Voici ce qu'on pouvait lire dans LA BIBLIOPHILIE EN 1894 (III) par D'EYLAC (A. DE CLAYE), volume publié par la Librairie Téchener (H. Leclerc et P. Cornuau, Succ.), en 1895 (achevé d'imprimer le 15 mars 1895, soit un an après la vente des livres d'Octave Uzanne qui s'était déroulée les 2 et 3 mars 1894) :
Portrait du Baron Anatole de Claye gravé à l'eau-forte et placé en frontispice du troisième volume de La Bibliophilie en ... (1894). |
"Singulière destinée que celle de l’intelligent et actif libraire-expert du passage du Commerce, M. Durel ! Libraire, il ne dissimule pas ses préférences pour le livre ancien, - ses catalogues à prix marqués en font foi ; - il recherche et il connait à merveille les éditions rares des XVIe et XVIIe siècles. Expert, il est surtout appelé à diriger des ventes de livres modernes. Il y a plus : qu’on prenne les catalogues des ventes essentiellement « fin de siècle » : son nom figure sur les titres. Il ne les a pas rédigés, mais il les a édités. Il y a trois ans, c’était le catalogue, resté légendaire, de la vente Ch. Cousin. Puis ç’a été un catalogue bien plus extraordinaire encore, celui de M. O. Uzanne, ex-directeur de l’ex-revue Le Livre. Quand je qualifie d’ « extraordinaire » ce document, le terme est trop ordinaire. Il faut trouver mieux ; je cherche ; l’ingénieux auteur me fournit lui-même l’adjectif désiré : c’est… pétaradant !
M. Uzanne a écrit en tête de son travail : « Notes pour la bibliographie du XIXe siècle. » Il y a là, en effet, quelques renseignements bibliographiques ou littéraires. Je signale la page consacrée au « Père Coignet », l’auteur de ces si curieux Cahiers que M. Lorédan Larchey a réédités chez Hachette. Mais, en somme, M. Uzanne aura moins enrichi la bibliographie que… la langue française. Il tient à avoir son idiome à lui ; il l’a ; je ne lui conteste pas, puisque je lui laisse. Veut-il définir le genre du caricaturiste Forain ? Il nous apprend que « Forain, de sa voix fifrée, lance le mot strident qui térèbre la victime ». Veut-il tourner un compliment délicat à l’adresse de M. H. Béraldi ? Il nous informe que ses livres « sont de la quintessence de bibliofolie française avec de l’esprit courant sans cesse à fleur de maroquin. Béraldi a, pour ainsi dire, brown-séquardé les vieilles basanes », etc. Il salue dans Grévin « le grand fresqueur des cocoteries du second Empire ». Il congratule Richepin pour avoir donné « un livre détonant qui fit explosion dans les veuleries sentimentales et préjugistes d’il y a dix ans ». On croit peut-être que je choisis mes citations ? Pas du tout ; je prends au hasard, et il y en a bien d’autres !
M. Uzanne appelle cela « s’autocatalographier », et il désirerait que tous les amateurs en fissent autant. Oh non ! Bien entendu, les seuls amateurs qui existent pour lui sont ceux qui professent, à son exemple, le mépris de la « bibliographie perruquière ». Je suppose que c’est un trait dirigé contre les bibliophiles vieux jeu ; littéralement, cela signifierait la bibliographie des ouvrages sur l’art capillaire.
Ces vieux bibliophiles, comme notre auteur les accable de son dédain ! Il les « térèbre », pour parler sa langue. Il se moque de leurs goûts. Ainsi, à ses yeux, leur relieur de prédilection, Trautz-Bauzonnet, n’est qu’un « affreux poncif ». Le vrai relieur de notre époque, - pardon, le mot relieur est hors d’usage, il faut prononcer « bibliopégiste, - donc, le vrai bibliopégiste de ce temps-ci c’est… un nommé Amand (2). « Soyez-en sûr, affirme M. Uzanne, Amand dégotera ce vieux bonze de Bauzonnet… » Il faudra voir.
Au fond, M. Uzanne est un habile homme. Il y a des catalogues qui attirent l’attention par la valeur des livres qu’ils décrivent ; lui, il l’a attirée par le style de ses descriptions. Au surplus, on trouvait dans sa collection, uniquement formée d’ouvrages contemporains, des volumes qui réunissaient tout ce qu’il faut, par le temps qui court, pour se bien vendre : envois d’auteurs, correspondances privées et même intimes, figures ajoutées, dessins originaux…
On remarquait surtout un lot important d’ouvrages de luxe dus à M. Uzanne lui-même. Par l’importance qui leur est attribuée dans le catalogue, par les soins donnés à leur reliure, on se rendait compte que l’auteur préféré de M. Uzanne était … M. Uzanne.
