vendredi 7 juin 2013

Octave Uzanne, Joseph Uzanne, Angelo Mariani et les Figures Contemporaines (Album Mariani) « [...] M. Angelo Mariani, un enthousiaste, un emballé, un sympathique, qui, grâce à son exquise bonté, compte à Paris autant de dévouements que d'amitiés dans le monde des lettres et des arts et qui, pour cette raison, mieux que naguère Grolier, aurait pu inscrire en devise sur chacune de ses livraisons : Mariani et Amicorum. »



Portrait d'Octave Uzanne gravé sur bois par Brauer
pour le premier Album Mariani (1894)
Nous avons choisi de regrouper ici les textes publiés par Octave Uzanne en tête de deux Album Mariani. Le premier texte intitulé « Prélude iconographique » date de 1894 et introduit le premier volume des Album Mariani. Nous ne revenons pas sur le détail de cette présentation si ce n'est pour signaler que les notices des Album Mariani, et ce dès les débuts, ont été rédigées par Joseph Uzanne (frère d'Octave Uzanne) « un rédacteur anonyme, journaliste émérite et écrivain de race, et qui veut demeurer masqué ». Le nom de Joseph Uzanne n'apparaîtra d'ailleurs qu'à partir du huitième volume en 1902. Joseph Uzanne fournit cependant la préface du troisième volume en 1897, que nous donnons ci-dessous.
Octave Uzanne fait partie des 24 premières personnalités biographiées pour le tout premier essai d'Album Mariani publié en juillet 1891 (première série). Cette biographie sera reprise pour le premier album regroupant les 3 premières séries (75 portraits) en 1894.

A notre connaissance, Octave Uzanne est le seul qui bénéficie alors de trois portraits gravés différents. Un portrait de tête gravé à l'eau-forte (profil gauche) pour la première série. Un portrait de tête gravé sur bois (profil gauche) pour le tirage de 1894. Un portrait-buste (profil gauche) gravé sur bois par Brauer (Uzanne appuyé contre une commode vénitienne) pour un autre tirage de 1894. Nous ne savons pas quel portrait parmi ces deux derniers a paru en premier, ni pourquoi il existe ainsi deux portraits différents. Est-ce une demande d'Octave Uzanne, insatisfait de l'un ou de l'autre ? Quoi qu'il en soit, on voit qu'Octave Uzanne avait une place à part dans la mise en place des Album Mariani.


Nous reproduisons ci-dessous l'opinion de M. Alain Delpirou, actuel Président des Amis d'Angelo Mariani :



Portrait d'Octave Uzanne
gravé à l'eau-forte par A. Lalauze pour
la première série de l'Album Mariani (1891)
« Un nouvel argument qui penche en la faveur du fait que l'on peut considérer Octave Uzanne comme le père intellectuel des Albums Mariani vient du point suivant : Angelo Mariani est un industriel qui réussit à grande échelle au début des années 1880. Il est accaparé par son travail. Parfois il est en contact avec des journalistes pour placer ses premières publicités. Il n'a pas beaucoup de temps pour rédiger ses textes. Mariani a par contre pour lui toujours la bonne intuition afin de choisir la bonne personne (quel qu'en soit le prix) pour faire prospérer ses affaires selon le domaine en question. Au même moment Octave Uzanne met sur pied en novembre 1889, la société des Bibliophiles Contemporains à Paris avec comme sous titre Académie des Beaux-Livres. Il en est le Président. Parmi les membres fondateurs se trouve un certain Angelo Mariani. Ce dernier a de toute évidence repéré son potentiel. En effet, Uzanne connaît le Tout Paris littéraire et politique et c'est alors une personne en vue. Dans ce contexte il apparaît peu étonnant que deux années plus tard apparaissent les trois premiers « petits » documents parus vers 1891 et qui ont servit de base pour le premier tome des Album Mariani avec un prélude ... d'Octave Uzanne. » (mai 2013)

Nous n'avons pas, pour le moment, d'autres informations que celles présentées ci-dessous, qui sont les notices imprimées de et sur Uzanne. Il nous paraît, à ce stade des recherches, prématuré de reconnaître en Uzanne la paternité intellectuelle des Album Mariani, même si l'idée est séduisante et somme tout assez logique. Ce qui est plus étonnant c'est qu'en novembre 1909, lorsqu'il publie dans le Figaro (puis en tête du douzième volume des Figures Contemporaines (1910), son frère Joseph n'est pas même cité. Pudeur ? Humilité fraternelle ? Quoi qu'il en soit, on sait par la correspondance privée entre les deux hommes à cette date que leur relation est des plus fraternelle et suivie. Nous y reviendrons prochainement.




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PRÉLUDE ICONOGRAPHIQUE
par Octave Uzanne
(introduction au premier Album Mariani de 1894)


