dimanche 27 janvier 2013

[30 mai 1908 ] Octave Uzanne liquide tout ! Uzanne prépare son évasion de Paris ! Catalogue des Peintures, Dessins et Estampes composant la collection de M. Octave Uzanne, dont la vente aura lieu à Paris, hôtel Drouot, salle n°9, le samedi 30 mai 1908.

Qui mieux qu'Octave Uzanne peut parler d'Octave Uzanne ? La Présentation ci-dessous placée en tête du Catalogue des Peintures, Dessins et Estampes composant la collection de M. Octave Uzanne (*), dont la vente aura lieu à Paris, hôtel Drouot, salle n°9, le samedi 30 mai 1908 à 2 heures précises, par le ministère de Me André Desvouges, commissaire-priseur, assisté de M. Loys Delteil, expert, est signée des initiales L. D. V.

L. D. V. alias Louis De Villotte, pseudonyme qu'Octave Uzanne utilisa pour la première fois pour signer un texte "Un portrait de George Sand" dans le Conseiller du Bibliophile, livraison n°6 du 1er juillet 1876. Octave Uzanne a alors 25 ans.

L. D. V. apparaîtra plusieurs fois dans le Conseiller du Bibliophile entre 1876 et 1877, puis ensuite à plusieurs reprises en guise de signature de nombreuses critiques de livres dans la revue Le Livre, entre 1880 et 1889.

Louis de Villotte, pseudonyme de la première heure donc, inspiré très probablement pour ne pas dire sûrement par le nom du hameau de la maison familiale "La Villotte" des Uzanne dans l'Yonne située tout près d'Auxerre (entre Chevannes et Villefargeau - voir le résultat de nos recherches à ce propos).

En proposant à la vente un ensemble de 166 numéros constituant une bonne partie des dessins et estampes amassés depuis plus de 30 ans, Octave Uzanne évoque par cette signature L. D. V. une chronologie qui lui tient à coeur.

Octave Uzanne fidèle à lui-même dans cette présentation, entre auto-panégyrique et leçon d'amour de l'art dogmatique. Telle nous apparaît cette Présentation, telle qu'elle a été donnée pour le "public".

En privé la chose apparaît sous un autre jour, moins "artistique", plus "pratique". Uzanne s'apprête à déménager pour les hauteurs de St Cloud. Uzanne liquide ! Uzanne s'évade !

Il écrit à son frère Joseph quelques semaines avant cette vente : "Je vais bien, mais je souffre pitoyablement de Paris, de ses atmosphères ignobles, de son bruit, de son insécurité dans la promenade et de tout ce qui vous y guette de malsain, d’inconfortable, de laid, etc – Comment peut-on voir cette ville en beau !!! – Je continue à préparer mes ventes, à écrire à des commissaires priseurs et experts, à tout préparer chez moi pour faire du meublé ou de la cession totale de logis avec mobilier complet, sauf menus bibelots réservés aux enchères prochaines. Tout cela est long – J’expie ma maladie décorative à outrance … je l’expie de façon dûre, car toute ma folie m’apparait avec les esclavages qu’elle me causa et me cause encore pour liquider aux mieux de mes intérêts – Heureusement je me crois encore débrouillard, actif, énergique, capable des efforts nécessaires, d’ici cinq ou six ans, tout cela aurait été plus pénible et je frémis à l’idée, qu’en cas de décès, je t’aurais laissé tout cela à liquider – quel travail ! que de tracas tu aurais eu pour en sortir convenablement avec ton caractère moins impétueux que le mien pour brusquer les choses dans la passion d’en finir rapidement, décisivement." (3 mai 1908).

Puis le 17 mai, il écrit toujours au même : "Occupe toi de regarder dans tes adresses, les noms de nos amis ou relations à qui je dois envoyer le catalogue de mes 2 ventes du 30 – Il s’agit d’assurer le succès de ces 2 ventes – Je vais m’y employer la semaine prochaine par la publicité et par tous moyens. Songes-y à ces moyens et vois où par ta situation tu pourras m’aider dans les journaux – moi je ne vois guère que l’Echo et la Libre Parole. J’espère bien retirer de toutes ces ventes et d’autres (cessions de mobilier, d’installation, d’autographes, de tableaux qui me restent encore en grand nombre) de quoi faire un capital m’apportant une rente égale, sinon supérieure, au prix annuel de mon nouveau logis – de la sorte que je réaliserai au moins 4 à 5000 frs d’économies annuelles, et serai hors de tout souci pour l’avenir. Mon effort actuel était donc sage et en valait la peine – plus tard j’aurais été peut-être moins ardent et moins vaillant, avec l’âge."