L’Amérique s’extasia devant les exemplaires de Son Altesse la Femme et de la Française du Siècle. Le « bibliopégiste » qui les a habillés est M. Magnin (3) de Lyon. On y rencontrait jusqu’à neuf états de certaines planches. – sans compter les dessins originaux, - de telle sorte que les volumes avaient la forme tout à fait attrayante d’un Bottin… Ils ont été vendus l’un 2.500 francs, l’autre 3.205 francs." (4) (La Bibliophilie en 1894, Chronique du livre V, pp. 48 à 51).
(1) Anatole de Claye de son vrai nom Anatole Lebas de Gyrangy Claye, baron de Claye (1851-1903). Journaliste et bibliophile, il publia sous le pseudonyme d’Eylac de nombreux articles regroupés en 3 volumes entre 1893 et 1895 sous le titre de La Bibliophilie en 1891, 1892, 1893 et 1894. Il s’attacha à collectionner les premières éditions de poètes du XVIe et des classiques puis des livres illustrés de son époque. Ses collections furent dispersées en partie en 1898 et 1899. Il collabora au "Monde", au "Moniteur universel", au "Gaulois", au "Bulletin du bibliophile. Il fut Co-directeur de la "Revue biblio-iconographique fondée par Pierre Dauze. Lire à propos du baron de Claye PORTALIS (Roger de). Le baron Anatole de Claye (1851-1903). Paris, Leclerc, 1903. 27 pp. Portrait-frontispice d'après la photographie. Tiré à part, sur beau papier, du Bulletin du Bibliophile.
(2) Amand, Pierre Chevannes dit Amand, relieur-doreur parisien établi vers 1860, 12 rue de l’Ancienne-Comédie, puis vers 1880, 18 rue du Dragon. Né le 15 juin 1830 à Guerchy dans l’Yonne. Apprenti doreur chez Reiss rue de la Sorbonne en 1844, il suivit en outre les cours de dessin de la rue des Grès, devenue rue Cujas. Ouvrier puis artisan il s’intéressa aux livres romantiques et se constitua une importante bibliothèque qui fut vendue en 1871. Frappé d’hémiplégie en 1885, son matériel fut repris par Giraudon, maroquinier-relieur, 1 rue Thérèse, en 1888. Amand mourut le 10 janvier 1899 dans le dénuement le plus complet à Ivry, à la maison des incurables. (Fléty, Dictionnaire des relieurs français de 1800 à nos jours. Paris, Technorama, 1988, p. 11).
(3) Magnin, Lucien. Relieur, quai du Rhône à Lyon. Il naquit à La Chapelle-de-Mardore, près de Thizy, le 1er janvier 1849. Son père, menuisier de village, chargé d’une nombreuse famille, l’envoya dès l’âge de quatorze ans rejoindre un frère aîné, apprenti chez Prudhomme, relieur lyonnais. Le jeune Lucien y fit, lui aussi, son apprentissage qu’il compléta par la dorure, apprise chez Lyons en 1869. Au lendemain de la guerre de 1870, il monta, avec son frère, un atelier de reliure, 12 rue Gentil à Lyon. Après son mariage, il quitta son frère et s’installa 8 place des Cordeliers bien décidé à réaliser son rêve : la reliure de luxe. Sa première œuvre, une reliure genre Grolier – d’une très bonne exécution - exposée au Salon des Amis des Arts en 1881, fut beaucoup remarquée. Par suite de la démolition de la maison qu’il habitait il avait transféré son atelier quai de Retz en 1875. En 1884, à l’exposition des Arts Décoratifs, il présenta dix-sept reliures qui lui valurent une médaille d’argent. Déjà apparaissaient ses qualités : choix des peaux, harmonie des couleurs, netteté du dessin, exécution impeccable de la reliure, de la dorure et de la mosaïque. A l’Exposition Universelle de Paris, en 1889, sa vitrine fit sensation et son genre de mosaïque fit école. Il fut, en effet, le premier avec le relieur parisien Arnaud (sic – i.e. Amand) à pratiquer ce genre nouveau, mais il fit en plus de la mosaïque ambrée. En 1894 il fut membre du jury à l’Exposition de Lyon où il exposa de superbes reliures, marquées de plus en plus par son genre de mosaïques. Enfin, à l’Exposition de 1900 il présenta une nouvelle série de reliures mosaïquées qui ne lui valurent qu’un rappel de médaille d’argent, qu’il refusa d’ailleurs. Au mois de novembre, il recevait des mains du Président Loubet les palmes académiques. Lucien Magnin est mort à Lyon le 9 février 1903. (Fléty, Dictionnaire des relieurs français de 1800 à nos jours. Paris, Technorama, 1988, p. 117-118).