« Je hais les portraits à la mort » s'écrie Jacques le fataliste, le protagoniste du Roman de Diderot !
« Et pourquoi haïssez-vous les portraits, lui dit son Maître ?
- C'est, répond Jacques, qu'ils sont généralement si peu ressemblants que, quand par hasard, on vient à rencontrer les originaux, on ne les reconnaît plus. »
Il est probable que cette boutade pouvait être prise pour une piquante vérité à une époque où la photographie, cette implacable et sincère reproductrice, n’existait pas. Les portraitistes alors n'étaient, en quelque sorte, que des imagiers idéalistes, aimant, à force d'art exquis ou flatteur et de touches suavement expressionnistes, se faire pardonner les agréables mensonges de leurs infidèles pinceaux.
On pourrait affirmer, sans paradoxe, que nous connaissons mal les siècles passés ; ils ne nous ont légué en effet que d'incertaines et astucieuses reproductions de leurs illustres contemporains dont la physionomie réelle nous serait cependant si précieuse à regarder d'un oeil inquisiteur, tant au point de vue de la documentation scientifique qu'à celui de la recherche physio-psychologique. - Sommes-nous bien assurés du visage de Rabelais, de Shakespeare, de Montaigne et de notre Molière ? - Connaissons-nous vraiment Voltaire, Beaumarchais, J. J. Rousseau, Rivarol, Montesquieu, Mirabeau, Soubise et Bonaparte, malgré la profusion des peintures, des sculptures, des miniatures et des gravures faites à divers âges de leur vie ? Il n'est pas, dans tout le passé, une pièce qui ne donne un démenti à une autre, si bien qu'avant de fixer sur le gélatino-bromure de notre appareil cérébral une des images consultées, nous hésitons à prendre parti, agités par une vague inquiétude, très désorientés devant un amas de documents tous extraordinairement contradictoires.
Si nous cherchons, parmi les icônes de la Révolution, un Robespierre, un Marat, une Charlotte Corday, un Danton, un Camille Desmoulins, nous nous trouvons encore plus désemparés devant les portefeuilles ventrus du Cabinet des Estampes, nous efforçant de chercher un symptôme de vérité parmi tant d'épreuves de portraits gravés d'un même personnage, qui n'ont entre eux aucun point de similitude qui puisse permettre, par l'étude et l'observation, de réaliser une synthèse.
Les statuaires qui ont accepté la tâche de personnifier quelque grand personnage d'antan jugé digne sur le tard de décorer une place publique, ne sauraient dire que nous nous plaisons ici à développer un facile paradoxe ; avant l'invention de la photographie, il n'est point, vraiment, de documentation positive qui puisse entièrement nous satisfaire et la vision de nos aïeux est d'autant plus incertaine et fugitive à notre regard qu'elle s'embrouille de mille traits antipathiques les uns aux autres.
Aujourd'hui, notre besoin de pénétration psychique, lorsqu'il s'agit d'un homme connu, réclame non seulement la reproduction directe ou interprétée de l'image fixée par la lumière, mais encore le fac-simile de l'écriture autographe. Nous aimons étudier la physiognomonie et la craniologie, démêler tous les traits du maître qui nous intéresse et, comme la science de l'abbé Michon s'est développée dans toutes les classes sociales, et que l'art de la devination à l'aide des lettres manuscrites est devenu un des passe-temps favoris, une des sorcelleries innocentes de ce temps qui s'amuse au jeu des révélations, les autographes sont non moins recherchés que les portraits par tous ceux qui aiment à contrôler le caractère de certains de leurs contemporains dont ils admirent le talent.
Un homme intéressant surgit ; on veut le voir pour surprendre dans ses traits les rapport du physique au moral et constater de quelles formes extérieures il a plu à la nature de le revêtir. Et ce n'est pas à tort, car, comme il est vrai que le plus souvent la physionomie est le reflet fidèle de l'homme intérieur, on se plaît à interroger les portraits de ceux qui, à quelque titre que ce soit, jouissent des faveurs de la vogue.

