lundi 29 août 2022

Correspondance inédite. Lettres d'Octave Uzanne à son frère Joseph Uzanne. Année 1910. Du 14 mars au 31 août 1910.

C O R R E S P O N D A N C E    I N E D I T E

Octave Uzanne à Joseph Uzanne

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[ref. 1910.1][papier libre] Ce lundi 14 mars 1910.

 

Mon chéri – soigne toi bien et lâche Marseille, car avec un vilain temps c’est une cité lugubre, froide, inhospitalière, la vie y étant toute extérieure – les rues y sont pleines de courants d’air – tu n’as pas de chance, car avec beau temps la ville est chantante et agréable et la promenade sur la corniche délicieuse.

Je crois qu’avec la comète et l’équinoxe de mars ces mauvais temps vont t’accompagner à Paris – ici je ne suis pas malheureux – la pluie n’est pas tombée après ton départ ; ce matin ciel gris, vent d’est mais aucune averse.

Je t’embrasse bien et t’écrirai à Paris – J’envoie mes amitiés bien cordiales et une bonne accolade à Mme Million qu’elle non plus n’a pas de veine dans sa pointe méridionale.

Tendresses.

 

Octave

 

J’ai eu ton mot ce matin.

 

[ref. 1910.2][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] Ce (mardi) 15 mars 1910.

 

La journée hier fut aussi lamentable ici, la plus tempétueuse que j’aie vue à Raphaël, un vent à renverser, une pluie cinglante, impossibilité d’ouvrir son pépin – ce fut dur de faire sa promenade et ses petites courses à la poste et ailleurs. Ce matin tout est calme, ciel encore gris. Hier, après midi, je fus au casino voir l’exposition d’art pour y accompagner Mme Rouveyre et y rencontrai Angelo – et ce fut tout. Je travaillai paisiblement le reste du temps.

Je vais aller ce matin déjeuner à Valescure puis rentrerai (pas un mot de ton séjour à Marseille) J’espère que la longue course de Marseille – Paris ne te fatiguera pas – à ta place, je serais descendu à Terminus-Lyon où on est fort bien chauffé, mais tu as hâte de rentrer et tu as tort – chez soi, on a tous les embêtements et on regrette de ne s’être pas donné le loisir de l’hôtel, du divin hôtel que j’apprécie de plus en plus, le seul endroit où l’on sente la liberté, la sérénité, la possession pleine et entière de son temps. Moi, qui y vis depuis plus de 3 mois, je suis loin d’en être las, au contraire, je ne me porte jamais aussi bien chez moi, malgré les soins, peut être à cause des soins – les 6 mois que j’y vis par an sont les meilleurs de ma vie.

J’embrasse bien Mme Million et vous souhaite à tous deux un retour confortable sans vous envier de revenir à ce sale et humide Paris.

Affectueusement.

 

Octave

 

Je t’écrirai à Paris.

Rochard viendra jeudi à Valescure – et je le verrai demain à Cannes en allant chez notre vieil ami.

 

[ref. 1910.3][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] Mercredi soir (16 mars 1910).

 

Mon chéri,

Je reviens de Cannes, j’ai vu le rasoir Rochard, sa Jeanne si embêtante et si nulle – visitée un instant dans son locatis.

J’ai déjeuné chez Monsieur Ducreux (qui m’avait télégraphié) avec Mme Mangini très excellente et sympathique vieille dame et la pauvre Lucie Gauthey qui fait de la tuberculose à marche ultra-rapide et qui le sait et se sent perdue.

J’ai assisté, avec Rochard, à la conférence, Dits et Chansons de Georgette Leblanc au casino, où je vis Marny – rien que cette heure de rampe théâtrale m’avait perdu la vue. Oh ! le théâtre non, ça me tuerait les yeux. Il faut que j’y renonce et que je soigne ma vision si si fragile aujourd’hui.

Il fait un temps idéal, adorable et une atmosphère si nette et si pure.

J’ai reçu un mot du Figaro illustré, maintenant la somme de 800 f et annonçant envois spécimens – je verrai la valeur de la ligne et répondrai sans délai.

J’irai sans doute demain P.P.C à Anthéor.

Mes affectueuses tendresses, ce mot en hâte – je verrai peut être les Dommartin ce soir ici en gare au passage.

 

Octave

 

[ref. 1910.4][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] Vendredi (18 mars 1910).

Mon chéri, j’ai eu aujourd’hui mon ami Dommartin et sa compagne Céleste, cousine de Roddaz à déjeuner – j’ai conduit en landeau – pour nous protéger d’un affreux mistral qui balaie le ciel bleu avec rage, mes deux compagnes dans l’Estérel, la tournée de La Louve – au passage je leur ai fait faire deux beaux bouquets de mimosa par Ramello à qui j’ai donné la pièce et qui faisait des expéditions à Nice pour la Générale Dodd.

Ma santé bonne – Demain j’irai à Anthéor – je verrai Maizeroy à Agay et le présenterai aux Bertnay après déjeuner, car je déjeunerai villa Paulotte.

Je quitterai sans doute St Raphaël pour l’Italie du 3 au 4 avril.

Je préparerai mes caisses et paquets ces jours-ci – j’espère que les postiers ne vont pas se remettre en grève – que sait-on ? Je le redoute, après leur circulaire.

Je n’ai rien reçu du Figaro illustré et serai fort surpris si je reçois la lettre formulant nettement les conditions. Il y a tant de gens qui intriguent pour ces numéros – je n’ai aucune confiance, parce que je connais la vie et ce sale monde – tu verras que je n’ai pas tort – pour Simond tu as déjà vu que j’avais du nez – ici il en sera de même, je le parierais. Ils attendront plutôt mon retour pour ne pas écrire – mais sans lettre, je ne ferai rien.

Affectueusement, mon chéri.

 

Octave

 

[ref. 1910.5][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] Dimanche de Pâques – St Raphaël 27 mars 1910.

 

Mon bon chéri,

J’ai eu ta lettre de jeudi soir, hier soir samedi en revenant de St Jean-Cap Ferrat, où j’étais arrivé vendredi vers 3 h et où j’avais couché à l’hôtel Montfleury (où étaient de nombreux amis belges qui revenaient à l’instant de Rome).

J’ai passé là deux bonnes journées, joyeuses et très allantes en une compagnie gaie et familière, Dom, Souguenet, Montjoyeux, un procureur général du roi Léopold, des femmes aimables, etc. Ce Cap Ferrat est vraiment joli et séduisant et j’y reviendrai volontiers. La promenade y est exquise. J’ai lâché Monaco et Nice et suis rentré avec la foule du samedi de Pâques coucher à Raphaël.

