samedi 28 janvier 2012

Bric-à-Brac de l’Amour. Le Cupidoniana d’Octave Uzanne ou Diversités galantes sur les femmes et l’amour (1879).


Frontispice dessiné et gravé par Ad. Lalauze
représentant l'auteur dans ses rêves de femmes...
Octave Uzanne a 27 ans...


C’est le 5 décembre 1878 que sort des presses dijonnaises de l’imprimeur Darantière pour le compte d’Edouard Rouveyre, libraire et éditeur à Paris, un charmant petit volume intitulé le Bric-à-brac de l’amour (*) par Octave Uzanne, avec une préface de Jules Barbey d’Aurevilly. Il porte sur le titre la date de 1879. Cet ouvrage est orné d’un joli frontispice dessiné et gravé par Adolphe Lalauze. Il représente l’auteur en train de rêver le visage enroulé dans son bras gauche sur le dossier de son fauteuil, dans son cabinet, entouré d’angelots vire-voletant et jouant de la musique. Une plantureuse Vénus se trouve juste derrière lui. L’auteur rêve aux bénéfices et aux affres de l’amour, sans doute. Octave Uzanne a 27 ans. C’est la pleine sève du jeune homme aux appétits féroces de belles demoiselles qui s’exprime dans tout ce volume. Le 10 février de la même année avait paru son premier ouvrage de librairie Caprices d’un Bibliophile. Ce premier ouvrage ne s’aventurait pas encore sur les chemins de l’amour et des femmes qu’Uzanne empruntera tant et tant par la suite. Il donnera d’ailleurs à la suite du Bric-à-brac deux autres ouvrages dans la même veine le Calendrier de Vénus (1880) et les Surprises du Cœur (1881). Mais qui mieux qu’Uzanne pourrait parler de l’histoire de ce livre ? Voici ce qu'il écrit dans le catalogue de la vente d’une partie de sa bibliothèque en mars 1894 (**) :

« … Il y a quinze ans déjà ! le Bibliophile débutait à peine dans les lettres, et ce livre du Bric-à-Brac était pour l’époque d’une véritable audace. – J. Barbey d’Aurevilly venait de publier les Diaboliques qui firent si grand bruit ; il réclama et lut les épreuves du Bric-à-Brac, et quand l’auteur le vint voir, inquiet de son verdict, tremblant à l’idée des critiques féroces dont J. B. d’A. était si volontiers prodigue, il se vit accueilli avec transport par le Preux de Valognes, aussi emballé cette fois qu’il était réservé d’habitude. « Votre livre, Monsieur, m’enthousiasme – s’écria-t-il, et je le veux dire… que voulez-vous de moi Monsieur ? une préface … un article du lundi au Constitutionnel ? – parlez, je suis à vos ordres, et je ferai pour vous ce que je vous dois pour le délicat plaisir que m’a causé votre livre… » Et comme ravi et confus, l’auteur s’excusait timidement sur les imperfections de cette œuvre hâtive : « Ah çà ! criait le grand Maître, me prenez-vous pour un flagorneur… ? Mais, Monsieur, écoutez ceci : vous seriez mon pire ennemi, je vous détesterais à la mort que je vous devrais encore les hommages que je vous décerne, pour la rareté des sensations littéraires que vous m’avez procurées… - Vous êtes mon créancier… je n’ai pas fait trois préfaces dans ma vie…, et encore les ai-je faites ? – Voulez-vous de moi pour la curiosité du fait comme préfacier de votre livre truculant qui m’a tout empoigné et conquis… ? » Et ce fut ainsi, en sa pauvre chambre de la rue Rousselet qu’il magnifiait par ses causeries incomparables et ses mots à panache, que Barbey d’Aurevilly improvisa la préface du Bric-à-Brac dont il n’avait lu que les deux tiers. Il regrettait, plus tard, le livre étant paru, de n’avoir pu faire ressortir le moraliste qu’il découvrit – disait-il, - dans les dernières pages du livre, parmi les aphorismes et les épigrammes sur les femmes, mais rien ici-bas n’est parfait et telle qu’elle se présente, cette préface aura suffi à donner satisfaction aux seules ambitions littéraires qu’ait jamais manifestées le bibliophile-écrivain, jusqu’ici très solitaire, et fort indépendant avant tout. – L’auteur du Bric-à-Brac n’est ni décoré, ni désireux de l’être ; il n’aspire à aucune académie, se soucie des hommes au pouvoir comme un poisson d’une pomme et ne se sent sollicité que par la seule liberté de tout faire et de tout dire sans trembler. Il pense que les charges, ou les honneurs, quoi qu’on en dise, endomestiquent toujours un homme – et ne grandissent que ceux qui ont la modestie de se trouver petits et de croire à leur exhaussement par les médiocres piédestaux que leur offre la vanité humaine. Cette préface écrite en polychromie extraordinaire, semée de poudre d’or avec ses paraphes, ses initiales solides, ses fusées graphiques, est certainement le plus curieux manuscrit qu’on ait conservé de l’auteur de la Vieille Maîtresse. L’illustration de ce livre dans les marges n’est qu’à l’état d’amorce. Cet exemplaire vaut d’être complété par des aquarellistes de talent qui trouveront sur le whatman à gros grain un excellent terrain pour s’essayer à la plume, au crayon et au lavis. Une remarque curieuse au sujet de ce livre. La couverture du Bric-à-Brac de l’amour montre un des premiers essais de tirage en couleur par gillotage. Il y a quinze ans, c’était encore peu de chose, mais, l’auteur cherchait déjà des procédés nouveaux. On sait combien la chromotypographie a progressé depuis. » (***)

