Les Névroses, par Maurice Rollinat. Avec un portrait de l'auteur par F. Desmoulins. Paris, Charpentier, 1 vol. - Prix : 3 fr. 50
Maurice Rollinat, comme tous les puissants originaux, tous les nobles indomptés de la littérature, tous les fauves non châtrés qui savent encore rugir, est trop discuté maintenant en raison de son livre les Névroses pour que je puisse prétendre clore le débat par un article critique marqué au sceau des éloges les plus sincères ou le discuter sous ses trois faces également tragiques de diseur, de musicien et de poète.
Il y a six ans, lorsque parurent Dans les Brandes, un remarquable livre qui passa inaperçu, parce que aucun chroniqueur boulevardier n'osa tirer alors le coup de pistolet qui éclaire un homme jusque-là dans l'ombre, j'eus le plaisir d'éclater en louanges sonores dans un sous-sol du journalisme où je faisais alors mes débuts et où ma voix avait probablement plus d’écho à ma propre oreille qu'à celle du public. (*)
Aujourd'hui Rollinat est un homme de premier plan, c'est-à-dire une cible ; tout ce qui tient une plume dans la critique plastronne contre lui, on lui casse ses vers sur la tête ; on dénie la pure sonorité de ses rimes, on glose sur ses épithètes, on voudrait le forcer à avouer qu'il a toujours vécu dans les culottes de Baudelaire et qu'il a puisé ses frissons sur les bords du gobelet dans lequel Poe sablait son gin, - tout cela se calmera, - le journalisme parisien qui a proclamé Rollinat en premier article lui a peut-être rendu un piètre service, car il a fait éclore le poète trop subitement au jour aveuglant de la popularité ; la meute des petits confrères a bruyamment jappé à ses jambes ; toutes les poches de fiel se sont crevées, les vipères se sont hissées sur leur queue, le pauvre Rollinat a été enveloppé de rancoeurs. - L'heure de l'applaudir est venue, on ne discute pas les vaillants qui poitrinent aux attaques.
Je ne saurais dire à Maurice Rollinat que bravo ! pour son livre d'une si haute saveur originale. Les Âmes, les Luxures, les Refuges, les Spectres et les Ténèbres, tous ces différents chapitres des Névroses sont pleins de pièces d'une belle allure et d'une vigueur peu commune.
La plupart des bibliothèques sont aujourd'hui pourvues des Névroses. Nous retrouverons le poète a son prochain livre, c'est-à-dire bientôt, il faut l'espérer. - Par ce cliché banal je clos ces quelques lignes !
U. [pour Octave Uzanne, rédacteur en chef du Livre]
Comme nous l'avons déjà signalé dans ces colonnes, Maurice Rollinat dédie un poème à chacun des deux frères Uzanne dans les Névroses (Les Lèvres à Octave Uzanne et Les Drapeaux à Joseph Uzanne). Ces deux poèmes sont extraits du chapitre les Luxures. Nous ne savons pas la date exacte de la première rencontre entre Octave Uzanne et Maurice Rollinat, mais cela semble être aux environs de 1880 lorsque l'un comme l'autre fréquentaient cabarets et estaminets parisiens à la recherche de plaisirs festifs.
Bertrand Hugonnard-Roche
(*) au Conseiller du Bibliophile, 1876-1877. Article intitulé : Petite Lorgnette Poétique - Dans les Brandes, par Maurice Rollinat, 1 vol. in-18, chez Sandoz et Fischbacher. Signé Louis de Villotte [pseudonyme d'Octave Uzanne].
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