vendredi 28 novembre 2014

Octave Uzanne admirateur sans condition du Vice Suprême de Joséphin Péladan (1884). " [...] je suis charmé, émerveillé, réconforté par votre œuvre mâle, débordante d’un talent fier basé sur la plus profonde érudition et brillant par le style le plus chaud et le plus coloré dont je vous félicite d’être le virtuose. [...]"


En décembre 2013, nous nous interrogions : « Il est curieux de constater qu'il manquait à Uzanne un exemplaire du Vice suprême, publié par Chamuel en 1884. L'a-t-il conservé ? Ou ne connaissait-il pas encore le Sâr Péladan en 1884 ? »

Avec la lettre que nous dévoile pour la première fois Jean-David Jumeau-Lafond, nous avons désormais une réponse. Nous avons même là un témoignage d’admiration sans condition de l’œuvre naissante de Péladan.

La publication de cette lettre vous donne l’occasion de lire ou relire les deux articles déjà publiés concernant Péladan :

- Opinion d'Octave Uzanne sur le Sâr Joséphin Péladan et son oeuvre (février 1894)

- Octave Uzanne commente le nouveau roman du Sâr Joséphin Péladan : A coeur perdu (1888) in Le Livre, livraison du 10 mai 1888.


Bertrand Hugonnard-Roche

* *
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Copie d'une lettre d'Octave Uzanne
à Joséphin Péladan
[Papier à en-tête du Livre.] Paris, le 27 octobre 1884 (*)

Mon cher Monsieur, (**)

Je viens de terminer votre vice suprême, contre lequel, je ne sais pourquoi, je nourrissais dès les premiers jours de sa réception de vagues soupçons, de ceux qu’on éprouve en parcourant un livre de ci de là, avec le nonchaloir ou la sottise d’une femme qui cherche à amorcer sa curiosité, ou plutôt avec le profond écœurement d’un critique encombré par la vase montante des grotesques romans de ce temps, qui ont la fadeur du bouillon de veau et la       désespérante platitude du « Panmuflisme » contemporain.

Ores, je suis charmé, émerveillé, réconforté par votre œuvre mâle, débordante d’un talent fier basé sur la plus profonde érudition et brillant par le style le plus chaud et le plus coloré dont je vous félicite d’être le virtuose.

Ne vous connaîtrais-je point que je vous écrirais encore – Merci, car votre livre me met en appétit [mots illisibles] votre décadence latine n’est point complète, et que le roman aura encore de belles envollées dans le domaine du beau – Vous êtes dans la belle tradition française de Balzac et de Frédéric Soulié et votre livre puissant m’a donné des sensations que je croyais avoir oubliées depuis la lecture des Mémoires du Diable, œuvre sans grand style peut-être, ce qu’on ne peut point dire de la votre, mais œuvre humaine entre toutes et qui remue plus d’idées que tout le fatras romancier des Zola, des de Goncourt et des Daudet.

J’eusse désiré, si j’en avais eu le loisir, analyser longuement votre vice suprême dans le Livre mais j’ai dernièrement excursionné de côté et d’autres et j’ai du confier votre ouvrage à un de mes collaborateurs pour que le compte rendu puisse paraître en novembre prochain.
Croyez, cher Monsieur, à ma plus vive sympathie littéraire, et trouvez ici l’expression admirative que m’inspire votre héros Merodack.

Octave Uzanne (***)
72 bis Rue Bonaparte –

(*) Cette lettre autographe d’Octave Uzanne à Joséphin Péladan a été copiée sur l’original il y a de longues années. La trace de l’original s’est perdue. Cette transcription a été faite sur une photocopie que nous a aimablement fournie M. Jean-David Jumeau-Lafond, historien de l’art.

(**) Octave Uzanne possédait les premiers ouvrage du Sâr Péladan : La Décadence latine (1886) -Curieuse ! (1886) - L'initiation sentimentale (1887) -Istar (1888) - La Victoire du Mari (1889) - Cœur en peine (1890) - L'Androgyne (1891) - La Ginandre(1891) - Typhonia (1892). 9 volumes in-12, tous brochés. Exemplaires avec envois autographes du Sâr, à l'encre verte, d'allure originale et kabbalistique, précise Uzanne. L'ensemble a été vendu 47 francs.

(***) « Les romans de Péladan, frontispicés par de véritables artistes, resteront marqués d'originalité et seront longtemps sympathiques aux néo-bibliophiles. Quoi qu'on puisse penser du Sâr et de son esthétique, son talent d'écrivain reste indéniable et ses fictions sont toujours nobles, élevées, dégagées des bassesses et des ordures naturalistes. Au milieu de son oeuvre évidemment trop touffue, des pages superbes apparaissent, des conceptions grandioses se dégagent. Parfois la phrase du mage atteint au mystère et s'égare dans un impénétrable occultisme, mais elle ne traîne jamais, il faut le dire, dans la fange ou la vulgarité. La postérité sera clémente à ce laborieux. Elle oubliera les excentricités de l'homme pour ne se souvenir que de l'oeuvre vaillamment accomplie dans la constante recherche du rare et du beau, toujours au-dessus du banal. Le cri de guerre du Sâr : Ohé ! les races latines ! n'a rien en soi de si fol. - Ces pauvres races sont bien vieillottes, bien exténuées, bien calamiteuses sur le fumier des âges où elles expirent avec l'orgueil des vieilles coquettes qui prétendent ne jamais déchoir. » in Octave Uzanne, Livres contemporains d'un écrivain bibliophile, (n°331 du catalogue de la vente d'une partie de la bibliothèque Octave Uzanne), Paris, Durel, 2 et 3 mars 1894

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