans ses hauteurs vraiment trop fatigantes pour une course
rapide – je lui écrivis – aujourd’hui je me ménage et j’ai raison. Je le verrai
plus tard, j’ai le temps de me faire raser.
Ta lettre de mardi soir que je reçois ce matin jeudi
me dit la désagréable surprise que te réservait la visite au Dr Borsch. – cela
est évidemment poignant comme alerte, mais le Dr t’affirme te guérir et tu dois
tout faire pour arriver à cette guérison – tu as surmené ta vue, toujours te
fatigant le soir (sous la lampe à pétrole naguère, avec l’électricité
aujourd’hui) ne prenant jamais les longs repos nécessaires dans la nuit
réparatrice et les plein airs bienfaisants – tu n’as jamais voulu compter,
prendre pour toi le temps de t’appartenir, tu paies aujourd’hui ces excès de
vie de bureau dont personne ne te saura gré – personne, tu entends bien. Je
t’ai toujours dit que, dans ton cas, je ferais l’employé que je ne donnerais à
mes affaires consciencieusement qu’un temps limité et qu’aussitôt mes heures de
travail accompli, j’en remettrais au lendemain, la reprise. Tu n’avais aucun
intérêt à agir autrement. Aucun homme de ce temps (les jeunes moins que les
autres) n’aurait trimmé au-delà de ce qu’il devait strictement faire et si tu
n’étais pas arrivé à satisfaire ton homme, ton négrier, tu n’avais qu’à lui
dire qu’il était impossible de faire plus puisque l’on t’avait chargé du
travail de plusieurs (de Beaumont, etc) – tu devais, tu dois encore te réserver
la publicité productive, la direction et l’impression des albums, mais en
réclamant un secrétaire bien payé, ayant des connaissances de prote – à la
société des protes (voir annonces du Temps) tu trouverais l’homme providentiel,
correcteur, chercheur, coureur, comptable – crois moi c’est là où tu trouveras
(la société des protes fournit des gens recommandables). En tout cas, tu dois
profiter du diagnostic du Dr Borsch pour te décharger et changer de vie en
t’accordant plus de repos et d’air au dehors.
Je ne te conseille pas de voir Abbadie qui est une
« vieille moule » - Valud ? Pourquoi si tu as donné ta confiance
à Borsch – il ne faut jamais courir plusieurs oculistes à la fois – enfin tu
verras. Si tu allais voir Dufour à Lausanne cet été, bien, mais d’ici là, tu
peux te soigner sans retard et surtout te ménager. Tu feras bien aussi, pendant
que tu y es, de consulter pour tes calculs vésicaux – il est coupable
d’attendre, tu en fais l’expérience. Consulte un spécialiste au plus tôt.
Avec ce temps froid et gris, je n’irai sans doute pas
au Lavandou demain – peut-être irai-je samedi à Marseille pour la journée – je
ne crois pas que Mme Torcheboeuf – (ou plutôt Mme de Roddaz car Torcheboeuf est
le nom abhorré dans la maison, ça sent la bouse de vache) soit la femme qu’il
faut pour le corset en question – c’est aujourd’hui une grande usinière
employant des centaines d’ouvrières et travaillant en grand pour le bon marché
etc.
Je te donne un mot en réclamant un conseil car je
crois que c’est tout ce qu’elle peut faire en indiquant où s’adresser.
Les Bertnay m’invitent pour mardi avec les Bouloumnié
(dont la Mme Marthe de Mandelieu qui est parait-il spirituelle et moins tourte
et sombrement bourgeoise que la Valescurienne). Il y aura les 2 frères d’Antibes
(les David), les d’Arlon, le peintre Rouel, etc. J’irai sans doute.
J’ai vu Maëterlinck à la gare de Cannes hier, où lui
avais donné rendez-vous. Il m’a refusé de collaborer à la Dépêche. Il ne veut
travailler qu’à des revues très payées et réserver son indépendance – il a
raison – il ne faut jamais se surmener et se réserver toujours autant de
loisirs que possible, c’est une règle ce doit être un devoir, car ceux pour qui
on sacrifie sa santé s’en foutent sous prétexte qu’ils vous paient.
Ce n’était pas le moment de lui parler de Mariani – je
le reverrai avec Georgette et j’arrangerai ça avec celle-ci très ambitieuse et
très m’as-tu vu – Elle le décidera.
Cordialement – Embrasse bien Mme M. à qui j’ai envoyé
une toute petite boîte de fleurs hier, pour souvenrir seulement, car c’est
l’infâme cohue à Cannes.
Octave
[ref.
1910.8][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] St Raphaël
1er avril 1910.
Ça va bien aujourd’hui, mon chéri, avec un temps
absolument grincheux et hostile depuis hier matin. Ciel gris, vent, pluie
intermittente et froid très désagréable – j’ai lâché la promenade au Lavandou
et même celle à Marseille et j’attends sans bouger.
Rochard va mieux, je crois – il a été atteint au foie
et se soigne, dieu sait comment avec le petit docteur toulousain du Cannet. Sa
cousine est près de lui, (celle du Havre) – je crois qu’il viendra ici la
semaine prochaine. Je profiterai peut être du séjour de la cousine aux Pins
pour n’y pas aller cette année.