(4) Les deux volumes cités par Anatole de Claye sont les n°435 et 436 de la vente du 2 et 3 mars 1894. En voici la description complète faite par Octave Uzanne lui-même. 435. UZANNE (O.). SON ALTESSE LA FEMME, illustrations de H. Gervex, J.-A. Gonzalès, L. Kratké, A. Lynch, Adr. Moreau et F. Rops. Paris, Quantin, 1885, in-8, mar. chaudron décoré sur les plats de deux compositions différentes toutes mosaïquées et à tons fondus, dent. int. tr. dor., étui-boîte en mar. Bleu doublé de peau de chamois. EXEMPLAIRE UNIQUE, admirablement relié en maroquin mosaïque par Lucien Magnin, de Lyon. Chef d’œuvre de reliure qui a coûté quatre années de travail au bibliopégiste et exposé en 1889 au Champs-de-Mars, a valu une médaille d’argent à M. Magnin. La reliure de cet ouvrage est superbe, - un des CLOUS de première grandeur de cette vente, - a été reproduite pour le premier plat, page 359, tome IV, du Livre Moderne. Ce volume si extraordinairement chargé de dessins originaux, d’épreuves et de fumés, et qui sera vite surnommé par les libraires chineurs le BOTTIN DE SON ALTESSE (on voit ici qu’Anatole de Claye n’avait pas eu à aller chercher bien loin l’expression péjorative de Bottin alors que c’est Uzanne qui l’emploit d’abord), contient les pièces suivantes : 1 DESSIN AQUARELLE ORIGINAL du plat de la reliure par Bardey, de Lyon. Couverture (3 états). Titre seul (épreuves en 9 états). Titre seul (épreuves en 6 états). Prospectus. Frontispice (en 5 états). Fleuron du titre (tirage à part en 3 états, plus le DESSIN ORIGINAL A L’AQUARELLE D’ALBERT LYNCH). DESSIN DE LYNCH du cul-de-lampe de la préface. Tirage à part de l’encadrement de la préface (en 4 états). Portrait de l’auteur (en 4 états). Culs-de-lampe (3 DESSINS ORIGINAUX DE LYNCH sur une feuille). 1 cul-de-lampe (DESSIN DE LYNCH). Le Vrai Miroir (en 6 états, plus le DESSIN ORIGINAL du début de chapitre). Figure (en 3 états), page 20, 52, 89 (4 états), 132 (3 états), 156 (4 états), 172 (5 états), 209 et 245 (4 états), 265 (3 états), 283 (7 états), 1 figure, page 130 ; En-tête de page (tirage à part en 4 états), p. 78 et 113 (3 états), 167 (12 états), 191 (4 états plus 2 DESSINS ORIGINAUX DE LYNCH), 227 (4 états), 251 (8 états) ; Vignette (tirage à part sur chine volant), page 35, DESSIN page 223 et 260, par Morin page 262, de la table (tirage à part sur chine volant), Cul-de-lampe (DESSIN), page 30, 2 culs-de-lampe et 1 vignette (3 DESSINS), page 78. Cul-de-lampe et vignette (3 DESSINS), page 110, 140 (2 DESSINS), 164 (DESSIN), 223 (DESSIN), 248 (DESSIN). 5 DESSINS page 78, 82 (1 dessin), 90 (2 dessins), 113 (dessin sur une fumée), 126 (1 dessin), 157 (2 dessins de Kratké), 173 (2 dessins), 290 (1 dessin) ; 2 lettres ornées (dessins), page 35 ; 1 lettre ornée page 78 ; 1 lettre ornée (tirage à part), page 78. La Citoyenne française (tirage à part en 3 états), plus le DESSIN ORIGINAL, d’A. Lynch, page 145. Mulieriana (tirage à part de l’encadrement en 4 états, plus le DESSIN ORIGINAL de Lynch, page 279. En résumé, PLUS DE 42 DESSINS ORIGINAUX et des états uniques et en nombre indiqué, qui font de cet exemplaire un des livres les mieux enrichis de ce temps. Les dessins d’Albert Lynch, qui fit ses débuts dans l’illustration par la décoration de ce livre, sont exquis de facture et d’une grâce féminine incomparable. Aujourd’hui que Lynch est accaparé par la maison Boussod Valadon, où il est regardé comme un des jeunes maîtres de la peinture contemporaine, ses dessins sont très haut cotés et seront de plus en plus recherchés. – A côté des dessins de Lynch qui sont dans cet exemplaire en proportion de 75 0/0, ceux de Gonzalès, de Kratké, etc., sont fort appréciables. – Dix pages de description ne donneraient pas une suffisante peinture de cet ouvrage. Les amateurs devront l’examiner à loisir ainsi que le suivant qui est similaire. (vendu 2.500 francs or). 