Je pense voir ici Maëterlinck lundi, Rochard (s’il va mieux) mardi, mercredi j’irai déjeuner avec Ducreux et Camille Ducreux et sa femme et fort probablement vers vendredi j’irai vers Bormes et le Lavandou afin de changer d’horizon deux journées successives à travers les Maures.

Ma santé est bonne, je sens que l’air, le plein air et la distraction me font grand bien – aussi suis-je bien décidé à ne remonter vers le nord que lorsque le beau temps y sera à peu près rétabli. Actuellement, il y fait froid, m’écrit-on, et bien qu’à St Cloud l’air soit pur, je ne me hâterai pas d’y revenir si le printemps n’est pas en vrai retour d’exil.

Ce pauvre Mariani aura vite fait de reprendre à Paris l’amélioration acquise ici – c’est l’avis unanime de ceux qui l’ont vu si touché. Il a le cerveau attendri et absolument coiffé par cette affreuse mégère de la rue Castiglione – il ne parlait que d’elle à tout le monde ici au moment de son départ et de ses « opinions sur le Père Lumière ». Je crois que sa mentalité va baisser et se puériliser peu à peu. – l’essentiel, que je te souhaite, est de te voir sortir le plus tôt possible des dures servitudes qui sont si onéreuses à nos âges – j’espère qu’au moment opportun tu sauras assurer ton indépendance, en refusant d’accorder au fils, le temps et le labeur absolu donnés au père – tu es d’âge à « aller relayer » et si tu ne détèles pas tout à fait à ne fournir qu’un travail bien rétribué et qui n’entrave plus ta liberté d’allure, c'est-à-dire, n’exige pas ta présence à heures fixes ni même à jours réguliers.

Pour la Dépêche je pense qu’en principe j’aurai 20 à 25% sur mon versement, mais ces terribles méridionaux sont peu pressés et me font enrager – j’ai eu une correspondance avec Huc si difficile à mettre en volonté d’écrire – il a fini par m’envoyer le reçu en règle que j’ai envoyé à Carton, mais c’est tout. Huc doit être revenu à Toulouse d’où il doit m’écrire. Il n’a rien pu décider encore pour ma collabo nouvelle. Je n’y tiens pas d’ailleurs exclusivement – 3 nouveaux articles de 75 à 90 lignes chacun par semaine, ce serait assujettissant et « vidant » même au prix de 6 à 600 frs de plus par mois – s’il refusait ou n’acceptait pas mes conditions, je n’en serais pas fâché – j’ai de quoi vivre avec mes travaux en cours, le surplus serait pour mettre de côté au prix de beaucoup de fatigue – cela en vaut-il la peine ? alors que j’ai tant de projets littéraires à réaliser et toute mon indépendance à sauvegarder. – « à minimum de besoins, minimum de servitudes » c’est ma devise – je ne veux pas la fausser ou la laisser entamer. Je suis trop heureux de la vie exceptionnelle que j’ai su me créer et j’éviterai tous les pièges d’argent qui me seraient tendus.

As-tu touché au Figaro comme il était dit que tu le ferais cette semaine ?

Soigne toi bien et tâche d’éviter les grippes. Tu as vu ce « de Vogue » si tôt enlevé. Il est vrai qu’il paraissait bien faisandé de mine et qu’il devait faire de l’auto-intoxication. En tout cas, se bien observer est sage – mars et avril sont de sales mois de grippe à Paris – Embrasse bien pour moi Mme M. et Lisette.

Mes tendresses cordiales.

 

Octave

 

[ref. 1910.6][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] St Raphaël – 29 mars 1910.

 

Hier, mon chéri, lundi de Pâques, j’ai eu la visite de Sallès resté déjeuner avec moi – puis j’ai travaillé car il ne fallait guère songer à sortir tant St Raphaël et ses routes étaient déshonorées par l’afflux des pires bourgeois – un vrai « point du jour », une infamie. A l’hôtel j’ai pris parti de déjeuner et de diner avant l’heure pour me faire servir rapidement, car j’entrais dans des fureurs bleues lorsque, la salle à manger envahie par des hordes d’automobilistes, je me voyais contraint d’attendre 15 à 20 minutes le service des plats.

Et quels gens imbéciles, à réflexions idiotes, incapables à rien comprendre et de rien voir ! quel monde ! Tous ces gens ne seront ravis que lorsqu’ils reprendront le train du retour pour aller bluffer dans leurs milieux. Ah ! non nos compatriotes ne l’ont pas l’éducation du voyage.

Enfin toute cette semaine cet affreux monde régnera encore sur les paysages – l’an prochain je tâcherai si je suis ici, de fuir cette période pascale et j’irai en Corse ou ailleurs pour éviter cette poussée chaque année plus dégoûtante.

Je prépare ma petite vitesse et n’aurai bientôt plus avec moi qu’un grand sac de voyage me permettant de me mobiliser facilement – si je n’avais mon numéro du Figaro sur Bruxelles, que je vais commencer, je me serais déjà mis en route pour d’autres parties de l’Estérel ou des Maures, mais je tiens à tout faire à son heure et même à ébaucher ma nouvelle collabo à la Dépêche si elle se décidait, car ce serait prequ’immédiat, je crois – mais, je le répète, j’ai du travail à ma suffisance et 4 articles par semaine, ça serait un peu fort de café, comme aurait dit Sarcey.

J’attendais Rochard ce matin – il devait m’aviser par télégramme ou une lettre – rien !

Peut être est-il plus malade – je vais lui lancer un bleu – à moins qu’il ne vienne.

Affectueusement – le temps est admirable.

Amitiés à Mme Million et accolade à Lisette.

 

Octave

 

J’espère mot de toi ce mardi à 3 h.

[ref. 1910.7][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] St Raphaël ce 31 mars 1910 – jeudi.

 

Temps frigide, neigeux, ciel gris ce matin – je suis rentré hier de Cannes à 3 h 49 par le premier rapide sans avoir le temps d’aller voir Rochard dans ses hauteurs vraiment trop fatigantes pour une course rapide – je lui écrivis – aujourd’hui je me ménage et j’ai raison. Je le verrai plus tard, j’ai le temps de me faire raser.

