Un siècle s'est écoulé depuis la tristement célèbre catastrophe du Titanic, cette nuit du 14 au 15 avril 1912. Cette monstrueuse et luxueuse masse d'acier devait rallier New York pour sa première traversée de l'Atlantique. Seize compartiments étanches devaient servir à protéger le navire en cas de voies d'eau ou d'avaries importantes. A 23h40 heure locale, le paquebot heurte un iceberg sur tribord. Il sombre à 2h20 du matin heure locale au large de Terre-Neuve. Près de 1.500 personnes périrent dans les eaux glacées. Octave Uzanne, comme tout le monde, vécut ce terrible évènement depuis son appartement de St-Cloud.
Première page du Figaro du mardi 16 avril 1912. La catastrophe du Titanic est en colonne de droite, en bas et se poursuit sur l'autre page (verso).
Les choses auraient pu se passer ainsi ...
Couverture illustrée du livre publié par Octave Uzanne en 1893, récit de son voyage aux Etats-Unis et au Canada entre avril et juin 1893. |
« Il était déjà tard ce 14 avril 1912 et Octave Uzanne avait
la plus grande difficulté à se résoudre d’aller au lit. Un dimanche comme les
autres s’achevait dans le travail pour cet infatigable de la plume. Cela
faisait maintenant plusieurs mois qu’il travaillait à ses Instantanés d’Angleterre (1) ; il lui restait encore beaucoup à
écrire. C’était sans compter les articles qu’on lui demandait sans cesse pour
les journaux de Paris et d’ailleurs. Il y avait comme une électrisation dans l’air
de son appartement à St-Cloud. L’air était surchargé de ces vapeurs nocturnes d’avril
qui annoncent déjà un été plein d’avenir. Octave déposa finalement son monocle
sur son bureau à côté d’un tas de feuilles noircies. Il était minuit passé. Il
était temps de se reposer enfin. Sur le trajet qui le menait de son bureau
de travail à sa chambre Octave revoyait défiler devant lui un à un ses amis
disparus. Jean Lorrain était de ceux là. Déjà cinq ans qu’il n’était plus là ce
cher ami, ce joyeux et facétieux drille décadent. Octave ferma les yeux et s’endormit,
rompu de fatigue, dans un tourbillon de rêves japonisants et féminins,
probablement provoqués par les mille et une fadaises décoratives provenant de l’orient
qui s’entassaient tout autour de lui, au mur, sur la cheminée de marbre et même
jusqu’aux bois du lit. Quant aux femmes, il y en avait sous mille formes
variées dans cet appartement : dessins, gravures, tableaux. Octave était fort
galamment entouré encore, du haut de ses soixante-et-un ans. La nuit passa sur
le monde comme une trainée de poudre. L’aube filtra au travers d’un carreau du
petit salon. Une nouvelle journée s’engageait. Octave fit comme à son habitude ;
les courriers arrivèrent ainsi que le Figaro
du jour ; la matinée avançait, il était 9 heures passé. Octave ne se
doutait pas de ce qui venait d’arriver de l’autre côté de l’océan, vers ce
nouveau monde qu’il adulait tant. A 2h20 du matin heure de New York, le
paquebot géant Titanic de la White Star Line, venait de sombrer en
laissant dans son sillage près de 1.500 victimes happées par le froid glacial
de l’océan. 700 rescapés seulement, essentiellement des femmes et des enfants.
Octave sentit comme un souffle au dessus de son épaule. Pourtant la journée de
ce lundi s’écoula sans que notre écrivain ne semble affecter par quoi que ce
soit de ce qui pouvait se passer de l’autre côté du monde. La journée s’écoula
dans le travail acharné comme celle de la veille. Uzanne s’éveilla ce mardi
matin avec à l’idée de reprendre quelque article abandonné récemment au profit d’un
autre. Il en avait tellement en cours.
Envoi autographe d'Octave Uzanne sur l'exemplaire de son livre "Vingt jours dans le Nouveau Monde" (1893) "à m. Perche, ce souvenir d'un vagabond." |
Octave regarda attentivement la première
page du Figaro de ce mardi 16 avril.