J’espère que tu es remis de ton alerte pour ta vue et
que tu te soignes avec empressement. N’oublie pas de consulter pour ta vessie –
tu as le tort de toujours remettre au lendemain – c’est dans ta peau tu n’y
peux rien, mais pour ta santé, tu dois pourtant faire un effort. Tâche aussi de
terminer la réparation de ta dentition entreprise il y a près d’un an et qui
dépare ton gracieux sourire. Il est vraiment temps que tu sois rapiécé de ce
côté-là.
J’ai vu ici (depuis 6 jours), un vieil ami de Rochard
nommé Ravant, avec sa petite amie, très gentille. C’est un vieux boulevardier
aimable, du vieux temps, riche probablement, type du cabot dieudonné, un peu
fort, 62 à 63 ans – il connait et tutoie Mariani, Paoli, etc. – je suis allé
déjeuner et diner hier avec lui – il est parti ce matin rentrant à petites
journées avec la belle petite – son père était de Villeneuve-sur-Yonne – c’est
un excellent homme.
Je n’ai encore aucune réponse de la Dépêche pour ma
nouvelle collabo, ça m’énerve, car j’aime être fixé dans la vie – je n’ai reçu
qu’une circulaire pour les dates auxquelles envoyer mes 4 articles du mois –
(jusqu’ici c’était 5). Tu me diras si tu as vu Calmette – quant à l’Echo, c’est
fini – je n’y remettrai les pattes, j’ai envoyé un article qu’ils regrettaient
de me retourner ayant l’intention de l’insérer, rien n’a paru, pas un mot –
j’ai mis ma croix sur la maison.
D’ailleurs le journalisme est un métier vidant, peu
avantageux matériellement et qui soustrait à des œuvres plus solides – je m’en
détournerai plutôt par la suite et referais ma vie par le livre. Mes moyens s’y
prêtent et rien ne m’oblige à placer des articles. Affreux métier à mon âge et
indigne de mon passé.
Je t’embrasse cordialement, j’espère que Mme M. est
mieux et que Lisette est bien – je sais qu’il fait très froid à Paris et
partout.
Il y a encore trop foule ici, d’ici 8 jours tout cela
sera fini – heureusement.
Encore mes tendresses.
Octave
[ref.
1910.9][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] (St
Raphaël) Ce samedi soir – 2 avril 1910.
Le temps a été beau aujourd’hui mais encore froid et
venteux, si venteux qu’il était impossible de faire une promenade hygiénique.
Je fus voir Mme Rouveyre (Edouard), seule ici avec ses petites filles, la jeune
étant partie pour rejoindre son mari, puis le brave Dr Courchet qui doit se
marier en juillet.
J’ai vu, à causer sans lui, que l’avis du Dr Vadon
était qu’Angelo est parti trop vite et que pour se guérir et remettre, il lui
fallait rester en plein air. C’est bien le mien aussi.
A y songer, je ne puis croire que tu aies ce qu’on
appelle vraiment un décollement de la rétine, même à ses débuts – le traitement
classique dans ce cas déterminé c’est l’immobilité absolue au lit, car il y a
de l’eau dans l’œil. Or, ton oculiste ne t’ordonne ni le repos étendu, ni la
cessation absolue du travail – c’est étrange.
J’espère que cet homme le Dr Borsch est un bon
oculiste, mais est-ce un maître ? Où exerce-t-il ? N’est-ce pas un
Rasta ? Je te dis tout cela parce que je m’afflige de te voir ainsi traité
par un homme qui peut avoir des mérites, mais qui n’est pas un maître français,
connu, officiant en clinique officielle.
Je suis aussi peiné de te voir souffrant avec tes
douleurs de tête, et tous les symptômes que tu attribues à une indigestion – Tu
as beau dire ce que tu me dis pour l’avenir et pour tes projets de grand air,
tu n’auras encore que des vacances rétrécies par tes remises à partir comme les
autres années et très insuffisantes et tu continueras à vivre dans ton logis
surchargé de bibelots inutiles, malsain en somme, d’une aération secondaire et
où les fatigues de l’escalier, sont terribles, accablantes. En attendant que tu
déménages car il te faudra bien que tu déménages un jour, lorsque tu ne pourras
plus gravir ton dur calvaire de 4 étages, j’aurais aimé, j’aimerais que tu
suives enfin l’excellent conseil que je te donne depuis 5 à 6 ans en vain. Tu
pourrais louer en meublé aux environs de Paris, en bon air, un logis meublé où
tu pourrais aller vivre avec Mme M. de mai à octobre – ça ne t’empêcherais pas
d’aller en vacances et de voyager et ça te ferait un bien énorme – tu viendrais
à Paris juste pour tes affaires et tu te contreficherait de ce que tu ne
pourrais arriver à faire – avec une bonne organisation ça serait si facile. Je
t’affirme : je crains hélas ! de parler dans le vide, tu diras que tu
ne peux pas, alors qu’on peut toujours ce que l’on veut – Il te faut du repos,
de l’air, de l’exercice, un changement de milieu quotidien afin que, revenant
le soir à la campagne tu ne trouves plus affaires, sonneries, lettres urgentes,
téléphone, soirées et nuits fatigantes.