Cette amitié durable entre les deux hommes, dans les dernières années de Barbey d’Aurévilly, donna naissance à une petite biographie publiée en 1927 (****).

Page de titre.
Exemplaire sur Whatman, imprimé en deux couleurs,
tiré à 50 exemplaires, relié ici à toutes marges.
Format : 28,5 x 18,5 cm.


Que contient ce Bric-à-Brac de l’Amour ? Outre la Préface de Barbey d’Aurévilly citée plus haut, l’auteur commence par un avis Aux honnestes dames de Paris. Viennent ensuite sept textes sur les femmes et l’amour sous forme de courts récits. Ce sont Le crachoir – Du mourir en amour – Un curieux maléfice – Les pulsations de l’attente – Bric-à-Brac du sentiment – Le libertinage – Une femme qui saute. On trouve à la suite un Cupidoniana ou recueil de sentences, maximes et autres aphorismes bien sentis sur l’amour et les femmes. C’est sur ce dernier chapitre que nous allons prendre quelques prélèvements choisis. Le volume s’achève sur une Post-face ou A qui a lu. Avec ce premier volume sorti de la fougueuse plume enjeunessée d’Octave Uzanne, on peut essayer de le comprendre mieux. On est en droit de s’interroger sur les rapports aux femmes d’Octave Uzanne. Ce n’est pas si simple d’arriver à démêler le vrai du faux, le cynique auteur de la Femme à Paris ou de la Française du siècle ne donne pas si facilement les clés de sa personnalité. Il nous faudra sans doute encore beaucoup de temps pour bien connaître à fond ce cœur amoureux du beau en tout et de la liberté sans limite.

Voici donc quelques larges extraits du Cupidoniana qui occupe les pages 149 à 173 du volume.

« Un homme de bon sens se garde bien de prendre une maîtresse légitime, c’est-à-dire attitrée ; - il y a tant d’imbéciles qui en auront pour lui. »

« Il y a des femmes sur le retour prétentieuses et à prétentions qui ressemblent en tous points à d’infâmes cabotines que la province à gâtées. »

« L’impudence d’une femme excite l’amour-propre ; son impudeur fait naître les désirs, son impudicité ravage les sens. »

« La beauté conspire contre la vertu que la laideur protège. »

« L’argent est le nerf de la guerre – on voit bien que Mars entretient Vénus. »

« Les désirs et les passions, selon Desportes, sont les pieds de l’âme. Est-ce assez méprisant ? »

« Pasiphaé qui avait un Roi pour époux s’éprit follement d’un taureau. Que les temps sont changés ! Aujourd’hui les taureaux sont les maris qu’on minautorise ; les amants sont les Rois. »

« Lorsqu’on y songe bien, l’amour n’est peut-être qu’un agréable… ou désagréable mensonge. »

« Je conçois trois façons de comprendre la beauté ; en dégustateur, en consommateur, … en ivrogne. »

« L’amour est-il fort ? l’amoureux est faible ; est-il faible ? l’amoureux est puissant. On n’a jamais songé à comparer l’amour à une balance, ce n’est que cela pourtant ; la moindre chose la fait pencher, et, pour s’élever dans l’estime de sa maîtresse, l’amant doit charger le plateau où il se place du plus lourd mépris. »

« Singulier vœu que le vœu de chasteté ! c’est une injure, une provocation à la nature et au bon sens. »

« L’habileté, c’est de changer en dettes les faveurs qu’on exige de sa maîtress. »

Impression du texte en rouge minéral. Les ornements sont imprimés en bleu flore dans les exemplaires sur Whatman tirés à 50.