Ta lettre de mardi soir que je reçois ce matin jeudi me dit la désagréable surprise que te réservait la visite au Dr Borsch. – cela est évidemment poignant comme alerte, mais le Dr t’affirme te guérir et tu dois tout faire pour arriver à cette guérison – tu as surmené ta vue, toujours te fatigant le soir (sous la lampe à pétrole naguère, avec l’électricité aujourd’hui) ne prenant jamais les longs repos nécessaires dans la nuit réparatrice et les plein airs bienfaisants – tu n’as jamais voulu compter, prendre pour toi le temps de t’appartenir, tu paies aujourd’hui ces excès de vie de bureau dont personne ne te saura gré – personne, tu entends bien. Je t’ai toujours dit que, dans ton cas, je ferais l’employé que je ne donnerais à mes affaires consciencieusement qu’un temps limité et qu’aussitôt mes heures de travail accompli, j’en remettrais au lendemain, la reprise. Tu n’avais aucun intérêt à agir autrement. Aucun homme de ce temps (les jeunes moins que les autres) n’aurait trimmé au-delà de ce qu’il devait strictement faire et si tu n’étais pas arrivé à satisfaire ton homme, ton négrier, tu n’avais qu’à lui dire qu’il était impossible de faire plus puisque l’on t’avait chargé du travail de plusieurs (de Beaumont, etc) – tu devais, tu dois encore te réserver la publicité productive, la direction et l’impression des albums, mais en réclamant un secrétaire bien payé, ayant des connaissances de prote – à la société des protes (voir annonces du Temps) tu trouverais l’homme providentiel, correcteur, chercheur, coureur, comptable – crois moi c’est là où tu trouveras (la société des protes fournit des gens recommandables). En tout cas, tu dois profiter du diagnostic du Dr Borsch pour te décharger et changer de vie en t’accordant plus de repos et d’air au dehors.

Je ne te conseille pas de voir Abbadie qui est une « vieille moule » - Valud ? Pourquoi si tu as donné ta confiance à Borsch – il ne faut jamais courir plusieurs oculistes à la fois – enfin tu verras. Si tu allais voir Dufour à Lausanne cet été, bien, mais d’ici là, tu peux te soigner sans retard et surtout te ménager. Tu feras bien aussi, pendant que tu y es, de consulter pour tes calculs vésicaux – il est coupable d’attendre, tu en fais l’expérience. Consulte un spécialiste au plus tôt.

Avec ce temps froid et gris, je n’irai sans doute pas au Lavandou demain – peut-être irai-je samedi à Marseille pour la journée – je ne crois pas que Mme Torcheboeuf – (ou plutôt Mme de Roddaz car Torcheboeuf est le nom abhorré dans la maison, ça sent la bouse de vache) soit la femme qu’il faut pour le corset en question – c’est aujourd’hui une grande usinière employant des centaines d’ouvrières et travaillant en grand pour le bon marché etc.

Je te donne un mot en réclamant un conseil car je crois que c’est tout ce qu’elle peut faire en indiquant où s’adresser.

Les Bertnay m’invitent pour mardi avec les Bouloumnié (dont la Mme Marthe de Mandelieu qui est parait-il spirituelle et moins tourte et sombrement bourgeoise que la Valescurienne). Il y aura les 2 frères d’Antibes (les David), les d’Arlon, le peintre Rouel, etc. J’irai sans doute.

J’ai vu Maëterlinck à la gare de Cannes hier, où lui avais donné rendez-vous. Il m’a refusé de collaborer à la Dépêche. Il ne veut travailler qu’à des revues très payées et réserver son indépendance – il a raison – il ne faut jamais se surmener et se réserver toujours autant de loisirs que possible, c’est une règle ce doit être un devoir, car ceux pour qui on sacrifie sa santé s’en foutent sous prétexte qu’ils vous paient.

Ce n’était pas le moment de lui parler de Mariani – je le reverrai avec Georgette et j’arrangerai ça avec celle-ci très ambitieuse et très m’as-tu vu – Elle le décidera.

Cordialement – Embrasse bien Mme M. à qui j’ai envoyé une toute petite boîte de fleurs hier, pour souvenrir seulement, car c’est l’infâme cohue à Cannes.

 

Octave

 

[ref. 1910.8][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] St Raphaël 1er avril 1910.

 

Ça va bien aujourd’hui, mon chéri, avec un temps absolument grincheux et hostile depuis hier matin. Ciel gris, vent, pluie intermittente et froid très désagréable – j’ai lâché la promenade au Lavandou et même celle à Marseille et j’attends sans bouger.

Rochard va mieux, je crois – il a été atteint au foie et se soigne, dieu sait comment avec le petit docteur toulousain du Cannet. Sa cousine est près de lui, (celle du Havre) – je crois qu’il viendra ici la semaine prochaine. Je profiterai peut être du séjour de la cousine aux Pins pour n’y pas aller cette année.

J’espère que tu es remis de ton alerte pour ta vue et que tu te soignes avec empressement. N’oublie pas de consulter pour ta vessie – tu as le tort de toujours remettre au lendemain – c’est dans ta peau tu n’y peux rien, mais pour ta santé, tu dois pourtant faire un effort. Tâche aussi de terminer la réparation de ta dentition entreprise il y a près d’un an et qui dépare ton gracieux sourire. Il est vraiment temps que tu sois rapiécé de ce côté-là.

J’ai vu ici (depuis 6 jours), un vieil ami de Rochard nommé Ravant, avec sa petite amie, très gentille. C’est un vieux boulevardier aimable, du vieux temps, riche probablement, type du cabot dieudonné, un peu fort, 62 à 63 ans – il connait et tutoie Mariani, Paoli, etc. – je suis allé déjeuner et diner hier avec lui – il est parti ce matin rentrant à petites journées avec la belle petite – son père était de Villeneuve-sur-Yonne – c’est un excellent homme.

Je n’ai encore aucune réponse de la Dépêche pour ma nouvelle collabo, ça m’énerve, car j’aime être fixé dans la vie – je n’ai reçu qu’une circulaire pour les dates auxquelles envoyer mes 4 articles du mois – (jusqu’ici c’était 5). Tu me diras si tu as vu Calmette – quant à l’Echo, c’est fini – je n’y remettrai les pattes, j’ai envoyé un article qu’ils regrettaient de me retourner ayant l’intention de l’insérer, rien n’a paru, pas un mot – j’ai mis ma croix sur la maison.

D’ailleurs le journalisme est un métier vidant, peu avantageux matériellement et qui soustrait à des œuvres plus solides – je m’en détournerai plutôt par la suite et referais ma vie par le livre. Mes moyens s’y prêtent et rien ne m’oblige à placer des articles. Affreux métier à mon âge et indigne de mon passé.

Je t’embrasse cordialement, j’espère que Mme M. est mieux et que Lisette est bien – je sais qu’il fait très froid à Paris et partout.

Il y a encore trop foule ici, d’ici 8 jours tout cela sera fini – heureusement.

Encore mes tendresses.