Le 24 mai, au même : "Moi, je continue à vivre électriquement et avec la volonté tenace de métamorphoser ma vie à bref délai et sans languir – Le 29 exposition et le 30 mai autre vente faite de mes bibelots, tapis, statuettes, etc par Couturier, salle n°I – Je pense faire 9 à 10 000 dans les deux ventes – environ – sinon ça m’est égal. Alors, chez moi, tout est de nouveau par terre, décroché, prêt à l’inventaire et aussitôt les murs sont retapés, remastiqués, remis en état – c’est effroyable ce que j’avais amassé, c’est fou ! (...) J’ai hâte de quitter cette ville homicide, ignoble, laide où tout est souffrance et fatigue – C’est une évasion que je prépare, avec toute l’angoisse, la fougue, l’ardeur des évasions vers la verdure, l’air, l’indépendance et l’éloignement des esclavages et des charges." (**)

C'est assez dire l'état d'esprit d'Octave Uzanne pendant cette période de grands chambardements.

Voici cette auto-présentation :

Des Oeuvres et des Cadres

Il est des ventes qui sont des enseignements. - Celle que nous allons entreprendre, et dont voici le Catalogue, est exceptionnelle et originale tout à la fois, dans sa composition, sa variété et par l'intérêt qu'offrent les pièces mises aux enchères ou la manière dont elles sont présentées, en des encadrements curieux, symphoniques et harmonieux. L'artiste écrivain, le critique et bibliophile qui sut réunir tant de Dessins, d'Estampes, de Gravures à l'eau-forte, d'Illustrations conçues et exécutées souvent pour ses publications d'art, si justement célèbres, n'est point l'Iconophile conservateur de la belle pièce ou épreuve en carton. Il est de ceux qui veulent jouir de leur collection, à toute heure de cette vie Parisienne d'où lui, se croit à la veille de se vouloir exiler, afin de se retirer en un nid de verdure.

Ceux qui furent admis dans ses successives résidences du Quai Voltaire et de la Place de l'Alma, savent avec quelle profusion les murs de l'Entrée, du Cabinet de travail, des différentes chambres, salons et dégagements étaient tapissés d'oeuvres d'art et principalement de tableaux, de gravures, de dessins remarquables, tous de provenances directes, c'est-à-dire exécutés par des amis et collaborateurs, par des maîtres tels que Félicien Rops, Daniel Vierge, Carloz Schwabe, Eugène Grasset, George de Feure, Paul Avril, Félix Buhot, Albert Lynch, Gaujean et combien d'autres contemporains distingués.

Ce qui séduisait surtout les délicats, les amoureux des polychromies heureuses et savamment rythmées, c'était l'harmonieuse entente du décor, le goût qui avait présidé à l'habillage de toutes ces oeuvres, la simplicité des cadres avec un minimum de dorures à éclats ou à reliefs, et l'ingéniosité des sous verre. Les entourages des dessins faits de vieilles étoffes, de soies aux tonalités atténués, de tissus coquets, de cuirs exotiques, de papiers de toute origine, apportant dans l'ensemble un accord d'agrément indicible. Rien ne choquait : tout cela chantait sur les murs lumineux et bien tapissés comme une palette délicieusement composés de tons fondus.

C'est que le maître de céans affirmait avoir découvert, - non sans raison - que les marges blanches des encadrements font trou dans le mur et sont contraires non seulement aux oeuvres encadrées, - dont les blancs intérieurs et intimes doivent seuls apparaître, - mais encore qu'elles sont inacceptables dans un logis où tout doit se compléter et communier dans un même décor sans lacunes, froideurs, pauvreté, monotonie ou contraste choquants.

C'est à ce titre que nous disons que cette vente est un enseignement. Le collectionneur passionné qui se dessaisit de tant de dessins et gravures sous verre est un véritable professeur de "L'art de traiter les chefs-d'oeuvres comme ils le méritent". Ceux qui sortent de chez lui peuvent conserver longtemps et toujours leur charme d'entourage, leur physionomie de présentation. Même les plus modestes Gravures et Estampes, sans grande valeur marchande, ont un cachet élégant, une marque distincte d'origine qui les rend précieux aux connaisseurs, comme de simples livres bien habillés à la bradel offrent séduction particulière.

En dehors de ces considérations, la Collection très diverse qui va être dispersée vaut d'être signalée tout spécialement. Elle comprend des numéros de grande curiosité. Mentionnons, par exemple, un superbe dessin de François Millet, largement et libidineusement traité à la façon d'un Fragonard "Suzanne et les deux vieillards" et qui nous révèle une fougue de croquiste et une caractéristique du talent de l'auteur de l'angélus que les maîtresses oeuvres du peintre de Barbizon ne laissent point soupçonner. - Les Constantin Guys qui figurent dans ce Catalogue sont assurément les plus puissamment poussés, les plus beaux qui aient été jusqu'ici passé en vente publique. Les deux grandes pièces "Femme au manchon" et "Dame à l'éventail", (Mabille) sont d'un style, d'une exécution, d'une tenue exceptionnelles. Aussi bien le cadre qui contient, sous une soierie jaune, "Les Danseuses", si fines, si légères, si gracieusement pivotantes et qu'on jureraient enlevées au crayon par quelque grand artiste du XVIIIe siècle. "La femme du Harem", "Les Dames au théâtre", "Les Scènes de Maisons closes", sont également parmi les meilleures qu'aient laissées ce surprenant Guys, que notre collectionneur aima et fréquenta sur la fin de ses jours. Ces pièces ont été choisies parmi des centaines de pièces appartenant à Champfleury. Il n'en est point de supérieures.