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Portrait d'Octave Uzanne gravé sur bois par Brauer
pour le premier Album Mariani (1894)
avec son autographe.
Nous pensons que M. A. Mariani, en entreprenant l'édition superbe de ses albums, déjà non moins illustres en France que sur les principaux points du globe, s'est pénétré de ces vérités psychiques et qu'il a, en créant son Exposition de Portraits modernes, obéi à un programme supérieurement élaboré comme portée de divulgation de son produit philanthropique. - Ce dont nous sommes toutefois d'ores et déjà assuré, c'est qu'il est en train de réaliser une des idées les plus ingénieuses et à la fois les plus utiles de ce temps, cependant si fécond en conceptions originales. Sous prétexte de provoquer une sorte de reconnaissant Plébiscite parmi les hommes marquants de l'heure présente qui ont pu apprécier les vertus reconstituantes de la Coca assimilée au vin de France, il a ouvert une Galerie de Contemporains déjà remarquablement tapissée de nombreux portraits de personnages en vue et qui, tenue à jour avec méthode et zèle pendant quelques années encore, formera bientôt la plus complète et la meilleure iconographie de cette fin du XIXe siècle.
Lorsque vers juillet 1891 parut la première série de vingt-quatre portraits contemporains, sous ce titre Album Mariani, en un joli format in-4°, imprimé sur superbe papier des Vosges, avec une typographie remarquable et une suite de portraits à l'eau-forte légendés d'amusants autographes qui tous chantaient spirituellement la gloire de la Coca en bouteille, ce fut, nous nous en souvenons, parmi les premiers bénéficiaires de ce Livre unique et de haut goût, une surprise sans égale, une joie de parfait dilettantisme. Les Bibliophiles, qui furent les premiers à la curée, exprimaient une béatitude de dormeurs éveillés en tenant ce beau livre dont il leur était fait hommage.
En effet, cet Album, ou plutôt ce début d'album qui ouvrait la perspective d'un recueil formidable de 500 portraits contemporains destinés à paraître successivement, n'était pas, en dépit de son luxe, une oeuvre mise en vente à prix d'or ; il était offert à un public distingué et sélect mais cependant fort nombreux, sous un généreux prétexte de publicité.
Ce petit Panthéon de nos gloires contemporaines dans tous les milieux de la science, du talent et de la beauté, qui semblait digne d'avoir été entrepris par quelque fermier général en veine d'une sage débauche de folie, avait été exécuté et ingénieusement combiné par le vulgarisateur de la Plante sacrée des Péruviens, de la divine Coca en Europe, par M. Angelo Mariani, un enthousiaste, un emballé, un sympathique, qui, grâce à son exquise bonté, compte à Paris autant de dévouements que d'amitiés dans le monde des lettres et des arts et qui, pour cette raison, mieux que naguère Grolier, aurait pu inscrire en devise sur chacune de ses livraisons : Mariani et Amicorum.
A une époque où la réclame s'américanise avec brutalité, où les millionnaires de l'industrie cherchent dans la vulgarité de l'annonce, dans la pitrerie de l'affiche, les moyens d'attirer l'attention, alors que les charlatans de la médication chimique, de l'alimentation condensée, de la hâtive réparation des ans, que tous ceux qui spéculent sur la masse et vivent de la publicité jettent par le monde des sommes considérables pour recommander leurs panacées universelles et frapper l'esprit du public par l'indigestion de la chose lue, perçue, sentie, écoutée jusqu'à l'outrance, il est consolant de voir un gentleman d'affaires assez artiste, assez audacieux et assez sûr de ses relations dans les lettres, les sciences et les arts pour canaliser ses principales ressources vers une oeuvre aussi élevée, aussi utile, aussi complète en tous points que celle de cette iconographie formidable qui, pour la postérité, sera certainement une si précieuse référence.
Perrault, avec son recueil des Grands Hommes du XVIIe siècle, Titon du Tillet en fondant son Parnasse-François, F.S. Delpeck, dans son Iconographie des contemporains, entreprise vers 1823 ; Gaucher, Fiquet, Desrochers, de Ghendt et autres graveurs célèbres de portraits d'autrefois pour les raisons que nous donnons au début de ce prélude, auront moins servi les intérêts de l'art documentaire en France que notre ami Mariani, en admettant, ce qui est probable, qu'il parvienne d'ici quelques années à mettre au jour les cinq volumes ou quatorze livraisons qui doivent compléter le défilé d'environ cinq cents figures de célébrités diverses de cette fin de siècle, gravées habilement sur cuivre, à l'eau-forte, d'une pointe à la fois dégagée et scrupuleuse, par un virtuose de l'eau-forte.
Jusqu'à ce jour, trois séries ont été publiées qui se trouvent réunies en ce premier volume, comprenant soixante-quinze portraits, tous gravés d'après le maître aquafortiste Adolphe Lalauze, avec un grand souci de la ressemblance et un esprit de facture souple et sans parti pris qu'on ne saurait trop louer. Les cuivres originaux sont mordus avec art et cuisinés avec une savoureuse entente des ragoûts de l'eau-forte, ils peuvent rivaliser avec les plus beaux portraits de ce temps. Quant aux gravures sur bois de l'Edition courante, elles sont dues au burin habile et délicat d'un jeune "clever in wood engraver" comme disent nos voisins : M. Henri Brauer est certainement un des premiers parmi ceux qui tiennent à prouver que l'art de la reproduction sur bois est actuellement en pleine Renaissance. Au bas de chacune des figures, directement sous l'icône, apparaît l'autographe fac-simile du portraicturé, tandis qu'en deux pages précédentes, un rédacteur anonyme, journaliste émérite et écrivain de race, et qui veut demeurer masqué, a retracé par des notes substantielles, sérieusement documentées et exemptes des flagorneries d'usage, la vie et les oeuvres de chaque homme en vue. - On possède dont à la fois biographie, bibliographie, portrait et autographe, c'est-à-dire la synthèse nécessaire pour la curiosité des admirateurs, des physiologues, des psychologues et des graphologues. - Que pourrait-on désirer de mieux ? - Nos petits neveux auront là comme la quintessence absolue de toutes les individualités intéressantes de cette époque si foisonnante de physionomies curieuses et qui méritent d'être fixées.
Au début du grand règne, un Album semblable à celui-ci eût fait fureur parmi le public des ruelles, alors si friand de ces ragoûts apolloniens, le Parnasse eût retenti de clameurs enthousiastes, le fameux Recueil de Sercy s'en fut ressenti et Louis le Grand, le bon roi Soleil d'avant la Maintenon, n'eût point manqué de convier solennellement Mariani à sa table et de signer au dessert quelque croquis de son auguste tête, mis au carré par Mignard en vue d'illustrer le Recueil de Mariani, qui, alors aurait pris évidemment pour titre celui de Temple de la Gloire.
Aujourd'hui, la vie plus fiévreuse, plus féconde en surprises, plus prodigue en curiosités de toute nature, nous force à morceler notre enthousiasme et ne nous permet plus de lambiner, de prendre des temps pour admirer, avec de savoureuses lenteurs, les oeuvres de librairies qui, de toute part, apparaissent si abondamment illustrées. Cependant, dans la profusion des livres de premier ordre qui se montrent actuellement sur le marché sans cesse renouvelé, nous aimons à croire que celui-ci obtiendra un succès considérable, et ce qui est plus rare : durable. Il s'adresse, en effet, au grand public de la curiosité, au tiers état de la nation intellectuelle. Il vise également tous les européens amis de la France et même au delà : les Américains et Américaines, qui se montrent à l'heure présente si passionnés pour les physionomies célèbres de ce temps, si épris également des mystères de l'écriture des hommes marquants du jour.