Je voudrais que tu prennes en bonne part ce que je te
dis et que tu n’aies pas à reconnaitre trop tard combien j’ai raison de te
conseiller ainsi. Quand je me suis senti atteint, tu as du voir, même alors que
ça t’ennuyait de me voir quitter Paris – avec quelle énergique volonté et
promptitude j’ai changé délibérément ma vie de la place de l’Alma. Je n’ai rien
écouté, je n’ai pris décision que de moi-même, je n’ai rien attendu, rien remis
au lendemain et je suis certain qu’en agissant ainsi j’ai suivi un obscur
intérêt qui m’a fait échapper à un péril indiscutable – Je m’applaudis chaque
jour d’avoir ainsi décidé et agi – bien que je n’aille pas du côté de la
jeunesse, je sens que je me refais une santé qui pourra, sauf accident ou
imprévu, me donner une heureuse fin d’existence, sereine et sans nerfs ni
dépression.
Si au lieu de rentrer à St Cloud je réintégrais chaque
année la place de l’Alma, même en m’en évadant souvent, je ne tarderais pas à
dépérir de nouveau et à perdre le bénéfice de ma vie de 5 mois au soleil du
midi. Je sais bien que tu me diras que ta vie peut changer bientôt, que tu dois
attendre, que tu te dois encore à tes affaires en cours, mais la santé est une
raison primordiale, à nos âges il faut tout lui sacrifier, arranger sa vie pour
la santé et soumettre tout le reste à la santé. D’ailleurs Mariani, si égoïste
soit-il s’arrangerait des choses, si un médecin (Adler ou autre) lui disait que
c’est sur son conseil que tu dois quitter partiellement Paris pour les
environs. Demande à Mme M. si je n’ai pas raison de parler ainsi dans ma pure
affection pour toi, mon chéri.
L’acide salicylique est ce qui te brûle et te fait mal
dans ton collyre – L’Hamamelis virginia, c’est un décongestionnant, je crois,
ce qu’on emploie dans l’élixir de Virginie. Surtout ménage ta vue et cherche à
te faire aider, à dicter tes lettes, etc.
Si tu avais besoin de ma dactylo, elle se nomme Mlle
Petit 42 rue de la Tour d’Auvergne. C’est une fille laide, sèche mais
supérieurement intelligente, une femme remarquable et susceptible de tout
comprendre, de tout entreprendre avec méthode lorsqu’elle serait au courant.
Mes affectueux baisers, je remercie Mme M. de son mot
reçu ce matin.
Octave
[ref.
1910.10][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] (St
Raphaël) Ce 5 avril 1910 – mardi.
Mon chéri aimé – j’ai eu de tes bonnes ou plutôt
meilleures nouvelles. Je suis fort occupé en ce moment, tout en préparant mon
exode pour le 16 ou 17 courant.
Je suis en train de préparer et d’écrire mon Bruxelles
pour le Figaro illustré, c'est-à-dire 2 000 lignes de grand texte. De plus
Huc m’écrit dare dare qu’il accepte pour 500 f par mois supplémentaires mes
films de cinéma 3 fois la semaine – en dehors de mes causeries. Me voici donc
16 à 18 articles tous les mois à mener à bien.
J’ai reçu la lettre de Huc hier à midi. Le soir
j’avais déjà fait deux des nouveaux articles de 75 à 80 lignes, de façon à être
libre pour mes autres travaux. Si je me plie à cette besogne avec ma grande
facilité acquise, ce sera bien. Si je sens que ça me fatigue je serai assez
sage pour y renoncer. De même si ça m’empêche d’autres travaux.
Il a fait encore très, très froid hier – l’hôtel ne
désemplit pas. Gaston Berardi et Pierson y sont venus hier passer la journée.
Irai-je à Anthéor aujourd’hui ? je ne sais. Je
n’ai pu causer avec la mère Bouloumnié qui n’a pas le téléphone. Si le temps se
lève, je verrai peut-être à m’y rendre à pied, d’Agay – mais j’hésite. Avec
tous mes travaux, je ne crois pas que je puisse aller au Cannet. Je ferai un
petit séjour de 3 à 4 jours à Marseille, puis une soirée à Lyon, un déjeuner à
Beaune (où ? prière de demander à Mme M. de me dire la bonne auberge), un
jour à Dijon et, si le temps n’était pas aussi froid, une visite à la tombe de
notre chère mère à Auxerre où je coucherais le samedi 23. Ce serait le dimanche
24, peut-être pourrais-tu venir alors coucher samedi à Auxerre pour t’associer
à moi dans ce pèlerinage.
Mais ce temps ci est calamiteux – Il ne peut durer 16
à 17 jours et on doit espérer une accalmie et un retour solaire.
J’écris à Rochard pour avoir de ses nouvelles, sa
cousine est près de lui – je lui dis de ne pas compter sur moi cette année,
c’est plus sage.
J’ai eu toutes sortes de nouvelles étranges sur ma
petite dactylographe du Caire – je te conterai tout cela plus tard.