 

Octave

 

[ref. 1910.9][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] (St Raphaël) Ce samedi soir – 2 avril 1910.

 

Le temps a été beau aujourd’hui mais encore froid et venteux, si venteux qu’il était impossible de faire une promenade hygiénique. Je fus voir Mme Rouveyre (Edouard), seule ici avec ses petites filles, la jeune étant partie pour rejoindre son mari, puis le brave Dr Courchet qui doit se marier en juillet.

J’ai vu, à causer sans lui, que l’avis du Dr Vadon était qu’Angelo est parti trop vite et que pour se guérir et remettre, il lui fallait rester en plein air. C’est bien le mien aussi.

A y songer, je ne puis croire que tu aies ce qu’on appelle vraiment un décollement de la rétine, même à ses débuts – le traitement classique dans ce cas déterminé c’est l’immobilité absolue au lit, car il y a de l’eau dans l’œil. Or, ton oculiste ne t’ordonne ni le repos étendu, ni la cessation absolue du travail – c’est étrange.

J’espère que cet homme le Dr Borsch est un bon oculiste, mais est-ce un maître ? Où exerce-t-il ? N’est-ce pas un Rasta ? Je te dis tout cela parce que je m’afflige de te voir ainsi traité par un homme qui peut avoir des mérites, mais qui n’est pas un maître français, connu, officiant en clinique officielle.

Je suis aussi peiné de te voir souffrant avec tes douleurs de tête, et tous les symptômes que tu attribues à une indigestion – Tu as beau dire ce que tu me dis pour l’avenir et pour tes projets de grand air, tu n’auras encore que des vacances rétrécies par tes remises à partir comme les autres années et très insuffisantes et tu continueras à vivre dans ton logis surchargé de bibelots inutiles, malsain en somme, d’une aération secondaire et où les fatigues de l’escalier, sont terribles, accablantes. En attendant que tu déménages car il te faudra bien que tu déménages un jour, lorsque tu ne pourras plus gravir ton dur calvaire de 4 étages, j’aurais aimé, j’aimerais que tu suives enfin l’excellent conseil que je te donne depuis 5 à 6 ans en vain. Tu pourrais louer en meublé aux environs de Paris, en bon air, un logis meublé où tu pourrais aller vivre avec Mme M. de mai à octobre – ça ne t’empêcherais pas d’aller en vacances et de voyager et ça te ferait un bien énorme – tu viendrais à Paris juste pour tes affaires et tu te contreficherait de ce que tu ne pourrais arriver à faire – avec une bonne organisation ça serait si facile. Je t’affirme : je crains hélas ! de parler dans le vide, tu diras que tu ne peux pas, alors qu’on peut toujours ce que l’on veut – Il te faut du repos, de l’air, de l’exercice, un changement de milieu quotidien afin que, revenant le soir à la campagne tu ne trouves plus affaires, sonneries, lettres urgentes, téléphone, soirées et nuits fatigantes.

Je voudrais que tu prennes en bonne part ce que je te dis et que tu n’aies pas à reconnaitre trop tard combien j’ai raison de te conseiller ainsi. Quand je me suis senti atteint, tu as du voir, même alors que ça t’ennuyait de me voir quitter Paris – avec quelle énergique volonté et promptitude j’ai changé délibérément ma vie de la place de l’Alma. Je n’ai rien écouté, je n’ai pris décision que de moi-même, je n’ai rien attendu, rien remis au lendemain et je suis certain qu’en agissant ainsi j’ai suivi un obscur intérêt qui m’a fait échapper à un péril indiscutable – Je m’applaudis chaque jour d’avoir ainsi décidé et agi – bien que je n’aille pas du côté de la jeunesse, je sens que je me refais une santé qui pourra, sauf accident ou imprévu, me donner une heureuse fin d’existence, sereine et sans nerfs ni dépression.

Si au lieu de rentrer à St Cloud je réintégrais chaque année la place de l’Alma, même en m’en évadant souvent, je ne tarderais pas à dépérir de nouveau et à perdre le bénéfice de ma vie de 5 mois au soleil du midi. Je sais bien que tu me diras que ta vie peut changer bientôt, que tu dois attendre, que tu te dois encore à tes affaires en cours, mais la santé est une raison primordiale, à nos âges il faut tout lui sacrifier, arranger sa vie pour la santé et soumettre tout le reste à la santé. D’ailleurs Mariani, si égoïste soit-il s’arrangerait des choses, si un médecin (Adler ou autre) lui disait que c’est sur son conseil que tu dois quitter partiellement Paris pour les environs. Demande à Mme M. si je n’ai pas raison de parler ainsi dans ma pure affection pour toi, mon chéri.

L’acide salicylique est ce qui te brûle et te fait mal dans ton collyre – L’Hamamelis virginia, c’est un décongestionnant, je crois, ce qu’on emploie dans l’élixir de Virginie. Surtout ménage ta vue et cherche à te faire aider, à dicter tes lettes, etc.

Si tu avais besoin de ma dactylo, elle se nomme Mlle Petit 42 rue de la Tour d’Auvergne. C’est une fille laide, sèche mais supérieurement intelligente, une femme remarquable et susceptible de tout comprendre, de tout entreprendre avec méthode lorsqu’elle serait au courant.

Mes affectueux baisers, je remercie Mme M. de son mot reçu ce matin.

 

Octave

 

[ref. 1910.10][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] (St Raphaël) Ce 5 avril 1910 – mardi.

 

Mon chéri aimé – j’ai eu de tes bonnes ou plutôt meilleures nouvelles. Je suis fort occupé en ce moment, tout en préparant mon exode pour le 16 ou 17 courant.

Je suis en train de préparer et d’écrire mon Bruxelles pour le Figaro illustré, c'est-à-dire 2 000 lignes de grand texte. De plus Huc m’écrit dare dare qu’il accepte pour 500 f par mois supplémentaires mes films de cinéma 3 fois la semaine – en dehors de mes causeries. Me voici donc 16 à 18 articles tous les mois à mener à bien.

J’ai reçu la lettre de Huc hier à midi. Le soir j’avais déjà fait deux des nouveaux articles de 75 à 80 lignes, de façon à être libre pour mes autres travaux. Si je me plie à cette besogne avec ma grande facilité acquise, ce sera bien. Si je sens que ça me fatigue je serai assez sage pour y renoncer. De même si ça m’empêche d’autres travaux.

Il a fait encore très, très froid hier – l’hôtel ne désemplit pas. Gaston Berardi et Pierson y sont venus hier passer la journée.