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De plus, le prix de cet Album est jusqu'ici sans exemple. Il inquiétera même l'acheteur peu habitué aux prodigalités des éditeurs, et peut-être ce brave et soupçonneux acheteur se méfiera, comme naguère se méfiaient les passants quand, par gageure, un fantaisiste s'avisa un beau jour d'offrir, sur le Pont des Arts, de véritables pièces de cinq francs en argent, moyennant deux sous, sans parvenir à en écouler une seule.

A l'origine, M. Mariani, loin de mettre en vente à prix d'or la série de ses albums édités avec un si grand luxe, était heureux d'en faire hommage à tous ceux qui, à titre d'artistes, de bibliophiles, d'érudits, de mondains connus, de littérateurs et d'hommes distingués dans tous les rangs sociaux, lui en faisaient la demande. L'aimable Mécène est demeuré dans les mêmes dispositions, mais derrière la sélection qu'il s'empressait de satisfaire, une foule de quémandeurs surgit, véritable cohue poussée par le bruit du premier volume, et les demandes affluèrent par milliers, tellement hors de proportions, avec la générosité même la plus folle, que le donateur dut s'avouer vaincu pour ne pas de déclarer ruiné.


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Portrait d'Octave Uzanne
gravé à l'eau-forte par A. Lalauze
pour la première série
de l'Album Mariani (juillet 1891)
Ce qui ne laisse pas que de surprendre dans ce premier recueil de soixante-quinze figures contemporaines, c'est la variété extraordinaire d'hommes d'élite qui s'y trouvent groupés pour chanter sur divers modes gaulois les bienfaits de la plante péruvienne infusée par Mariani dans le vin de notre terroir : Don Pedro s'y rencontre avec le cardinal Lavigerie, le Dr Fauvel y figure près de Ruiz Zorilla, Rosita Mauri y apparaît esquissant une pointe non loin du sculpteur Rodin, le barbu ; Séverine s'y montre à peu de distance du Père Didon, Cunéo d'Ornano auprès de Rochefort, Emile Zola, enfin, l'académicien de demain, y exprime une des phrases les plus éloquentes de la théorie scientifique du Dr Pascal, et cela sous les yeux bienveillants de Sardou, de Mézières, de Jules Simon et de Claretie, les académiciens d'aujourd'hui dont les voix déjà lui sont acquises.
Gounod, Holmès, Joncières, Salvayre, Faure et Pessard ébauchent en l'honneur du célèbre dictame Mariani des hymnes Cocaphoniques très vibrantes, ainsi que des marches triomphales dont les premières mesures échantillonnent avec éclat et bonheur l'esprit d'harmonie. Puis viennent les peintres Roybet, Chartran, Pille, Domingo, Robida, Français, et vingt autres, qui, loin de se contenter de parapher leurs autographes, s'appliquent en outre à joindre à la plume les effets du crayon et à esquisser de jolies compositions pleines de maîtrise et de spirituelle facture.
C'est donc une sorte de concours d'esprit et de talent qui paraît avoir été ouvert dans les pages de cet Album ; les poètes y ont prodigué les sonnets, les sixains, les huitains, les stancs, les madrigaux et les quatrains avec des richesses de rimes Banvillesques et une fantaisie parfois Scaronienne ou Bergamasque, comme dirait Caliban. Ajoutons même que la poésie, dans ce recueil, se fait de ci, de là remarquer tout à coup, à l'improviste, sans crier : gare ! par une sorte de coquetterie étrange de la part de ceux qui nous semblaient le moins voués à ce sport intellectuel.
On s'étonne aussi de voir M. Christophe, gouverneur du Crédit Foncier, versifier avec élégance, de surprendre Poubelle s'idéalisant au-dessus de la boîte utilitaire qu'il baptisa, d'écouter la muse de Victorien Sardou, celle de Mézières et de goûter l'aimable facture d'un charmant quatrain de Mounet-Sully dont on ne connaissait jusqu'ici que l'art de dire superbement les vers et non d'en pénétrer.
Il fallut donc établir une digue, et ce fut sous forme d'Edition populaire que l'ingénieux « Panthéonisateur »
 (lançons le mot !) de ses Contemporains vient de la dresser, sous le titre du présent ouvrage, dont le prix de revient est plutôt supérieur qu'inférieur au prix de débit. Mais le déficit sera tout au moins restreint et pourra peut-être s'atténuer davantage par l'Edition de luxe destinée aux Bibliophiles amis du papier de Japon et de Chine. Selon les bons principes des boulangers humanitaires, ce sera le prix de la brioche qui dégrèvera celui du pain courant. C'est faire de la bonne politique sociale que de demander aux plus riches et aux plus délicats de satisfaire à la possibilité de favoriser la masse.
Résumons-nous : M. A. Mariani, qui est l'un des plus sympathiques Parisiens de ce temps et qui ne pourrait se contenter de la maison de Socrate, tant sont nombreux les amis que sa bienveillante humanité a réuni autour de lui, a eu l'admirable pensée de faire appel au concours de tous les surmenés qu'anima, fortifia, reconstitua, tonifia ou regaillardit son vin à la Coca et comme, parmi ceux qui avaient bu à cette source de Jouvence, se trouvaient en grand nombre les lutteurs opiniâtres de cette fin de siècle, mangeur d'hommes et déprimeur de forces, il se trouva posséder une collection de paroles reconnaissantes dont il pouvait tirer une banale réclame pharmaceutique, mais dont, au contraire, il eut la conception de faire une oeuvre supérieure à la publicité, dominant l'annonce, anéantissant toute suspicion de procédés charlatanesques. - Il y consacra tous ses soins, son temps, sa bonne grâce et ses goûts artistiques et, comme cette oeuvre a pris corps aujourd'hui, comme elle est vivante, curieuse, intéressante pour tous, que, de plus, elle s'affirme honorable pour notre pays, qu'elle apparaît comme devant être un précieux document pour la postérité, ce nous est un plaisir que de préfacer ici à l'improviste et à la bonne franquette cet ouvrage tout fleuri de physionomies sympathiques par le talent et pour ainsi dire parfumé en ses délicieux autographes d'un esprit primesautier qui reste délicatement français dans l'art affiné de la louange.
Cependant étions-nous bien en situation d'écrire ce prologue, lorsque tant de grands premiers rôles qui figurent dans le défilé de cet Album se seraient plu, pensons-nous, à présenter cet ouvrage au public ? - Nous aurons, en tout cas, eu l'honneur de pousser le premier bravo ! le premier hourrah ! en faveur de ces illustres Contemporains spiritualisant la divine Coca et nous espérons que M. Mariani convoquera d'autres préfaciers pour les tomes à venir. Chaque nouveau volume mérite, en effet, d'autant mieux sa fanfare d'éloges et sa causerie synthétique, que le public se plaît assez à écouter ceux qui l'arrêtent un moment aux bagatelles de la porte. De plus, à tout monument il faut un cicerone ; c'est pourquoi, à ce Panthéon qui porte sur son fronton : « A la Coca les grands hommes reconnaissants », il sera nécessaire désormais de renouveler à l'ouverture des nouvelles Galeries, le guide expert chargé de révéler aux curieux étonnés, les mérites chaque jour plus appréciables et plus étendus de la belle Fondation Mariani.