Comment va Angelo ?
As-tu vu Calmette et Glaser ? Est-ce enfin réglé
ce déjà vieux compte ?
Amitiés à Mme M. et à sa fillette – Tu me diras
comment cette énorme de Roddaz l’aura accueillie – Mme M. peut y aller de 3 à 5
environ je pense.
Si Céleste n’était pas là qu’elle demande Mlle
Clarisse Macaire, (retour de Beaulieu), cousine de l’imposante ex-Torcheboeuf
et native comme celle-ci de St Julien du Sault – c’est une excellente fille,
très vieille amie à moi.
Mille tendresses en attente d’une lettre.
Octave
Le temps continue à être pluvieux, froid – J’ai lâché
la Paulotte, Anthéor et ses hôtes – Santé avant tout.
Je viens de lire (Echo de Paris du lundi 4) les lois
de taux de successions votées par le sénat. Si tu venais à hériter de moi, pour
100 et quelques mille francs tu aurais à payer 12 ½ % à 13 % soit, (avec mon
appartement) 13.500 frs – c’est imbécile, tyrannique, odieux.
Moi, (admettant que tu laisses 60 à 70 000 frs,
après encaissement de la promesse Mariani) j’aurais 11 ½ à 12 %, soit (ton
logis étant estimé) 8 à 9 000 frs au minimum à payer à l’état.
Je désire donc aussitôt mon retour à Paris, que nous
prenions nos dispositions respectives pour éviter ce don aux caisses de l’état,
soit d’une façon ou d’une autre – tu peux consulter dès aujourd’hui un homme
d’affaires à cette fin – avec notre mère il était impossible d’aborder ces
combinaisons, et, il y a 6 ans les taux étaient bas. Entre nous mieux vaut
envisager la chose avec sérénité et éviter de cracher à l’état des sommes aussi
élevées et aussi inutiles. Et surtout ne remettons pas les choses – à nos âges
fragiles – mettons nous à l’abri des vols de l’état – j’étudierai la chose de
mon côté.
[ref.
1910.11][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] St Raphaël
6 avril 1910 – mercredi.
Il y a huit jours, mercredi dernier, que je fus chez
le papa Ducreux et, depuis ce mercredi soir là, la pluie, la grêle, la neige
fondue, les sautes de vent, la mer démontée, les petits raz de marée font rage
sur la côte – c’est à peine si je puis sortir entre deux grains – le ciel se
nettoie, le soleil perce et les nuages noirs arrivent verser leurs arrosoirs –
c’est rasant à la longue. Il est vrai que j’ai furieusement à travailler pour
achever mes 2 000 lignes (environ un volume de 200 pages, car ce sont
d’énormes lignes) pour le Figaro illustré ; puis, l’air est pur, salubre,
plein d’embruns, et le ciel, la mer, tout est pittoresque et revigorant durant
mes sorties – je ne me plains donc pas, malgré le labeur, car pour la Dépêche
j’ai 4 articles par semaine en ce moment qui suffiraient à ma tâche.
Je vais très bien, dors bien, modère ma nourriture et
ne sens aucunement le poids des ans comme toujours jadis à Paris – je me
ragaillardis chaque jour davantage.
Rien de nouveau à te dire – j’ai plaqué les amis, Dom,
les anglais Davey à Nice, Rochard, Bertnay et suis bien heureux de n’être rasé
par aucun engagement et me contrefiche de ceux qui protestent – les amitiés ce
sont des égoïsmes en lutte. Il faut faire prédominer sa volonté.
J’arriverai avec difficulté à partir du 16 au 17 pour
Marseille, mais encore ferai tout, comme toujours, pour partir à date fixée,
quitte à travailler à Marseille où je désire séjourner 4 jours environ.
J’espère de tes bonnes nouvelles – j’ai eu hier à 3 h
ta lettre du lundi, j’espère bien que tes yeux vont s’améliorer et que cette
alerte t’aura servi plutôt salutairement.
Compliments à Mme M. Mes Tendresses fraternelles.
Octave Uzanne
[ref.
1910.12][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] (St
Raphaël) Ce 7 avril 1910 – (jeudi).
Mon chéri,
Le mistral veut ce matin sauver la situation, ciel
bleu et soleil nous reviennent – il était temps ; ça devenait désastreux,
toute la Provence était inondée.
Je suis heureux des meilleures nouvelles que m’apporte
ta lettre de ce matin, j’espère bien que, sur la fin du mois de mai, ta vue
sera tout à fait en état.
Je souffre moi-même parfois de ma vue fatiguée et je
m’arrête, car je sens des douleurs et élancements dans mon bon œil et le repos
m’est nécessaire, mais le grand jour me fatigue plus que l’électricité.
J’ai vu hier Rouveyre (Edouard) profitant de ce que sa
femme est seule ici, pour y venir passer quelques jours près de ses petits
enfants. Brave homme, mais bien fruste et borné et dont on a vite fait le tour.
Je travaille ferme – la Dépêche parait agrandie – tu y
verras mes nouveaux articulets intitulés « au fil des jours » et
signés un Kodakiste. Le mois dernier j’ai eu 5 articles que tu n’as sans doute
pas tous vus – J’aurai 3 au fil des jours par semaine et ma chronique en plus.