Irai-je à Anthéor aujourd’hui ? je ne sais. Je n’ai pu causer avec la mère Bouloumnié qui n’a pas le téléphone. Si le temps se lève, je verrai peut-être à m’y rendre à pied, d’Agay – mais j’hésite. Avec tous mes travaux, je ne crois pas que je puisse aller au Cannet. Je ferai un petit séjour de 3 à 4 jours à Marseille, puis une soirée à Lyon, un déjeuner à Beaune (où ? prière de demander à Mme M. de me dire la bonne auberge), un jour à Dijon et, si le temps n’était pas aussi froid, une visite à la tombe de notre chère mère à Auxerre où je coucherais le samedi 23. Ce serait le dimanche 24, peut-être pourrais-tu venir alors coucher samedi à Auxerre pour t’associer à moi dans ce pèlerinage.

Mais ce temps ci est calamiteux – Il ne peut durer 16 à 17 jours et on doit espérer une accalmie et un retour solaire.

J’écris à Rochard pour avoir de ses nouvelles, sa cousine est près de lui – je lui dis de ne pas compter sur moi cette année, c’est plus sage.

J’ai eu toutes sortes de nouvelles étranges sur ma petite dactylographe du Caire – je te conterai tout cela plus tard.

Comment va Angelo ?

As-tu vu Calmette et Glaser ? Est-ce enfin réglé ce déjà vieux compte ?

Amitiés à Mme M. et à sa fillette – Tu me diras comment cette énorme de Roddaz l’aura accueillie – Mme M. peut y aller de 3 à 5 environ je pense.

Si Céleste n’était pas là qu’elle demande Mlle Clarisse Macaire, (retour de Beaulieu), cousine de l’imposante ex-Torcheboeuf et native comme celle-ci de St Julien du Sault – c’est une excellente fille, très vieille amie à moi.

Mille tendresses en attente d’une lettre.

 

Octave

 

Le temps continue à être pluvieux, froid – J’ai lâché la Paulotte, Anthéor et ses hôtes – Santé avant tout.

Je viens de lire (Echo de Paris du lundi 4) les lois de taux de successions votées par le sénat. Si tu venais à hériter de moi, pour 100 et quelques mille francs tu aurais à payer 12 ½ % à 13 % soit, (avec mon appartement) 13.500 frs – c’est imbécile, tyrannique, odieux.

Moi, (admettant que tu laisses 60 à 70 000 frs, après encaissement de la promesse Mariani) j’aurais 11 ½ à 12 %, soit (ton logis étant estimé) 8 à 9 000 frs au minimum à payer à l’état.

Je désire donc aussitôt mon retour à Paris, que nous prenions nos dispositions respectives pour éviter ce don aux caisses de l’état, soit d’une façon ou d’une autre – tu peux consulter dès aujourd’hui un homme d’affaires à cette fin – avec notre mère il était impossible d’aborder ces combinaisons, et, il y a 6 ans les taux étaient bas. Entre nous mieux vaut envisager la chose avec sérénité et éviter de cracher à l’état des sommes aussi élevées et aussi inutiles. Et surtout ne remettons pas les choses – à nos âges fragiles – mettons nous à l’abri des vols de l’état – j’étudierai la chose de mon côté.

 

[ref. 1910.11][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] St Raphaël 6 avril 1910 – mercredi.

 

Il y a huit jours, mercredi dernier, que je fus chez le papa Ducreux et, depuis ce mercredi soir là, la pluie, la grêle, la neige fondue, les sautes de vent, la mer démontée, les petits raz de marée font rage sur la côte – c’est à peine si je puis sortir entre deux grains – le ciel se nettoie, le soleil perce et les nuages noirs arrivent verser leurs arrosoirs – c’est rasant à la longue. Il est vrai que j’ai furieusement à travailler pour achever mes 2 000 lignes (environ un volume de 200 pages, car ce sont d’énormes lignes) pour le Figaro illustré ; puis, l’air est pur, salubre, plein d’embruns, et le ciel, la mer, tout est pittoresque et revigorant durant mes sorties – je ne me plains donc pas, malgré le labeur, car pour la Dépêche j’ai 4 articles par semaine en ce moment qui suffiraient à ma tâche.

Je vais très bien, dors bien, modère ma nourriture et ne sens aucunement le poids des ans comme toujours jadis à Paris – je me ragaillardis chaque jour davantage.

Rien de nouveau à te dire – j’ai plaqué les amis, Dom, les anglais Davey à Nice, Rochard, Bertnay et suis bien heureux de n’être rasé par aucun engagement et me contrefiche de ceux qui protestent – les amitiés ce sont des égoïsmes en lutte. Il faut faire prédominer sa volonté.

J’arriverai avec difficulté à partir du 16 au 17 pour Marseille, mais encore ferai tout, comme toujours, pour partir à date fixée, quitte à travailler à Marseille où je désire séjourner 4 jours environ.

J’espère de tes bonnes nouvelles – j’ai eu hier à 3 h ta lettre du lundi, j’espère bien que tes yeux vont s’améliorer et que cette alerte t’aura servi plutôt salutairement.

Compliments à Mme M. Mes Tendresses fraternelles.

 

Octave Uzanne

 

[ref. 1910.12][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] (St Raphaël) Ce 7 avril 1910 – (jeudi).

 

Mon chéri,

Le mistral veut ce matin sauver la situation, ciel bleu et soleil nous reviennent – il était temps ; ça devenait désastreux, toute la Provence était inondée.

Je suis heureux des meilleures nouvelles que m’apporte ta lettre de ce matin, j’espère bien que, sur la fin du mois de mai, ta vue sera tout à fait en état.

Je souffre moi-même parfois de ma vue fatiguée et je m’arrête, car je sens des douleurs et élancements dans mon bon œil et le repos m’est nécessaire, mais le grand jour me fatigue plus que l’électricité.

J’ai vu hier Rouveyre (Edouard) profitant de ce que sa femme est seule ici, pour y venir passer quelques jours près de ses petits enfants. Brave homme, mais bien fruste et borné et dont on a vite fait le tour.

Je travaille ferme – la Dépêche parait agrandie – tu y verras mes nouveaux articulets intitulés « au fil des jours » et signés un Kodakiste. Le mois dernier j’ai eu 5 articles que tu n’as sans doute pas tous vus – J’aurai 3 au fil des jours par semaine et ma chronique en plus.

Rochard m’écrit ; il viendra me voir bientôt ici. Il est désolé d’apprendre que je ne vais pas au Cannet, mais tant pis ! –

Je pense partir le samedi 16 et rester à Marseille 3 à 4 jours, tout en y travaillant. Je reviendrai à Paris, comme te l’ai dit, par Lyon, Beaune, Dijon, Auxerre, si le temps s’y prête, couchant au La Fontaine le 23 au soir.