« On désire une femme, c’est un caprice ; on la souhaite, cela peut-être une passion. »

« Le mot célibataire ne dérive-t-il pas logiquement de coelum habitare ? »

« Dans Sodome on trouva sept justes, à Paris trouverait-on sept femmes sages ? »

« En amour, la parole cherche à habiller les désirs, tandis que l’audace de l’action parvient à déshabiller la parole. »

« Prenez l’amour d’une femme pour enclume ; plus vous le frapperez plus il sera brillant et fort : Crebro pulsata nitescit. »

« Il y a des virginités qui se réparent comme les cerceaux du cirque ; tous les soirs on les crève, pour les refaire et les recrever le lendemain. »

« Le platonisme, quel paradoxe d’amour ! Dans les âges de la galanterie, disait Ninon, c’est la passion de la vieillesse. »

« Le respect fait peur à l’amour, comme le pédant fait peur à l’écolier. »

« Il est rare qu’une femme nous guérisse des femmes, mais il est assez fréquent de voir les femmes nous guérir d’une femme. »

« Ah ! si les hommes pouvaient savoir combien les femmes sont… femmes, comme ils seraient plus audacieux dans l’attaque, moins réservés en désirs, plus libres en paroles et moins bêtes en actions ! Il n’y a que les confesseurs qui puissent se douter de l’effroyable perversité de la femme, et encore s’en doutent-ils ? »

« Une jeune fille : une rose entr’ouverte, une rose ouverte et diamantée dans la fraîcheur du matin ! Une fille, un liseron fané qui gravit sur tout le monde ! »

« Une femme qu’on a dû avoir est souvent plus aimable qu’une femme qu’on a eue. »

« L’œil d’un homme est terriblement myope lorsqu’il regarde un cœur de femme. »

« Il faut être bien habile pour distinguer une femme qui se livre d’une femme qui se donne. »

« Il y a des femmes qui ont trop d’amoureux pour avoir un amant, tandis que d’autres ont trop d’amants pour avoir un amoureux. »

« Il faut tricher en amour si l’on veut gagner la partie, ou bien jouer comptant sa virilité et abattre les cartes au moment favorable, mais en se gardant prudemment de jamais trop éclairer avec le cœur. »

« Bien malin, bien fort et bien extravagant celui qui apprendra aux femmes à raisonner avec autre chose que le sentiment. »

« Il n’y a peut-être que les femmes franchement méchantes qui soient cordialement bonnes. »

« Les femmes enfantent les vices, cela ne leur coûte rien ; les hommes les nourrissent, cela les ruine. »

« Il n’y a pas moyen, pensait sagement Aristophane, de vivre avec ces coquines ni sans ces coquines. »

« Pour être réellement aimé d’une femme il faut avoir été le premier à faire parler ses sens. »

« Les filles sont des saintes, elles exaucent les vœux de tout le monde. »

« Si une maîtresse vous accable de caresses, de petits soins, de cajoleries et de prévenances, soyez assuré qu’elle est inconstante de la veille ou qu’elle sera infidèle le lendemain. »

« Je me souviendrai longtemps de cette burlesque inscription sur une porte d’immeuble : Sonnez deux fois pour la sage-femme et trois fois pour celles qui ne le sont pas. – Pauvre sonnette ! Pauvre concierge ! »

« Pensée d’un gourmet libertin : les filles ont cela de commun avec le perdreau que, même (si ce n’est surtout) faisandées, elles se paient fort cher. »

« Il faut tout demander aux femmes, de peur qu’elles n’accordent à d’autres des caresses que vous n’avez pas osé le premier réclamer d’elles. Les plus audacieusement pervers sont les plus tendrement adorés. »

« Certaines dames maigres et bien vêtues, prétentieuses et sottes, ressemblent à d’affreuses brochures bien reliées. »

« La meilleure façon de ne pas souffrir de l’inconstance de sa maîtresse, c’est de la prévenir par ses propres infidélité. »