Rochard m’écrit ; il viendra me voir bientôt ici.
Il est désolé d’apprendre que je ne vais pas au Cannet, mais tant pis ! –
Je pense partir le samedi 16 et rester à Marseille 3 à
4 jours, tout en y travaillant. Je reviendrai à Paris, comme te l’ai dit, par
Lyon, Beaune, Dijon, Auxerre, si le temps s’y prête, couchant au La Fontaine le
23 au soir.
Ma petite dactylographe du Caire, Antoinette Tribier,
devait passer aux assises ces jours derniers, avec la bande des faussaires
socialistes et fabricants de faux-mandats postaux. Elle était la maîtresse de
Gerbaut (qui fut condamné à 5 ans de prison). Elle a 19 ans ; son affaire
a été disjointe et elle passera à une autre session – j’ai écrit à son avocat
pour tâcher de la sauver ; elle n’est coupable de rien la pauvre
fille ! – mais est-ce drôle la vie ! te raconterai ça.
Mes affectueuses tendresses – je repique au turbin.
Amitiés à Mme M.
Octave
J’ai renoncé à revenir par Toulouse car je n’y
pourrais passer que du 20 au 24 en pleines élections et mes amis seraient trop
occupés – je préfère y pousser une pointe en juin-juillet.
[ref.
1910.13][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] (St
Raphaël) Ce dimanche soir 10 avril 1910.
Aujourd’hui, mon chéri, il fit un temps superbe
absolument un temps d’été – après déjeuner, je fus à Agay en chemin de fer,
puis je revis à pied, boulottant mes 9 kilomètres, seul, d’un pas allègre sous
un ardent soleil.
Je fus au Dramont payer le coq acheté pour Rochard, et
me le fis envoyer mardi matin à la gare d’Agay où j’arrangerai les choses pour
le jardinier de Rochard le vienne prendre.
Demain lundi je vais déjeuner chez le dit Rochard au
Cannet, et lui faire mes adieux. Il devait venir ici mais, il m’a l’air si
abruti, si aplati que je préfère aller dare dare l’embrasser et revenir ici,
car il n’en finirait pas de se décider et les indécis sont tellement
gêneurs, à mon gré, ils rendent la vie si difficile à ceux qu’ils ne
peuvent fixer sur une date, que je les plaque sans pitié pour n’en être la
victime. J’ai ainsi plaqué durement Dommartin toujours à Beaulieu, Maëterlinck
à Grasse qui ne pouvait me dire le jour où il viendrait, D’aurelle à Cavalaire,
etc., etc., après avoir déblayé Rochard demain, j’irai mardi déjeuner chez les
d’Arlon à Anthéor pour dire adieu aux Bertnay – Puis, ce sera tout – adieux
faits par lettres aux amis de Nice, au papa Ducreux, à tout le monde.
J’ai retenu mon billet, c'est-à-dire une place dans le
luxe Vintimille-Berlin » pour dimanche 17. Je filerai à 1 h et serai à
Marseille à 3 h 45 – Excellente heure pour arriver à l’hôtel & se délasser
avant d’aller diner – lundi et mardi serai à Marseille où je désire revoir les gens
des Messageries et flâner à ma guise – un peu partout – mercredi 20 suis
attendu à Lyon.
Ma vue est le contraire de la tienne et mon œil ne se
comporte pas comme les tiens – c’est pourquoi je ne puis employer ton collyre –
j’en ai un excellent à St Cloud, mais ma fatigue vient de l’immense clarté du
midi, autant, sinon plus que du travail – l’électricité ne me fatigue pas et
quand je sens une grosse lassitude, je me repose et me retrouve après en bon
état – n’oublie pas de demander à Mme Million la meilleure auberge de Beaune
pour repas et propreté de chambre si j’y dois coucher.
Houdé est toujours ici – Je le vois aux repas quand il
vient mais je me réserve tout mon indépendance et m’en trouve bien. Je ne l’ai
pas vu aujourd’hui, il a du aller au Trayas, car il cherche à marcher et à se
fatiguer par hygiène.
Bons baisers fraternels.
J’espère te voir à Auxerre le 23 – Sinon j’irai de
toute façon, sauf si le vilain temps froid s’y opposait – mais je prépare tout
avec espoir de temps favorable. C’est mon pèlerinage annuel. Je tiens à le
faire maintenant.
Si tu peux partir à 4 h (et en le voulant bien tu
pourrais) – tu serais à 8 h 25, à Auxerre – c’est un excellent train à 3
classes très bon comme allure et correspondance, et à bonne heure pour arriver.
Je reviendrai dimanche soir et coucherai sans doute à
Paris à l’hôtel.
Affectueusement
Octave
[ref.
1910.14][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] (St
Raphaël) Dimanche matin 17 avril 1910.
Reçu ton mot ce matin – Je me mets en route – serai à
4 h à Marseille, Modern Hôtel.