Paris, 24 novembre 1893.

OCTAVE UZANNE.



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NOTICE ALBUM MARIANI
(première série 1891- premier album 1894)

OCTAVE UZANNE
(par Joseph Uzanne)


Portrait d'Octave Uzanne gravé sur bois par Brauer
pour le premier Album Mariani (1894)
Seconde ou première version ?
Avec son autographe (différent).
Quand ont vient pour la première fois chez Octave Uzanne, tout est surprise : d'abord la solennité un peu froide d'un large escalier à rampe forgée, ensuite la hauteur démesurée des étages, dans cette maison très ancienne du quai Voltaire, puis enfin, s'ouvrant à droite du cinquième palier, une porte comme un artiste byzantin eût rêvé celle du paradis, un double panneau étincelant d'icônes, d'ors et d'arabesques, une éblouissante floraison de nuances archaïques et qu'on croyait à jamais perdues dans la légende blasonnée des croisades, les sinoples, les sables et les azurs, une hérésie héraldique où semble avoir été commis à plaisir le sacrilège d'entasser couleur sur couleur et métal sur métal.
On sonne et voici qu'un carillon flamand tintinnabule et se répond dans la profondeur des pièces. La porte s'ouvre, vous êtes introduit ; vous traversez une antichambre encombrée de bibelots, vous passez entre deux murs couverts d'émaux, de cuirs repoussés, de gravures, d'aquarelles, de taches sombres ou rutilantes qui miroitent devant les yeux hallucinés ; d'autres portes plus somptueuses et plus féeriques encore que la première achèvent d'égarer votre attention émerveillée, et vous arrivez ainsi, sans vous en douter, dans le cabinet du poète qui a compris jusqu'à la coquetterie de la poésie, et à su éditer pour elle des livres précieux comme des joyaux.
Uzanne est à sa table de travail, devant la fenêtre aux vitraux blonds, à travers lesquels on voit trembloter des fleurs aux calices bizarres, iris ou capucines. Une jolie tête brune toute embroussaillée ; des traits fins, réguliers ; un profil phocéen ; un nez très pur de médaille, mais une bouche rabelaisienne, fendus par le large rire ; des yeux légèrement bridés par la fatigue, avec des réveils de gaîté et d'ironie ; contraste par la simplicité de ses manières avec la recherche précieuse du cadre dans lequel il apparaît ; original sans la moindre pose.
Octave Uzanne passe aux yeux du public pour un érudit, un bibliophile, un maître incomparable dans l'art de faire une belle édition, d'en soigner le détail, depuis la typographie jusqu'à la couleur du papier et l'agencement de la couverture ; possède, au goût des lettrés, un mérite beaucoup plus rare, celui de savoir écrire un livre, et de le bien écrire.
Barbey d'Aurevilly, qui n'était pas précisément très tendre aux jeunes auteurs, aimait Uzanne, et appréciait en lui un talent spécial fait de grâce élégante et amoureuse. Le maître hautain, qui jonglait avec la langue, voulut que son nom fut associé à une des premières oeuvres d'Uzanne romancier et lui donna la préface de Bric-à-Brac de l'Amour.
« Vous n'avez pas, lui disait-il, que cette puissance de la langue qui vient de l'amour que Vous avez pour elle, Monsieur ; Vous en avez une que votre livre atteste et qui vient de l'amour aussi, c'est le sentiment de la Femme. Vous l'avez comme on ne l'a plus dans notre époque refroidie ... Vous avez l'imagination amoureuse. »
Grâce à la complicité de Barbey d'Aurevilly, peut-être avons-nous présenté sous son vrai jour l'artiste délicat et pimpant qu'est Octave Uzanne, frère de ces poètes d'extrême-Orient, ciseleurs de rêve, peintres de ciels impossibles, âmes de papillons qui polissonnent avec des fleurs précieuses ; Outamaro embellissant des livres rares comme l'aurore décore les maisons vertes et qui attend sans doute un Goncourt japonais pour historien.