En dernière colonne de droite, en bas, il pouvait lire : « le paquebot géant le Titanic, l’un
des deux plus grands navires du monde, a heurté une banquise en faisant route
sur New York ; suivant les premières dépêches, il avait réussi à se
maintenir à flot. En dernière heure on annonçait que le bateau était coulé.
Mais heureusement ses 1.600 passagers sont sains et saufs. Ils ont été
recueillis à bord de plusieurs bateaux venus à leur secours. » Octave
sentit un frisson lui parcourir le corps. Quelle nouvelle ! Quelle
catastrophe évitée de justesse pensa-t-il ! Octave poursuivit avidement la
lecture de cette première colonne. Il tourna la page où l’article se
poursuivait. On pouvait lire le détail de la liste des passagers, quelques
chiffres sur ce monstre des océans dont c’était ici la croisière inaugurale.
Octave Uzanne arriva enfin sur la deuxième colonne de cette deuxième page, il
put lire : « DERNIERE HEURE :
DE NOMBREUSES VICTIMES. A deux heures et demi du matin, l’agence Havas
nous communique cette dépêche qui infirme la plupart des informations reçues et
transforme le naufrage en véritable désastre. » L’article se
poursuivait en donnant quelques détails sur ce paquebot hors norme. Octave posa
son monocle et baissa la tête. Une telle catastrophe ! Lui qui avait fait
la traversée Le Havre – New York en
avril 1893 ! Il avait en effet embarqué au Havre en première classe sur La Gascogne et débarqué à New York le 10
avril. Il y était resté 3 mois environ. Il était pour l’occasion envoyé spécial
du Figaro. Il rapporta de ce périple,
entre New York, Chicago, Montréal et Boston, un ouvrage passionnant intitulé Vingt jours dans le Nouveau Monde (2),
titre erroné s’il en est puisqu’il y passa en réalité près de 90 jours. Mais ce
titre correspondait à celui d’une collection publiée par May & Motteroz dans la Collection des Guides-Albums du touriste.
Vingt ans ! Près de vingt ans s’étaient écoulés entre le 10 avril 1893 et
ce 12 avril 1912 qui voit sombrer le plus beau rêve maritime de plaisance de l’époque.
Octave Uzanne se remémorait son propre périple. Les images se bousculaient dans
sa tête. A compter de ce mardi matin tout le monde à Paris et ailleurs ne parla
plus désormais que de cela. Le mercredi 17 avril apporta encore son lot de
précisions macabres sur la catastrophe. Le Figaro,
tout comme les autres journaux, de France, et du monde, continuèrent à écrire
sur le sujet, encore et encore. Les années passèrent. Octave Uzanne vieillit
avec ces images de morts dans la tête. Il avait lui-même fait cette traversée
de l’Atlantique. Il mourut le 31 octobre 1931. Il avait 80 ans. »
Bertrand Hugonnard-Roche
(1) Instantanés d’Angleterre
par Octave UZanne. Paris,
Librairie Payot et Cie, 1914. In-18 de 317 pages. Tirage à 1.815 exemplaires.
Le texte de cet ouvrage avait été publié précédemment pour partie seulement en
1898 sous le titre de Types de Londres
(Paris, Floury, in-folio).
(2) Vingt jours dans
le Nouveau Monde par Octave Uzanne. 175 illustrations d’après nature.
Paris, May & Motteroz, s.d. (1893). In-8 oblong à l’italienne de 214 pages.
Tirage sur papier vélin teinté ordinaire (il n’a été tiré que 2 exemplaires sur
papier de Chine selon les propres déclarations de l’auteur. Voir catalogue de
la vente de ses livres (2 et 3 mars 1894).
Comme si j'y étais ...
RépondreSupprimerSi Octave avait été sur le Titanic, on imagine le livre qu'il aurait pu écrire au retour de sa croisière !
RépondreSupprimerhum, s'il avait été sur ce fier navire, quelle chance de s'en sortir aurait-il eu ? il doit y avoir des statistiques sur ce sujet, suivant le sexe et la classe de passager. Homme passager de troisième classe : 0 chance. Femme de première classe : bien meilleure ! Uzanne aurait certainement voyagé en première classe. Alors ?
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