Extrait de Fuyons Paris |
Octave Uzanne n'a pas encore 26 ans lorsqu'il publie cette critique de Dans les Brandes de Maurice Rollinat dans le Conseiller du Bibliophile. Comme il l'écrira lui-même dans les colonnes du Livre en 1883 à l'occasion de la critique des Névroses : « j'eus le plaisir d'éclater en louanges sonores dans un sous-sol du journalisme où je faisais alors mes débuts et où ma voix avait probablement plus d’écho à ma propre oreille qu'à celle du public. »
Octave Uzanne et Maurice Rollinat ne sont pas encore en intimité en juin 1877 alors qu'ils semblent l'être en 1883 au moment de la publication des Névroses qui contiennent alors deux poèmes, l'un dédié à Octave Uzanne (les Lèvres), l'autre dédié à son frère, Joseph Uzanne (les Drapeaux). Nous verrons bientôt qu'en 1892, quelques dix années plus tard, Uzanne consacre à nouveau un petit article à Rollinat dans la revue l'Art et l'Idée.
A lire Dans les Brandes on ne peut que ressentir comme un écho entre les sensations de Maurice Rollinat et celles d'Octave Uzanne, en 1877, comme bien des années plus tard d'ailleurs.
Voici la critique parue dans le Conseiller du Bibliophile (*) :
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Petite lorgnette poétique
Dans les Brandes, par Maurice Rollinat, 1 vol. in-18, chez Sandoz et Fischbacher.
Extrait de La Morte |
Voici venir un jeune poète à l'allure dantesque, aux conceptions mâles, aux intenses vigueurs. Sans appartenir à aucune autre école que celle qu'il se crée, M. Maurice Rollinat, outre un talent des plus colorés, possède l'heureux don d'une originalité marquée au sceau de la personnalité la plus saisissante.
Parcourt-on ses vers, on ne peut se défendre de songer à Baudelaire et à Edgard Poe dont on sent les hantises créatrices : les approfondit-on, au contraire, on découvre que le poète est bien lui et que sa manière a pris naissance dans ces fantômes d'inquiétude et de torpeur qui forment l'air ambiant de tout artiste qui éprouve vivement. Les ciselé des vers, le fini de leur élégance, rattachent le genre de M. Rollinat au Parnasse contemporain ; mais, moins efféminé que ses confrères, il s'en éloigne par la ferme exubérance de visions plus profondes.
M. Rolinat ne drape pas à plis corrects les péplums de lin des divinités plus ou moins mythologiques, il ne chiffonne pas la tunique aux Muses banales : il s'adresse à la verte nature, et, s'il avait à choisir ses Muses, il invoquerait les sombres Euménides ou les Parques édentées : Tisiphone et Mégère deviendraient belle sous ses caresses, et, courtisées par lui, Clotho, Lachésis et Atropos disposeraient du fil des humains pour en former sa lyre.
Le premier volume de poésies que M. Rollinat vient de publier chez Sandoz n'est qu'un frais avant-coureur d'oeuvres plus énergiques. Il a lâché hors de leur cage quelques oiseaux amoureusement couvés ..., mais comme les fripons ont gaillardement pris leur volée dans les Brandes !
Ce volume est rempli de choses exquises dans leur apparente brutalité. - Théodore Rousseau rêverait devant la Mare aux grenouilles, si largement peinte ; et, dans ces Rondels qui ont pour titre le Petit coq, le Convoi funèbre, le Chien enragé, les Loups, il y a des frissons à fleur de peau qui se changent en angoisses lorsqu'on arrive aux pièces magistrales de la Morte et Où vais-je ?
O lecteurs bénévoles, si la poésie pommadée des Mourants du jour vous a, comme nous-même, trop souvent affadis et énervés, lisez Dans les Brandes : vous saluerez dans M. Rollinat un poète d'avenir, qui, sous l'impulsion vigoureuse d'un talent solide, a fièrement réagi contre l'eau de rose distillée de l'amphore Parnassienne.
Louis De Villotte [Octave Uzanne]
Paris, juin 1877.
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(*) pp. 92-93, deuxième année, 1877. C'est d'ailleurs l'article qui clos cette éphémère revue qui ne dura guère plus d'une année.
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