Je pars toutes affaires faites – Figaro illustré
terminé et Dépêche servie, tout le reste préparé pour exécuter en cours de
voyage. Ce fut une rude poussée, mais nulle fatigue – avec méthode et volonté,
on fait ce qu’on veut. Je n’ai pas à te faire mon itinéraire, il est
généralement immuable dès que tracé – toujours mercredi soir à Lyon – jeudi
soir Dijon (après journée à Beaune) – vendredi Dijon – Samedi : Laroche
Auxerre – J’espère te trouver à 7 ½ à Laroche – si tu ne peux t’y trouver,
envoie une dépêche à Lafontaine.
En tout cas vendredi au plus tard retiens ma chambre
ou nos chambres au dit Lafontaine.
Mes tendresses, t’écrirai demain ou mardi.
Octave
As-tu oui ou non fait le virement à ma société de 750.
Je ne puis obtenir réponse et une affaire, de ce fait, est en suspens – d’après
ta lettre ce virement devait surement être opéré le 12, puisque le 11 tu me
disais : « Demain sûrement je ferai virer ton compte, etc. » Je
n’insisterais pas si cette somme ne formait appoint pour un ordre d’achat
d’obligations – c’est toi-même qui m’a fixé.
[ref.
1910.15][papier à en-tête du Modern-Hôtel à Marseille] Marseille, Lundi 18
avril 1910.
Très bien arrivé hier avec un mistral, trouvé de l’air
qui vous glaçait le sang, cap de diou ! mais quel soleil – ce matin
mistral à bas, temps divin et je goûte l’ivresse marseillaise avec un pareil
temps – depuis ce matin j’ambule pardessus sur le bras.
J’ai eu ta lettre merci – je ferai l’essentiel avec
Sallès pour Hériot mercredi soir – j’ai déjeuné avec l’homme des Messageries ce
matin, j’irai ce soir voir Tout en rose, revue aux Variétés.
Je travaille même ici avec agrément – cet hôtel est ce
que j’ai trouvé de mieux – superbe chambre sur la cannebière et le port pour 6
f tout compris et admirable de confortable – sauf petit déjeuner on n’y prend
un avantage précieux – car on peut aller librement partout – j’y reviendrai.
Je t’embrasse – t’écrirai de Lyon – Espère bien
ramener le beau temps – Pour Mariani, tu vois ce que je t’ai dit – ça ira vite
– je ne crois pas qu’il refasse en 1911 le déjeuner du salon – pauvre homme –
aussi est il trop bête, que ne vit-il tout à fait à l’air – que ne navigue-t-il
– il se remettrait – enfin, nous changerons rien – il est sous chap – et même
sous Chapusot.
Je t’embrasse – affectueusement – amitiés à Mme M.
Octave
[ref.
1910.16][papier à en-tête de l’Hôtel Terminus et Buffet de la gare
Lyon-Perrache, Cie PLM] Lyon, le 20 avril 1910.
Je suis arrivé ici à 2 h 21 ayant quitté Marseille par
beau temps chaud, et bonne température en wagon – à Lyon il faisait ciel
sombre ; j’ai senti ayant été (un quart d’heure au plus) au concours
hippique, sur le cours du midi, que l’humidité de cette morne ville me
pénétrait et je suis rentré prendre un grog chaud au kirch pour éviter d’être
pincé.
J’ai écrit de Marseille à Sallès pour qu’il ait la
tête et l’écrit de Hériot. Je dînerai ce soir avec lui et aurai sa réponse à ce
sujet.
Demain, je t’écrirai de Dijon pour te dire le temps
qu’il y fera et ma décision pour l’arrêt Laroche-Auxerre – si le ciel est beau
mais la température froide, j’abandonnerai peut-être le voyage auxerrois (que
je ferai deux ou trois semaines plus tard) mais si tout va bien avec une
température moyenne et supportable, j’irai.
On ne peut à Lyon déterminer l’état thermométrique,
c’est une ville à climat toujours hostile et froide comme ses habitants.
Je n’ai pas eu de lettre de toi hier à Marseille ni
ici à Lyon aujourd’hui jusqu’à cette heure (6 h soir) j’espère que tu vas bien.
Baisers bien affectueux.
Octave
Je serai à La Cloche demain à 1 h et vendredi.
[ref.
1910.17][papier libre] non datée non située (Lyon - date rétablie – 20 avril
1910).
L’encombrement des grands rapides « Marseille –
Paris » me fait décider ceci : je partirai de Lyon, jeudi matin à 9 h
39 pour être à 7 h 07 à Dijon – c’est un bon express moyen avec M. R pour y
déjeuner – ça me permettra de me reposer à Lyon et de ne pas partir à 7 h pour
Beaune par médiocre omnibus fatigant. Je rentrerai vendredi à Dijon – le samedi
matin, je quitterai Dijon à 8 h 45 pour être (en omnibus) à 9 h 44 à Beaune –
J’y déjeunerai, visiterai l’hospice etc. J’en repartirai à 1 h 18, serai à
Dijon à 2 h 15 (mes bagages y étant en consigne) et je reprendrai à 2 h 45 le
rapide de Modane – Paris qui me conduira à Laroche à 4 h 38 – à 5 h 43 je
filerai de Laroche sur Auxerre où je serai pour dîner à 6 h 17.