Ma petite dactylographe du Caire, Antoinette Tribier, devait passer aux assises ces jours derniers, avec la bande des faussaires socialistes et fabricants de faux-mandats postaux. Elle était la maîtresse de Gerbaut (qui fut condamné à 5 ans de prison). Elle a 19 ans ; son affaire a été disjointe et elle passera à une autre session – j’ai écrit à son avocat pour tâcher de la sauver ; elle n’est coupable de rien la pauvre fille ! – mais est-ce drôle la vie ! te raconterai ça.

Mes affectueuses tendresses – je repique au turbin.

Amitiés à Mme M.

 

Octave

 

J’ai renoncé à revenir par Toulouse car je n’y pourrais passer que du 20 au 24 en pleines élections et mes amis seraient trop occupés – je préfère y pousser une pointe en juin-juillet.

[ref. 1910.13][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] (St Raphaël) Ce dimanche soir 10 avril 1910.

 

Aujourd’hui, mon chéri, il fit un temps superbe absolument un temps d’été – après déjeuner, je fus à Agay en chemin de fer, puis je revis à pied, boulottant mes 9 kilomètres, seul, d’un pas allègre sous un ardent soleil.

Je fus au Dramont payer le coq acheté pour Rochard, et me le fis envoyer mardi matin à la gare d’Agay où j’arrangerai les choses pour le jardinier de Rochard le vienne prendre.

Demain lundi je vais déjeuner chez le dit Rochard au Cannet, et lui faire mes adieux. Il devait venir ici mais, il m’a l’air si abruti, si aplati que je préfère aller dare dare l’embrasser et revenir ici, car il n’en finirait pas de se décider et les indécis sont tellement gêneurs, à mon gré, ils rendent la vie si difficile à ceux qu’ils ne peuvent fixer sur une date, que je les plaque sans pitié pour n’en être la victime. J’ai ainsi plaqué durement Dommartin toujours à Beaulieu, Maëterlinck à Grasse qui ne pouvait me dire le jour où il viendrait, D’aurelle à Cavalaire, etc., etc., après avoir déblayé Rochard demain, j’irai mardi déjeuner chez les d’Arlon à Anthéor pour dire adieu aux Bertnay – Puis, ce sera tout – adieux faits par lettres aux amis de Nice, au papa Ducreux, à tout le monde.

J’ai retenu mon billet, c'est-à-dire une place dans le luxe Vintimille-Berlin » pour dimanche 17. Je filerai à 1 h et serai à Marseille à 3 h 45 – Excellente heure pour arriver à l’hôtel & se délasser avant d’aller diner – lundi et mardi serai à Marseille où je désire revoir les gens des Messageries et flâner à ma guise – un peu partout – mercredi 20 suis attendu à Lyon.

Ma vue est le contraire de la tienne et mon œil ne se comporte pas comme les tiens – c’est pourquoi je ne puis employer ton collyre – j’en ai un excellent à St Cloud, mais ma fatigue vient de l’immense clarté du midi, autant, sinon plus que du travail – l’électricité ne me fatigue pas et quand je sens une grosse lassitude, je me repose et me retrouve après en bon état – n’oublie pas de demander à Mme Million la meilleure auberge de Beaune pour repas et propreté de chambre si j’y dois coucher.

Houdé est toujours ici – Je le vois aux repas quand il vient mais je me réserve tout mon indépendance et m’en trouve bien. Je ne l’ai pas vu aujourd’hui, il a du aller au Trayas, car il cherche à marcher et à se fatiguer par hygiène.

Bons baisers fraternels.

J’espère te voir à Auxerre le 23 – Sinon j’irai de toute façon, sauf si le vilain temps froid s’y opposait – mais je prépare tout avec espoir de temps favorable. C’est mon pèlerinage annuel. Je tiens à le faire maintenant.

Si tu peux partir à 4 h (et en le voulant bien tu pourrais) – tu serais à 8 h 25, à Auxerre – c’est un excellent train à 3 classes très bon comme allure et correspondance, et à bonne heure pour arriver.

Je reviendrai dimanche soir et coucherai sans doute à Paris à l’hôtel.

Affectueusement

 

Octave

 

[ref. 1910.14][papier à en-tête de l’Hôtel Beau Rivage à St Raphaël (Var)] (St Raphaël) Dimanche matin 17 avril 1910.

 

Reçu ton mot ce matin – Je me mets en route – serai à 4 h à Marseille, Modern Hôtel.

Je pars toutes affaires faites – Figaro illustré terminé et Dépêche servie, tout le reste préparé pour exécuter en cours de voyage. Ce fut une rude poussée, mais nulle fatigue – avec méthode et volonté, on fait ce qu’on veut. Je n’ai pas à te faire mon itinéraire, il est généralement immuable dès que tracé – toujours mercredi soir à Lyon – jeudi soir Dijon (après journée à Beaune) – vendredi Dijon – Samedi : Laroche Auxerre – J’espère te trouver à 7 ½ à Laroche – si tu ne peux t’y trouver, envoie une dépêche à Lafontaine.

En tout cas vendredi au plus tard retiens ma chambre ou nos chambres au dit Lafontaine.

Mes tendresses, t’écrirai demain ou mardi.

 

Octave

 

As-tu oui ou non fait le virement à ma société de 750. Je ne puis obtenir réponse et une affaire, de ce fait, est en suspens – d’après ta lettre ce virement devait surement être opéré le 12, puisque le 11 tu me disais : « Demain sûrement je ferai virer ton compte, etc. » Je n’insisterais pas si cette somme ne formait appoint pour un ordre d’achat d’obligations – c’est toi-même qui m’a fixé.

 

[ref. 1910.15][papier à en-tête du Modern-Hôtel à Marseille] Marseille, Lundi 18 avril 1910.

 

Très bien arrivé hier avec un mistral, trouvé de l’air qui vous glaçait le sang, cap de diou ! mais quel soleil – ce matin mistral à bas, temps divin et je goûte l’ivresse marseillaise avec un pareil temps – depuis ce matin j’ambule pardessus sur le bras.

J’ai eu ta lettre merci – je ferai l’essentiel avec Sallès pour Hériot mercredi soir – j’ai déjeuné avec l’homme des Messageries ce matin, j’irai ce soir voir Tout en rose, revue aux Variétés.

Je travaille même ici avec agrément – cet hôtel est ce que j’ai trouvé de mieux – superbe chambre sur la cannebière et le port pour 6 f tout compris et admirable de confortable – sauf petit déjeuner on n’y prend un avantage précieux – car on peut aller librement partout – j’y reviendrai.