« Les femmes ont l’ingratitude des sens, si elles ont le dévouement du cœur. C’est qu’une femme ne fait que de se prêter, alors qu’un homme se livre en se semant ; l’un donne, l’autre reçoit. En faut-il davantage pour prouver l’infériorité des femmes, ces Danaïdes mendiantes d’amour qui vont sans cesse puiser, sans fatigue, à la source de vie ? »

« Une jolie femme constante en amour est avare de sa beauté : c’est un meurtre ; le beau mieux que l’or est fait pour la circulation, il s’escompte à vue ou se négocie dans les mains du bonheur. »

« Le plaisir est héritier du désir dont la jouissance est l’exécuteur testamentaire ; - les caresses sont usufruitières. »

« L’amour, c’est l’unique objectif des femmes, si ce n’est la maternité ou la maternaillerie. Le but de l’homme est plus étendu ; aussi, en galopant dans la vie, doit-il mettre l’amour en croupe et non devant lui ; le coquin l’aveuglerait. »

« Lorsqu’une femme donne audience au bon Dieu dans son cœur, elle fait attendre le diable à la porte des sens. »

« Les femmes passionnées sont des réchauds pour les cœurs froids et les tempéraments blonds et fades. Un homme sanguin qui a conscience de sa virilité préfèrera toujours les femmes froides, ces poêles à dessus de marbre qu’il s’agit de chauffer et qui dégagent, au bon moment, plus de calorique que les autres, sans brûler ridiculement hors de saison. »

« Nos voisins semblent oublier bien souvent, à l’égard de nos maîtresses, que ce n’est pas le beau qui plaît en amour mais au contraire que c’est ce qui plaît qui est beau. »

« Quand une femme aime son mari, ce qu’elle adore en lui c’est l’amant qu’elle pourrait avoir mais qu’elle n’a pas encore trouvé. »

Et Octave Uzanne de conclure son Cupidoniana avec celle-ci :

« La femme, disait Diderot, c’est le premier domicile de l’homme ; un domicile aimable et trompeur auquel on s’habitue. Je dois dire en terminant, ainsi que Restif de La Bretonne : Quelque mal que mon esprit puisse dire des femmes, mon cœur en pensera encore plus de bien, car elles sont les dispensatrices du seul genre de bonheur qui m’ait jamais tenté. »

Octave Uzanne aimait les femmes ! Il n’y a aucun doute possible. Reste à découvrir l’origine de ce cynisme si marqué qu’il conservera tout au long de sa vie d’écrivain et de journaliste.

Chaque nouvelle lecture ou relecture nous éclaire davantage sur les états d’âme de ce célibataire volontaire.

Bertrand Hugonnard-Roche

(*) Le Bric-à-Brac de l’Amour par Octave Uzanne, préface de Jules Barbey d’Aurévilly. Paris, Librairie ancienne et moderne Edouard Rouveyre, 1879. Tirage à petit nombre sur papier de Hollande. Il a été fait un tirage de luxe comme suit : 4 exemplaires imprimés sur parchemin, 6 exemplaires imprimés sur papier du Japon, 10 exemplaires imprimés sur papier de Chine, 30 exemplaires imprimés sur papier Whatman. Il a été également fait un tirage en deux couleurs (bleu flore et rouge minéral) à 50 exemplaires sur papier Whatman.
(**) Notes pour la bibliographie du XIXe siècle. Quelques-uns des livres contemporains en exemplaires choisis, curieux ou uniques, revêtus de reliures d’art et de fantaisie, tirés de la bibliothèque d’un écrivain et bibliophile parisien dont nom n’est pas un mystère, et qui seront livrés aux enchères les vendredi et samedi (2 et 3 mars 1894), en l’hôtel des ventes, rue Drouot, salle n°10. Paris, Chez le libraire expert, A. Durel, (1894).
(***) N°420 du catalogue cité ci-dessus.
(****) L’alphabet des lettes. Barbey d’Aurévilly par Octave Uzanne. U. Paris, A la cité des livres, 1927.



1 commentaire:

  1. Bonjour @bertrand
    Quelle définition donneriez vous au mot "minotauriser" ?
    Est-ce simplement tromper son mari / son épouse ? (ce qui semble coller au contexte de votre citation)
    ou alors de façon plus imagée, le considérer comme un animal, le déshumaniser en lui imposant son opinion ou une situation, en s'opposant systématiquement à ce qui emmane de lui / de elle ?
    Merci

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