436. UZANNE (O.). LA FRANCAISE DU SIECLE. Modes – Mœurs – Usages, illustrations à l’aquarelle d’Albert Lynch, gravées à l’eau-forte en couleurs par Eug. Gaujean. Paris, Quantin, 1886, in 8, maroq. bleu. ornée de mosaïques à tons gradués, dent. int. tr. dor., étui-boîte en maroq. Bleu doublé de peau de chamois. EXEMPLAIRE UNIQUE, plus décoré encore que le précédent, Son Altesse la femme. Il a été également relié superbement en mar. Mosaïques avec des types de costumes de divers époques sur le premier plat et sur le second, d’après deux remarquables décorations faites d’après les dessins de Bardey, dessinateur de soieries, à Lyon. Ce chef d’œuvre de reliure demanderait 2 pages de description – (Voir le Livre Moderne, 1891, tome IV, page 260, où un des plats se trouve reproduit.) Cet exemplaire contient : 1 DESSIN ORIGINAL DE BARDEY, pour la reliure du livre. Médaillons de la couverture (en 4 états). Couverture (en 7 états). DESSIN ORIGINAL de la vignette du dos de la couverture par Lynch. Prospectus. Portrait de l’auteur (en 3 états). Titre seul (en 3 états). Faux-titre et titre (en 5 états). Frontispices (4 états). Vignette ou menus propos (tirage à part en 4 états). Plus le DESSIN DE LYNCH. DESSINS ORIGINAUX. (page 3). Vignette (tirage à part en 7 états). Plus 3 DESSINS DE LYNCH (page 3). Vignette (tirage à part en 3 états) plus 2 DESSINS DE LYNCH (page 45). En outre il faut signaler : Vignette (tirage à part en 9 états) plus 1 DESSIN DE LYNCH (page 79). Vignette (tirage à part en 4 états) plus 1 DESSIN DE LYNCH (page 115). Vignette (tirage à part en 5 états) plus 1 DESSIN DE LYNCH (page 155). Vignette (tirage à part en 6 états) plus 1 DESSIN DE LYNCH (page 191). Vignette (tirage à part en 4 états) plus 1 DESSIN DE LYNCH (page 211). Vignette (tirage à part en 5 états) plus 1 DESSIN DE LYNCH. Vignette (tirage à part en 5 états) plus 1 DESSIN DE LYNCH (page 259). Figure (en 8 états) (page 32). Figure (en 12 états, dont 1 DESSIN – page 68). Figure (en 7 états, dont 1 DESSIN – page 96). Figure (en 6 états, dont 1 DESSIN – page 136). Figure (en 8 états, dont 1 DESSIN – page 184). Figure (en 5 états, dont 1 DESSIN – page 204). Figure (en 6 états, dont 1 DESSIN – page 216). Figure (en 5 états, dont 1 DESSIN – page 244). Figure (en 5 états, dont 1 DESSIN – page 264). Cul-de-lampe (tirage à part sur papier de Chine volant). PLUS 1 DESSIN (page 52). Cet exemplaire contient en résumé PLUS DE TRENTE DESSINS OU INCOMPARABLES AQUARELLES D’ALBERT LYNCH, et une série des états de gravures hors lignes d’E. Gaujean, la plupart tirées par cet artiste sur ses presses à domicile. On ne saurait rêver d’exemplaire plus largement illustré de toutes pièces. – On lui reprochera même l’excès des ajoutés. (vendu 3.205 francs or).
Bertrand Hugonnard-Roche
Quelle densité d'informations !
RépondreSupprimerTous les articles du baron sont passionnés et passionnants. La lecture des trois volumes de sa "Bibliophilie" sont à recommander pour les amateurs d'histoire de la bibliophilie à la fin du XIXe siècle.
Oui Jean-Paul, c'est dense, je reconnais. J'ai essayé d'être complet sur les références, ce qui permet de comprendre de quoi on parle. Visiblement D'Eylac était un farouche adversaire du bonhomme Uzanne. Pourtant on les voit tous deux collaborer à la revue biblio-iconographique de Pierre Dauze. Mais peut-être ne se sont-ils jamais croisés ?? .... un jour ou l'autre on le saura. Nous aborderons bientôt un épisode des relations entre O. U. et Eugène Paillet des Amis des Livres ... tout un programme !
RépondreSupprimerB.