Je t’embrasse – t’écrirai de Lyon – Espère bien ramener le beau temps – Pour Mariani, tu vois ce que je t’ai dit – ça ira vite – je ne crois pas qu’il refasse en 1911 le déjeuner du salon – pauvre homme – aussi est il trop bête, que ne vit-il tout à fait à l’air – que ne navigue-t-il – il se remettrait – enfin, nous changerons rien – il est sous chap – et même sous Chapusot.

Je t’embrasse – affectueusement – amitiés à Mme M.

 

Octave

 

[ref. 1910.16][papier à en-tête de l’Hôtel Terminus et Buffet de la gare Lyon-Perrache, Cie PLM] Lyon, le 20 avril 1910.

 

Je suis arrivé ici à 2 h 21 ayant quitté Marseille par beau temps chaud, et bonne température en wagon – à Lyon il faisait ciel sombre ; j’ai senti ayant été (un quart d’heure au plus) au concours hippique, sur le cours du midi, que l’humidité de cette morne ville me pénétrait et je suis rentré prendre un grog chaud au kirch pour éviter d’être pincé.

J’ai écrit de Marseille à Sallès pour qu’il ait la tête et l’écrit de Hériot. Je dînerai ce soir avec lui et aurai sa réponse à ce sujet.

Demain, je t’écrirai de Dijon pour te dire le temps qu’il y fera et ma décision pour l’arrêt Laroche-Auxerre – si le ciel est beau mais la température froide, j’abandonnerai peut-être le voyage auxerrois (que je ferai deux ou trois semaines plus tard) mais si tout va bien avec une température moyenne et supportable, j’irai.

On ne peut à Lyon déterminer l’état thermométrique, c’est une ville à climat toujours hostile et froide comme ses habitants.

Je n’ai pas eu de lettre de toi hier à Marseille ni ici à Lyon aujourd’hui jusqu’à cette heure (6 h soir) j’espère que tu vas bien. Baisers bien affectueux.

 

Octave

 

Je serai à La Cloche demain à 1 h et vendredi.

 

[ref. 1910.17][papier libre] non datée non située (Lyon - date rétablie – 20 avril 1910).

 

L’encombrement des grands rapides « Marseille – Paris » me fait décider ceci : je partirai de Lyon, jeudi matin à 9 h 39 pour être à 7 h 07 à Dijon – c’est un bon express moyen avec M. R pour y déjeuner – ça me permettra de me reposer à Lyon et de ne pas partir à 7 h pour Beaune par médiocre omnibus fatigant. Je rentrerai vendredi à Dijon – le samedi matin, je quitterai Dijon à 8 h 45 pour être (en omnibus) à 9 h 44 à Beaune – J’y déjeunerai, visiterai l’hospice etc. J’en repartirai à 1 h 18, serai à Dijon à 2 h 15 (mes bagages y étant en consigne) et je reprendrai à 2 h 45 le rapide de Modane – Paris qui me conduira à Laroche à 4 h 38 – à 5 h 43 je filerai de Laroche sur Auxerre où je serai pour dîner à 6 h 17.

Je t’attendrai donc seulement à Auxerre, ce sera plus confortable, nous ne prendrons pas froid à nous attendre à Laroche et si par hasard il faisait un temps affreux, glacial, rendant dangereux ma pointe sur Auxerre, je continuerais sur Paris où j’arriverais à 6 h 30 – ayant dîné et à temps pour aller coucher à St Cloud.

Tu avoueras que c’est sage et prudent. Si le temps est beau ou tiède tu viendras à Auxerre certain de m’y trouver – d’ailleurs tu m’écriras – si je trouvais à Dijon une auto obligeante, j’irais à Beaune en auto et en reviendrais – ce n’est rien 37 à 38 kilomètres entre les 2 villes.

 

[non signé]

 

[ref. 1910.18][papier à en-tête de l’Hôtel de France, P. Mesmer, en face de la gare PLM, à Beaune (Côte d’Or). Ce 21 avril 1910.

 

J’ai bien dîné hier soir à Lyon avec Sallès et Jeanin et suis parti ce matin par l’express de 9 h 39 d’où je descendis à Chagny pour prendre, après déjeuner au buffet, l’omnibus qui me mit à Beaune à 1 h 18.

J’ai visité minutieusement l’hospice et le musée du dit hospice où se trouve le triptyque du jugement dernier du primitif flamand Van der Weyden – c’est une fort belle chose – l’hospice est très flamand en son ensemble – l’église notre dame est bien caractéristique, c’est une cathédrale admirable d’assises et de style – Beaune m’a charmé, c’est la Bruges de la Bourgogne. J’y ai marché 3 heures, je vais reprendre le train de 4 h 24 qui me conduira à Dijon à 5 h – j’y dînerai à la Cloche et y passerai la journée de demain.

Le temps est incertain, nuageux, avec des sautes de froid dangereux. En raison de la difficulté des trains pour rentrer avec mes colis de Auxerre à Paris, du jour des élections dimanche et du désir bien compréhensible que j’ai de regagner St Cloud après 5 mois d’absence, je préfère remettre à un autre dimanche, celui qui suivra les ballotages probablement ma visite à notre tombe chère – nous pourrons y aller ensemble, si c’est possible, dimanche ou semaine aller voir Desprès à Coulanges etc.

J’essaierai de te téléphoner de Dijon – j’ignore encore si ton téléphone est rétabli.

Je t’embrasse affectueusement – j’espère trouver de tes nouvelles ce soir à Dijon.

Je prendrai sans doute le train Pontarlier à Dijon samedi matin pour être à 2 h ½ à Paris et rentrer directement à St Cloud – si tu peux venir dimanche avec Mme M. j’en aurai grand plaisir.

 

Octave

 

J’ai vu la rue du Général Voillot mais ne suis pas allé voir Mme Martini – à quoi bon. Cette rue est la 1ère qui traverse l’avenue de la gare.

Sallès te demandera Hériot – c’est promis, mais c’est un garçon vacillant, il te faudra le relancer par lettre – je lui avais prié de demander aussi Augagneur mais il croit que celui-ci refuserait.


[ref. 1910.19][papier libre] Samedi matin (date rétablie – 20 août 1910).

 

Mon chéri,

Parti jeudi à 5 h, j’ai passé un bon moment à Houlbec en belle Normandie verte. Je suis revenu hier soir dîner à St Cloud – j’y vais travailler demain dimanche et, si je trouve ce soir mon permis à Paris (pour Bordeaux) j’irai lundi soir coucher à Toulouse – j’irai sans doute même si je n’ai pas le permis. Mes programmes sont généralement invariables. Je serai donc mardi 23 et mercredi 24 à Toulouse Grand Hôtel, je reviendrai coucher le 24 au soir à Bordeaux et serai de retour vendredi ou samedi prochain à Paris.