[JOSEPH UZANNE]



Résumé bibliographique
qui se trouve à la suite de la notice de l'Album Mariani
(première série 1891- premier album 1894)


UZANNE (Louis-Octave), éminent lettré, érudit et bibliophile français, né à Auxerre, le 14 septembre 1852 (sic), fonda plusieurs recueils périodiques, entre autres "Le Livre", qui parut mensuellement de 1888 à 1890 (sic), et que depuis cette époque il dirige presque seul sous le titre de "Le livre moderne". Essayiste spirituel, Octave Uzanne a écrit des préfaces charmantes à une longue série de livres rares d'érudition. Il a surtout illustré en maître les livres galants français du XVIIIe siècle ; il a aussi illustré, en quatre volumes, les Poètes de ruelles au XVIIe siècle. Parmi ses livres détachés, les suivants lui ont créé une réputation d'écrivain délicat : Caprices d'un Bibliophile, nouvelle (1877, in-8°) ; le Bric-à-Brac de l'Amour (1878, in-8°) ; le Calendrier de Vénus (1879, in-8°) ; les Surprises du Coeur (1880, in-8°) ; l'Eventail (1881, in-8°) ; l'Ombrelle, le Gant, le Manchon (1882, in-8°) ; Son Altesse la Femme (1884, in-8°) ; la Française du Siècle (1886, in-8°) ; Nos amis les livres, Causeries sur la littérature curieuse et la librairie (1886, in-18°) ; la Reliure moderne, artistique et fantaisiste (1887, in-8°) ; Du Pont Royal au Pont Marie ; le Miroir du Monde ; Notes et Sensations de la vie pittoresque (1887, in-4°) ; les Zigzags d'un Curieux (1888, in-18°) ; Physiologie des quais de Paris (1890, in-8°) ; le Paroissien du célibataire (1890, in-8°), etc., etc. Toutes ces éditions sont très soignées. - A fondé, en 1890, une société littéraire et artistique, les Bibliophiles contemporains "Académie des beaux livres" dont le nombre des membres a été fixé à 160, et dont le but est de publier, avec un grand luxe artistique, des ouvrages d'auteurs contemporains. [les fautes/coquilles ont été conservées].


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Texte de l'autographe de l'Album Mariani
(première version - juillet 1891 et 1894)

Si Homère avait connu la Divine Coca, il n'eût assurément point chanté le fameux Néphenthès, Panacée à tous les maux du corps et de l'âme.
Les Prêtres Incas brûlaient la Coca sur l'autel du soleil ; de même, nous la brûlons encore, consumant ses vertus dans le suc ensoleillé de nos vignobles, et mêlant en nous, - grâce à Mariani, - la feuille sacrée des Péruviens et la grappe magique de la vieille Gaule.

Octave Uzanne



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Texte de l'autographe de l'Album Mariani
(deuxième version - 1894)

Combien supérieur au Moka dont l'usage est souvent néfaste, ton vin, Mariani-Coca !
Il rend à tous nos vieux Académiciens un nouveau faste,
Oh ! le puissant et doux moxa !

Octave Uzanne


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"LES FIGURES CONTEMPORAINES"
A LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE
(douzième volume, 1910)

