Voici une lettre comme j'aimerais en découvrir plus souvent. Pas trop souvent cependant car il y a malgré toute l'excitation de la découverte un certain plaisir à saisir lentement de quel bois était fait Octave Uzanne. C'est encore une fois l'Octave intime que nous envisageons sous un jour nouveau, éclairé par lui-même. C'est une magnifique lettre de deux pages écrite de Paris, 5, Place de L'Alma (Paris 8e), à un correspond malheureusement qui restera inconnu pour le moment. C'est une réponse à une demande qu'on lui a faite, ou plutôt à une question qu'on lui a posé : Octave Uzanne aime-t-il les animaux ? Il a 57 ans lorsqu'il répond à cette lettre qu'on lui a adressé et qui visiblement méritait une réponse détaillée de sa part.
A l'heure actuelle nous ne savons rien des maîtresses et des femmes amoureuses qui ont pu jalonner la vie du Prince des Bibliophiles, et maintenant pourtant, nous savons jusqu'aux petits noms même de ses animaux domestiques, chiens et chats, compagnies de sa vie de célibataire endurci "les amis de mes solitudes (...) les compagnons de ma sauvagerie errante" comme il l'écrit si bien.
Je vous laisse découvrir les relations affectueuses qu'Octave Uzanne entretenait avec ses animaux de compagnie. C'est un témoignage unique qui complète encore un peu plus le puzzle Uzanne intime.
5,
Place de L’Alma
Paris
VIIIe arr.
Paris
– 27 juin 1908 (*)
"Mon cher
ami ;
Si j’aime
les animaux ? – Je les chéris ; ce sont les amis de mes solitudes,
les compagnons de ma sauvagerie errante = chiens, chats domestiques, le gibier
même, à l’état vivant, car j’ai depuis longtemps renoncé à épier, à chasser, à
tuer les innocentes créatures des bois et des plaines, si plaisantes à regarder
vivre et à apprivoiser.
Ceux que
St François d’Assise appelait « nos frères inférieurs », nous sont
supérieurs par plus d’un côté ; on gagne à les fréquenter dans la diète
des Hommes – et ils nous sont d’un enseignement précieux, si l’on sait
interpréter leurs façons d’être et se laisser guider par leur instinct.
Leurs
habitudes, leur industrie, leur art ne sont pas restés immuables ; ils
entendent nos progrès et y façonnent leurs mœurs.
J’ai eu
des « Kyrielles de chiens et de chats, comme disait Léon Cladel » !
– Les souvenirs qu’ils m’ont laissés formeraient des mémoires … Isis, ma
première chatte angora. Tibia, pauvre toutou de six jours sauvé des
serpents de la ménagerie chez Bidal et dont je fus le père nourricier,
Belzebuth, formidable matou de gouttière qui me joua des tours pendables qui
faisaient honneur à sa souple clownerie et à son flair d’orientation, car il me
rejoignit de Paris à … Marlotte … Dieu sait comment et au prix de
quelles ruses ?..
Pierrot,
gentil Epagneul, qui était kleptomane chez les rôtisseurs hostiles et grossiers
et qui n’aurait point volé une alouette chez les honnêtes fournisseurs favoris
de son maître, Ravachol, dogue téméraire qui désarçonnait les gendarmes avec
rage et me fit pâmer de rire par ses façons d’attaquer la maréchaussée qui me
dressa d’ailleurs maintes contraventions ; Fox, grand braque d’arrêt qui
ne chassait que les oiseaux dans le ciel et détalait comiquement devant les
lapins... !
Peut-on
ne pas aimer de tels compagnons !
En
Egypte, jadis, toute bête était dieu.
Tout
homme, au contraire était bête.
Sans
partager absolument cette zoolâtrie, on
peut penser avec Montaigne qu’ « il y a plus de différence d’homme
à homme que de bête à homme. »
La
formule est digne du grand philosophe gascon qui sut comprendre et aimer les
animaux sans leur accorder cependant l’éloquence dont par la suite, le bonhomme
La Fontaine les affabula."
Octave Uzanne
(*) Cette lettre nous permet de savoir qu'Octave Uzanne était encore logé au 5 Place de l'Alma à Paris au 27 juin 1908. Le 11 octobre 1908 il a déménagé dans son appartement de Saint-Cloud. Le changement d'adresse s'est donc fait entre ces deux dates.
Bertrand Hugonnard-Roche
Cette lettre a été partiellement (depuis "J'ai eu des Kyrielles... jusqu'à la fin) publiée dans "les animaux dans la littérature et dans l'histoire", de Robert Lestrange, ed Ophrys, 1937, page 148.
RépondreSupprimerpubliée, avec une faute... dernier mot changé en "affabula". On peut supposer que cette lettre a été publiée, sans doute avec la faute, dans un journal.
RépondreSupprimercalamar vous êtes un fin limier ! non seulement vous retrouvez les lettres publiées d'Uzanne... mais en plus vous corrigez mes fautes de lecture. C'est en effet bien affabula qu'il faut lire à la fin. Je corrige et cours me flageller illico (sourire)
RépondreSupprimerMerci encore.
B.
et en plus ça change le sens final et c'est tournure choisie par Uzanne correspond plus à son style. B.
RépondreSupprimerPetite note complémentaire. Les hasards de mes recherches du jour me conduisent à penser que lorsque Uzanne parle de Marlotte (Bourron-Marlotte, village au Sud de la forêt de Fontainebleau), il s'agit très probablement de la maison (Le Pignon, 33 rue Delort à Marlotte) de Victor Margueritte.
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