Je t’attendrai donc seulement à Auxerre, ce sera plus
confortable, nous ne prendrons pas froid à nous attendre à Laroche et si par
hasard il faisait un temps affreux, glacial, rendant dangereux ma pointe sur
Auxerre, je continuerais sur Paris où j’arriverais à 6 h 30 – ayant dîné et à
temps pour aller coucher à St Cloud.
Tu avoueras que c’est sage et prudent. Si le temps est
beau ou tiède tu viendras à Auxerre certain de m’y trouver – d’ailleurs tu
m’écriras – si je trouvais à Dijon une auto obligeante, j’irais à Beaune en
auto et en reviendrais – ce n’est rien 37 à 38 kilomètres entre les 2 villes.
[non signé]
[ref.
1910.18][papier à en-tête de l’Hôtel de France, P. Mesmer, en face de la gare
PLM, à Beaune (Côte d’Or). Ce 21 avril 1910.
J’ai bien dîné hier soir à Lyon avec Sallès et Jeanin
et suis parti ce matin par l’express de 9 h 39 d’où je descendis à Chagny pour
prendre, après déjeuner au buffet, l’omnibus qui me mit à Beaune à 1 h 18.
J’ai visité minutieusement l’hospice et le musée du
dit hospice où se trouve le triptyque du jugement dernier du primitif flamand
Van der Weyden – c’est une fort belle chose – l’hospice est très flamand en son
ensemble – l’église notre dame est bien caractéristique, c’est une cathédrale
admirable d’assises et de style – Beaune m’a charmé, c’est la Bruges de la
Bourgogne. J’y ai marché 3 heures, je vais reprendre le train de 4 h 24 qui me
conduira à Dijon à 5 h – j’y dînerai à la Cloche et y passerai la journée de
demain.
Le temps est incertain, nuageux, avec des sautes de
froid dangereux. En raison de la difficulté des trains pour rentrer avec mes
colis de Auxerre à Paris, du jour des élections dimanche et du désir bien
compréhensible que j’ai de regagner St Cloud après 5 mois d’absence, je préfère
remettre à un autre dimanche, celui qui suivra les ballotages probablement ma
visite à notre tombe chère – nous pourrons y aller ensemble, si c’est possible,
dimanche ou semaine aller voir Desprès à Coulanges etc.
J’essaierai de te téléphoner de Dijon – j’ignore
encore si ton téléphone est rétabli.
Je t’embrasse affectueusement – j’espère trouver de
tes nouvelles ce soir à Dijon.
Je prendrai sans doute le train Pontarlier à Dijon
samedi matin pour être à 2 h ½ à Paris et rentrer directement à St Cloud – si
tu peux venir dimanche avec Mme M. j’en aurai grand plaisir.
Octave
J’ai vu la rue du Général Voillot mais ne suis pas
allé voir Mme Martini – à quoi bon. Cette rue est la 1ère qui
traverse l’avenue de la gare.
Sallès te demandera Hériot – c’est promis, mais c’est
un garçon vacillant, il te faudra le relancer par lettre – je lui avais prié de
demander aussi Augagneur mais il croit que celui-ci refuserait.
[ref.
1910.19][papier libre] Samedi matin (date rétablie – 20 août 1910).
Mon chéri,
Parti jeudi à 5 h, j’ai passé un bon moment à Houlbec
en belle Normandie verte. Je suis revenu hier soir dîner à St Cloud – j’y vais
travailler demain dimanche et, si je trouve ce soir mon permis à Paris (pour
Bordeaux) j’irai lundi soir coucher à Toulouse – j’irai sans doute même si je
n’ai pas le permis. Mes programmes sont généralement invariables. Je serai donc
mardi 23 et mercredi 24 à Toulouse Grand Hôtel, je reviendrai coucher le 24 au
soir à Bordeaux et serai de retour vendredi ou samedi prochain à Paris.
Le samedi soir j’irai coucher à Rouen, le dimanche 28
je serai à Caudebec pour St Wandrille d’où l’auto des de Roddaz me ferait faire
une balade que je vais étudier à ma guise, par Pont Audemer etc.
Je ne reviendrais guère avant le 31 au soir – je
pourrais te voir le 2, 3 ou 4 septembre si tu es encore parisien – le 4 je
pourrais t’embrasser en tant que sexagénaire accompli.
Je t’envoie la lettre ci-jointe reçue hier de Capvern
et un extrait du journal du Touring – Septembre dans les Pyrénées.
Mes tendresses cordiales.
Octave
Je pense que tu vas profiter de ton dimanche pour
aller à la mer. Sinon, je serai chez moi demain.
[copie
de la lettre de M. Cazes, Hôtel des Palmiers, Cazes, propriétaire,
Capvern-les-Bains (Hautes-Pyrénées)] Le 18 août 1910.
Monsieur,
Je reçois votre lettre et je m’empresse de vous donner
les renseignements demandés.
La saison à Capvern en septembre est très bonne, il y
a encore beaucoup de monde aussi vous voudrez bien avoir l’obligeance de nous
avertir du jour et heure de votre arrivée afin de vous réserver une bonne
chambre.
Le prix est de 7 f par jour par personne chambre et
nourriture comprise.