Un Dessin au crayon de Rops attirera l'attention. C'est un des plus subtils et des plus fins du Maître artiste qui l’exécuta avec un soin rare et méticuleux, pour son vieil ami intime, aux livres duquel il se plut à collaborer. Du même Félicien Rops, on trouvera ici nombre d'autres pièces, mais surtout plusieurs petites études à l'huile, exécutées en Belgique, "Dames", "Marée basse", "Etude de Mer du Nord", etc, qui ne seront pas sans surprendre les collectionneurs de l'oeuvre de Rops, peu habitués à rencontrer de pareilles études d'après nature.

De Daniel Vierge nous mettons en vente un dessin prodigieux de verve, d'imagination, de la meilleure époque de l'artiste, "Les faunesses" avec une étrange dédicace, et d'autre part une scène de Bataille impétueuse ou l'Espagnol qu'était Vierge semble, plume en main, donner l'assaut avec ses compatriotes.

Nous ne pouvons nous attarder à signaler ici des admirables épreuves dédiées, toutes encadrées, par Félix Buhot à son camarade et enthousiaste appréciateur, les Trois aquarelles de Eugène Grasset, dont une, surtout, la "Muse duidique" est un chef-d'oeuvre de musée, ainsi que la "Vue de Lausanne au Moyen-âge", de cette Lausanne qui donna le jour à Grasset. - Il est inutile de tirer hors pair la composition originale L'art et L'idée de Carloz Schwabe, c'est un dessin au lavis incomparable, l'une des premières oeuvres et des mieux venues de ce peu fécond et si recherché peintre illustrateur dont la maîtrise rencontre chaque jour plus d'admirateurs.

Ce sont encore de beaux dessins que ceux de George de Feure, d'Alphonse Levy, de Jules Chéret, de Mérowak, l'homme des cathédrales, de Paul Avril, dont plusieurs compositions faites pour "L'Eventail" et "LOmbrelle", de Séon, d'Albert Lynch, aujourd'hui peintre renommé comme portraitiste dans les deux mondes, de Jeanniot, d'Heidebrinck, un maître du crayon qui mériterait plus de notoriété, de Charles Moret, du délicieux Louis Morin, sans parler des anciens qui figurent ici en petit nombre.

Quant aux Eaux-fortes, Burins, Gravures diverses, Lithographies, elles feront ici des lots appréciables et dignes de l'intérêt des collectionneurs, surtout de ceux qui recherchent de folles choses bien coquettes en leurs cadres, pour décorer le home artiste et familier.

C'est toute une époque de 1878 à 1900, une époque de vie intense pour les artistes novateurs, les iconophiles et bibliophiles qu'évoque la vente du 30 mai courant.

Cette vente, chargée d'occasions précieuses, n'est assurément point banale. Elle se recommande du nom et de la réputation bien acquise de son ex-possesseur.

Celui-ci n'a point jugé nécessaire de cacher sa personnalité, car tout ici la désigne, la révèle ou la proclame même en dehors des dédicaces. Le goût est souvent semblable à la création qui signe en caractères d'expression individuelle tout ce qui émane de tel ou tel créateur. Ici le nom du vendeur apparaît en tout et partout. On peut dire ça vient d'Octave Uzanne. On reconnait son style même dans ses Bibelots et ses Cadres.

L. D. V. [Louis De Villotte alias Octave Uzanne]

Nous donnerons prochainement la liste complète des pièces présentées au catalogue. Nous étudierons également le Catalogue des meubles et sièges anciens et modernes, faïences et porcelaines..., sculptures, terres cuites et plâtres..., bronzes, fers forgés... le tout appartenant à M. Octave Uzanne, dont la vente s'est déroulée en même temps. Que restait-il de la bibliothèque d'Octave Uzanne lorsqu'il emménagea à St Cloud ? C'est également ce que nous essaierons de savoir.

Bertrand Hugonnard-Roche

(*) catalogue très difficile à trouver, probablement tiré à petit nombre et surtout, de la catégorie des ephemera, n'ayant été que rarement conservé. La Bnf, la bibliothèque Forney, l'INHA possèdent un exemplaire de ce rare catalogue. Nous remercions Mme Silvia Catan pour avoir consulté pour nous l'exemplaire de l'INHA, cote VP 1908/306. 28 pages et quelques reproductions.
(**) Archives de l'Yonne, fonds 1 J 780, legs Y. Christ, Correspondance active d'Octave Uzanne avec Joseph son frère (et à divers). 

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