par Octave Uzanne


Page de titre
du premier Album Mariani (1894)
Au dernier printemps [mars-juin 1909], je berçais un heureux farniente matinal dans le rocking-chair du Hall-reading-room d'un Palace-Hotel de la Riviera. Près de moi, tandis que je regardais, - garé contre le mistral, - les troupeaux de Neptune frisant leur blanche toison sur la crète des vagues de la Mer antique, je perçus comme une violente controverse verbale entre deux jeunes gens. La discussion portait sur l'oeuvre d'un maître médailliste de l'Institut, précisément en villégiature sur la côte. L'un des discoureurs soutenait que ce graveur célèbre avait signé certaine plaquette connue ; l'autre en attribuait la paternité à un confrère moins glorieux. Affirmations et négations aboutirent à un pari. Pour en déterminer l'issue, il convenait de trouver d'indiscutables livres de références. Le Grand Larousse datait ; les Memento Encyclopédiques étaient trop sommaires. L'un des parieurs proposa : « J'ai cru voir ici des volumes de l'Album Mariani. C'est bien ce qu'il nous faut ! » - L'adversaire essaya de la blague et de l'ironie ...
« Mais non, reprit l'autre ... Mais non, c'est très bien fait, très sérieux, tu vas d'ailleurs t'en rendre compte. »
Il fut à la bibliothèque de la salle de lecture, compulsa rapidement les tables des onze volumes jusqu'alors parus des Figures contemporaines, où tous les hommes notoires de ce temps chantèrent les vertus de la Coca régénératrice, la biographie nécessaire ne fut pas longue à trouver, et, triomphant, le jeune vainqueur du pari cita à son ami confondu un texte confirmant nettement que Oscar Roty (car c'était de lui qu'il s'agissait) était bien le créateur de la Médaille du centenaire de Chevreul, C. Q. F. D., comme on dit au Collège.
Je ne pouvais me soustraire au souvenir de ce pari, dont l'album les Figures Contemporaines avait été l'arbitre, lorsque j'appris que M. Angelo Mariani venait de faire don à la Bibliothèque Nationale de la collection reliée des notices et gravures des Douze volumes de son Recueil panthéonesque, avec adjonction des lettres, dessins, aquarelles, autographes, originaux de toutes les personnalités qui s'y pressent.
N'est-il pas surprenant de penser qu'une telle oeuvre eut pour origine la publicité ? Mais quelle publicité ingénieuse, pour ainsi dire philosophique, que celle qui, dans la mutualité des bons procédés, affirme à la fois les vertus d'un vin bienfaisant aux hommes et la valeur des hommes qui attestent l'excellence de ce breuvage !
Mariani, on doit le reconnaître, eut le génie d'imaginer et de mettre en pratique une formule qui finira bientôt par devenir proverbiale, tant les résultats en sont concluants : Publicité bien ordonnée commence par les autres - par et pour ceux qui la font.
Grâce à cette conception exceptionnelle d'une publicité, - dont Balzac eût déclaré l'art transcendental, - car elle cesse vraiment de s'apparenter avec l'annonce ou la réclame, le créateur du vin à la coca, a pu réunir, en une sorte de Galeries des Illustres, près d'un millier de contemporains de première marque, depuis les chefs d'états, d'églises et d'armées, jusqu'aux savants de laboratoire, aux professeurs de science médicale, aux thérapeutes, aux cliniciens, aux artistes et écrivains, aux hommes et femmes du théâtre français et étranger.
Mariani, puissant accumulateur de sympathies, pouvait seul réaliser l'oeuvre en question. Ceux qui lui prêtèrent, d'un spontané élan, leur concours devinrent, sans exception, ses amis ; non pas de ces amis frivoles et passagers comme chacun de nous en compte tant sur les boulevards, mais des amis dévoués, fervents, persistants, qui sont l'honneur d'une existence.
En faut-il un exemple entre mille ? Je le découvre dans l'un des tomes offerts à la Bibliothèque ; c'est une lettre ajoutée à la biographie du poète des Trophées et datée de novembre 1902. L'académicien écrit à son ami :

Nous avons fait aujourd'hui le mot coca à l'Académie et j'ai eu le plaisir, en songeant à vous, de faire ajouter à l'ancienne définition ces trois mots : Vin de coca. J'aurais bien voulu y joindre votre nom, mais ce n'est pas dans les usages. Il aurait fallu que vous fussiez mort et j'aime mieux que vous soyez bien vivant. A vous.



J.-M. Hérédia.

Et cette lettre du poète de Mireille, n'est-elle pas également à citer :


Maillane, 8 février 1893

En vrai fils d'Apollon, mon cher Mariani, vous dispensez aux mortels la santé et la gloire. Je suis en admiration devant l'album magnifique où vous voulûtes bien appendre mon portrait, superbement gravé par Lalauze et amicalement enluminé par Paul Arène. Merci, et qu'Apollon vous le rende à sa manière.



F. Mistral.

Une autre encore de l'académicien administrateur de la Comédie-Française que voici, datée de Viroflay :


Nous retrouver et honorer Armand Silvestre : double plaisir. Vous pouvez dire que vous aurez passé dans ma vie comme un génie bienfaisant et je vous aime de tout mon coeur.



Jules Clarétie.