Espérant Monsieur que mes prix vous donneront
satisfaction, veuillez agréer mes sincères salutations.
Cazes
[ref.
1910.20][carte postale de Toulouse – Cour Henri IV (Capitole) adressée à Joseph
Uzanne au 172 Bd St Germain, Paris VIe] Toulouse mercredi 24 août (1910).
Selon programme, partirai après midi pour Bordeaux – y
passerai soirée et demain jeudi reviendrai coucher St Cloud, enchanté séjour à
Toulouse.
Ecris moi si veux venir déjeuner vendredi St Cloud,
j’irai vendredi soir coucher à Evreux probablement.
Tendresses cordiales.
Octave
[ref.
1910.21][papier à ent-ête de l’Hôtel de la Marine L. Lalonde à Caudebec-en-Caux
(Seine inférieure)] Lundi 29 août 1910.
Mon bon chéri, j’ai eu ton mot ce matin – tout s’est
bien passé. Il y avait fort peu de monde hier à Caudebec ou j’ai eu une excellente
chambre à « la marine » reconstituée – la soirée à St Wandrille a été
pour moi fort émotionnante. Je n’ai jamais rien vu de si puissant, de si
humain, de si merveilleusement féérique et dramatique que ce Pelléas dans ce
décor de St Wandrille qui est une série de chefs d’œuvre d’architectures du
passé.
Il n’y a plus personne que des anglais à l’hôtel – je
vais aller à St Wandrille, ce matin, revoir Georgette et Maurice M. qui ont été
exquis d’affection pour moi hier.
Les De Roddaz doivent venir déjeuner ici en auto à
midi, après quoi je tâcherai de les liquider pour aller coucher à Rouen et
rentrer demain à Paris – Rouen est une ville vue cent fois par moi – je la
découvre chaque fois que j’y retourne – elle est cent fois supérieure à tout ce
qu’on voir à l’étranger – je m’y plais infiniment.
Le temps est un peu bourrasqueux mais agréable.
Donne moi rendez vous pour vendredi, veille de ton
départ je pense – je serai chez moi mercredi, mais n’irai pas à Paris –
travaillerai – si tu veux y venir dîner, ce sera fort bien, sinon vendredi à St
Cloud ou à Paris près de la gare.
Mes affectueux souvenirs à Mme Millon.
Ton Octave
[ref.
1910.22][carte-lettre à l’adresse de St Cloud] Ce 31 août 1910.
Mon chéri – voici les permis – tu me rendras ceux à
plein tarif ou à ½ droit dont tu ne feras pas usage – il était inutile de
demander Bayonne – Biarritz – c’est un peu ridicule pour moi – comme si on
demandait Bois-Colombe – Paris ou Monéteau – Auxerre – je ne l’avais pas
demandé, car Bayonne – Biarritz c’est Paris – Alfort – c’est la même chose.
Je suis rentré hier pour dîner. Mme de Roddaz est
rentrée hier, après moi, à Paris, avec les Dommartin. Je suis chargé de
t’inviter chez eux vendredi à 7 ½ 10 Bd Bonnes nouvelles. Elle t’avisera
sans doute de son invitation par téléphone. Je lui ai remis ton n° - j’ai
laissé espérer ton acceptation – je pense que c’est dit.
J’écris des lettres depuis ce matin, c’est au moins la
20e. Je vais écrire mon article pour la Dépêche et faire installer
une nouvelle bibliothèque dans mon couloir.
Santé parfaite – alors c’est dit, vendredi soir, je
pense, chez les De Roddaz. Ecris un mot à Céleste de Roddaz si tu acceptes.
J’ai dit ton menu pour qu’il n’y ait rien pour toi à redouter.
Bien affectueusement. Compliments à Mme M.
Octave
Demain je serai chez moi jusqu’à 2 h et le soir dès 5
h.
Rochard est à Paris, je l’invite pour la semaine
prochaine sans lui parler de toi.
(*) Source Fonds Y. Christ (1 J 780), Archives de L'Yonne, Auxerre. L'ensemble des lettres de la Correspondance entre Octave Uzanne et son frère Joseph (lettres d'Octave à Joseph uniquement) a été entièrement relevé par nos soins. Nous avons retranscrit l'ensemble que nous livrerons ici lettre par lettre. L'ensemble formera un corpus de 67 lettres pour l'année 1907, 95 lettres pour l'année 1908, 50 lettres pour l'année 1909, 22 lettres pour l'année 1910, 38 lettres de diverses années et 36 fragments ou lettres entières non datées, soit un ensemble de 308 lettres ou fragments de lettres. Notre projet arrêté dès fin 2012, début 2013, est de publier l'intégralité de cette correspondance avec notes explicatives. Espérons que nous pourrons mener à bien ce projet prochainement. La mise en ligne pour tous ici sera un premier pas permettant de juger au mieux de la relation fraternelle entre Octave et Joseph pendant les années 1907-1910, connaître l'intimité des deux frères ainsi que les pensées les plus intimes d'Octave Uzanne dans sa vie privée et publique. Mise en ligne Bertrand Hugonnard-Roche | www.octaveuzanne.com
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