Le samedi soir j’irai coucher à Rouen, le dimanche 28 je serai à Caudebec pour St Wandrille d’où l’auto des de Roddaz me ferait faire une balade que je vais étudier à ma guise, par Pont Audemer etc.

Je ne reviendrais guère avant le 31 au soir – je pourrais te voir le 2, 3 ou 4 septembre si tu es encore parisien – le 4 je pourrais t’embrasser en tant que sexagénaire accompli.

Je t’envoie la lettre ci-jointe reçue hier de Capvern et un extrait du journal du Touring – Septembre dans les Pyrénées.

Mes tendresses cordiales.

 

Octave

 

Je pense que tu vas profiter de ton dimanche pour aller à la mer. Sinon, je serai chez moi demain.

 

[copie de la lettre de M. Cazes, Hôtel des Palmiers, Cazes, propriétaire, Capvern-les-Bains (Hautes-Pyrénées)] Le 18 août 1910.

 

Monsieur,

Je reçois votre lettre et je m’empresse de vous donner les renseignements demandés.

La saison à Capvern en septembre est très bonne, il y a encore beaucoup de monde aussi vous voudrez bien avoir l’obligeance de nous avertir du jour et heure de votre arrivée afin de vous réserver une bonne chambre.

Le prix est de 7 f par jour par personne chambre et nourriture comprise.

Espérant Monsieur que mes prix vous donneront satisfaction, veuillez agréer mes sincères salutations.

 

Cazes

 

[ref. 1910.20][carte postale de Toulouse – Cour Henri IV (Capitole) adressée à Joseph Uzanne au 172 Bd St Germain, Paris VIe] Toulouse mercredi 24 août (1910).

 

Selon programme, partirai après midi pour Bordeaux – y passerai soirée et demain jeudi reviendrai coucher St Cloud, enchanté séjour à Toulouse.

Ecris moi si veux venir déjeuner vendredi St Cloud, j’irai vendredi soir coucher à Evreux probablement.

Tendresses cordiales.

 

Octave

 

[ref. 1910.21][papier à ent-ête de l’Hôtel de la Marine L. Lalonde à Caudebec-en-Caux (Seine inférieure)] Lundi 29 août 1910.

 

Mon bon chéri, j’ai eu ton mot ce matin – tout s’est bien passé. Il y avait fort peu de monde hier à Caudebec ou j’ai eu une excellente chambre à « la marine » reconstituée – la soirée à St Wandrille a été pour moi fort émotionnante. Je n’ai jamais rien vu de si puissant, de si humain, de si merveilleusement féérique et dramatique que ce Pelléas dans ce décor de St Wandrille qui est une série de chefs d’œuvre d’architectures du passé.

Il n’y a plus personne que des anglais à l’hôtel – je vais aller à St Wandrille, ce matin, revoir Georgette et Maurice M. qui ont été exquis d’affection pour moi hier.

Les De Roddaz doivent venir déjeuner ici en auto à midi, après quoi je tâcherai de les liquider pour aller coucher à Rouen et rentrer demain à Paris – Rouen est une ville vue cent fois par moi – je la découvre chaque fois que j’y retourne – elle est cent fois supérieure à tout ce qu’on voir à l’étranger – je m’y plais infiniment.

Le temps est un peu bourrasqueux mais agréable.

Donne moi rendez vous pour vendredi, veille de ton départ je pense – je serai chez moi mercredi, mais n’irai pas à Paris – travaillerai – si tu veux y venir dîner, ce sera fort bien, sinon vendredi à St Cloud ou à Paris près de la gare.

Mes affectueux souvenirs à Mme Millon.

 

Ton Octave

 

[ref. 1910.22][carte-lettre à l’adresse de St Cloud] Ce 31 août 1910.

 

Mon chéri – voici les permis – tu me rendras ceux à plein tarif ou à ½ droit dont tu ne feras pas usage – il était inutile de demander Bayonne – Biarritz – c’est un peu ridicule pour moi – comme si on demandait Bois-Colombe – Paris ou Monéteau – Auxerre – je ne l’avais pas demandé, car Bayonne – Biarritz c’est Paris – Alfort – c’est la même chose.

Je suis rentré hier pour dîner. Mme de Roddaz est rentrée hier, après moi, à Paris, avec les Dommartin. Je suis chargé de t’inviter chez eux vendredi à 7 ½ 10 Bd Bonnes nouvelles. Elle t’avisera sans doute de son invitation par téléphone. Je lui ai remis ton n° - j’ai laissé espérer ton acceptation – je pense que c’est dit.

J’écris des lettres depuis ce matin, c’est au moins la 20e. Je vais écrire mon article pour la Dépêche et faire installer une nouvelle bibliothèque dans mon couloir.

Santé parfaite – alors c’est dit, vendredi soir, je pense, chez les De Roddaz. Ecris un mot à Céleste de Roddaz si tu acceptes. J’ai dit ton menu pour qu’il n’y ait rien pour toi à redouter.

Bien affectueusement. Compliments à Mme M.

 

Octave

 

Demain je serai chez moi jusqu’à 2 h et le soir dès 5 h.

Rochard est à Paris, je l’invite pour la semaine prochaine sans lui parler de toi.


(*) Source Fonds Y. Christ (1 J 780), Archives de L'Yonne, Auxerre. L'ensemble des lettres de la Correspondance entre Octave Uzanne et son frère Joseph (lettres d'Octave à Joseph uniquement) a été entièrement relevé par nos soins. Nous avons retranscrit l'ensemble que nous livrerons ici lettre par lettre. L'ensemble formera un corpus de 67 lettres pour l'année 1907, 95 lettres pour l'année 1908, 50 lettres pour l'année 1909, 22 lettres pour l'année 1910, 38 lettres de diverses années et 36 fragments ou lettres entières non datées, soit un ensemble de 308 lettres ou fragments de lettres. Notre projet arrêté dès fin 2012, début 2013, est de publier l'intégralité de cette correspondance avec notes explicatives. Espérons que nous pourrons mener à bien ce projet prochainement. La mise en ligne pour tous ici sera un premier pas permettant de juger au mieux de la relation fraternelle entre Octave et Joseph pendant les années 1907-1910, connaître l'intimité des deux frères ainsi que les pensées les plus intimes d'Octave Uzanne dans sa vie privée et publique. Mise en ligne Bertrand Hugonnard-Roche | www.octaveuzanne.com

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