Page de titre
de la Première Série
de l'Album Mariani (juillet 1891)
Faire partie des Albums Mariani est aujourd'hui une consécration du succès. Tous les arrivés y sont représentés, iconographies, étudiés, biographiés, rigoureusement. Aussi, les arrivistes y sollicitent-ils leur admission ; mais il faut montrer patte blanche de réelle valeur et de talent et n'est point accueilli qui veut.
Douze volumes déjà publiés des Figures contemporaines constituent comme autant d'Annuaires de Gotha de la noblesse intellectuelle des deux mondes.
Ce n'est donc pas une surprise pour nous d'apprendre avec quel intérêt reconnaissant M. Henry Marcel, administrateur de la Bibliothèque Nationale, apprécia hautement la libéralité de M. Angelo Mariani offrant à notre admirable conservatoire des livres, ce recueil si complet. Les douze volumes de la Collection, ici dédoublés en vingt-quatre tomes (tant les pièces additionnelles originales y sont nombreuses), se trouvent somptueusement et différemment reliés par M. Charles Meunier, qui a prodigué sur les plats et les dos de ces volumes des petits chefs-d'oeuvre de cuirs incisés, d'incrustations de médailles, de mosaïques harmonieuses, lorsque ce ne sont pas des artistes en renom qui y signèrent des aquarelles.
Une exposition temporaire dans le vestibule d'honneur de la Bibliothèque nationale, attenant au cabinet de l'administrateur général, a été aussitôt organisée. Les Figures contemporaines ont donc pu, sans détail, y être admirées et consultées avant de prendre rang dans les départements d'élite de nos grandes collections. Elles voisinent actuellement avec les belles publications, richement habillées du legs Andéoud. Plus tard, les curieux qui demanderont à consulter les Albums Mariani seront charmés par l'abondance des lettres amicales, des dessins, croquis, épreuves successives de gravures, variantes, essais divers qu'ils y verront en état absolument unique.
Ceux qui voudraient faire une étude spéciale sur l'esprit de la publicité à notre époque, et qui n'auraient point connu Angelo Mariani comprendront difficilement par quel moyen cet inventeur et producteur d'un vin fortifiant put arriver à réunir autour de lui, sans avoir jamais songé à se les attacher par des munificences royales, tant d'hommes illustres empressés à servir ses intérêts en devenant ses amis.
Les amis de Mariani, on les compare non seulement parmi ceux qui préfacèrent les Figures Contemporaines de la première heure, Jules Clarétie, le plus dévoué et le plus affable des Marianiste, Armand Silvestre, Oscar Roty, Maurice Bouchor, moi-même et, parmi tant d'écrivains et illustrateurs qui lui dédièrent des contes spécialement consacrés au vin de coca, mais également parmi les maîtres de la statuaire, de la peinture, de la médecine, du barreau et de la science.
Cette publicité altruiste et mutualiste qu'il innova dans les suppléments et les albums publiés avant tant de vaillante continuité a été, il fallait s'y attendre, imitée, copiée, déformée, caricaturée même par d'innombrables industriels, car les méthodes de succès ont toujours des plagiaires. Cependant, aucun autre que Mariani ne pourra jamais réunir autour de soi autant de notoriétés et de célébrités accordant à l'instinctive sympathie, à l'attirante bonté d'un homme incomparable ce qu'ils refuseraient assurément au banal intérêt ou à la vulgaire réclame.
Ce n'est pas le nabab, c'est le philanthrope qui put mener à bien ce monument de biographies et de portraits dont la Bibliothèque Nationale vient d'accueillir le don en exemplaires originaux. Ce don, il faut bien le remarquer, authentifie, pour ainsi dire, la valeur de centaines et centaines d'autographes, presque tous alertes, spirituels, amusants, confraternels, amicaux et poétiques. Aussi bien, l'accueil fait à cette libéralité, l'exposition publique accordée à ces livres exceptionnels témoignent, sans qu'on ait à y insister, de leur intérêt et de l'importance qu'on doit attacher à leur contenu.
Les Album Mariani, à mon sentiment, pourraient devenir de précieux et instructifs documents à consulter dans nombre de bibliothèques départementales et municipales de France, où les lecteurs retireraient tant de plaisir et d'enseignement à les parcourir. Je ne doute pas un seul instant que, s'il en était prié, ce généreux
« Bonhomme Étrennes », qu'est Angelo Mariani, s'empresserait de répondre aux désirs officiels des bibliothécaires par l'envoi des rares collections de ses publications, aujourd'hui classées et si recherchées.


Figaro, 25 novembre 1909.

O. U. [OCTAVE UZANNE].



* * *


LES FIGURES CONTEMPORAINES
DES ALBUM MARIANI

par Joseph Uzanne

(sert de préface au troisième volume de 1897)



Carte de visite d'Angelo Mariani
qui se trouvait dans un exemplaire offert
de la Première Série (juillet 1891)
Rares sont les éditeurs qui - dans cette seconde partie du XIXe siècle si prodigieusement producteur d'hommes illustres, dans toutes les ramifications des arts, lettres et sciences - se sont avisés d'établir, sous forme de volumes, un solide panthéon biographique et iconographique des grandes et moyennes figures de ce temps.
Ceux qui, ayant conçu le programme et les devis, se sont appliqués à cette tâche, ont plus ou moins hâtivement échoué pour avoir compris trop étroitement, ou plutôt trop particulièrement, l'architecture du monument, en y créant tant de petites chapelles, de coteries, qu'ils oubliaient de peupler la nef centrale.
La librairie contemporaine, cependant si chargée de livres documentaires, n'offre que fort peu d'ouvrages analogues aux Hommes illustres de Perrault encore qu'incomplètement, peuvent aujourd'hui subvenir à renseigner l'éternelle curiosité publique.
Mais ce que désirent les lettrés, les physiologistes, les amateurs - qui sont, en quelque sorte, et pour la majeure partie des lecteurs, les actionnaires de notre société intellectuelle au capital de tant d'effigies originales - c'est non seulement connaître la vie, mais c'est aussi voir l'icône de ceux qu'ils admirent, et depuis l'oeuvre d'Eugène de Mirecourt, déjà si lointaine, si étroite, si vulgairement anecdotique, aucun recueil contemporain n'était venu combler artistiquement cette vaste lacune.
Chose étrange, c'est au Propagateur de la Coca, à l'inventeur d'un vin désormais célèbre, à M. Angelo Mariani, qu'il appartenait d'établir en France la publication qu'aucun éditeur n'avait pu mener à bonne fin.
Ce fut sans qu'il y songeât, que l'oeuvre se trouva formée tout d'abord. Elle se présenta, en premier lieu, comme une collection de portraits de maîtres avec des attestations reconnaissantes en prose et en vers, aimables et spirituelles, que M. Mariani songea à mettre au jour comme des testimonia ; puis le bibliophile qui est en lui fit mieux : du fascicule illustré de portraits à l'eau-forte, il poussa hardiment à l'amplification du gros livre ; du volume, il en vint sans hésitation à la série ; aujourd'hui, nul doute qu'il ne parvienne à parcourir tout le cycle, à couvrir amplement le champ des célébrités contemporaines.
Et son panthéon, il faut le dire sincèrement, est plus amusant qu'aucun autre


* *
*


Nous vous invitons à lire ou à relire un précédent article sur le même sujet : Le premier cercle des amis d'Angelo Mariani (1838-1914) : Octave Uzanne aux premières loges.

A suivre ...


Bertrand Hugonnard-Roche

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