Voici un texte très intéressant qui permet encore un peu plus de cerner le personnage Octave Uzanne des années 1880.
Le texte que nous présentons ci-dessous est extrait du Calendrier de Vénus par Octave Uzanne. Paris, Edouard Rouveyre, 1880. Encore un livre sur les femmes et l'amour, le deuxième du genre après le Bric-à-Brac de l'Amour publié l'année précédente. Celui-ci sort le 31 janvier 1880 des mêmes presses dijonnaises de Darantière à qui Edouard Rouveyre était fidèle pour l'impression de ses beaux livres tirés à petit nombre. C'est l'épître dédicatoire qui va nous intéresser ici. Mais qui peut bien être cette Bétzy "aux jolies petites mains de fée", dont l’œuvre d'amour avec l'auteur "fut si tôt interrompue" ? Alors Uzanne écrit :
"Dans l'intimité de nos relations, Madame, le souvenir, dès lors, peut prendre place entre l'estime et l'amitié, deux grands mots en vérité qui effraient les désirs avant la lettre, mais qui, après, protègent la retraite, apaisent les rebellions d'amour-propre, sauvegardent les convenances mondaines et abritent mieux les épaves de la passion que toutes les feuilles de bananier de Paul et Virginie. (...) Entre nous, la sympathie intellectuelle fut de moitié dans nos accordances amoureuses (...) Permettez-moi donc, Madame, en souvenirs de nos délices d'hier, en mémoire de notre félicité présente, et dans l'espérance de nos douces causeries d'avenir, de vous présenter ces petits écrits boutadeux (...)" Cette épître est datée du 15 novembre 1879.
Cette Bétzy a-t-elle jamais existé autre part que dans l'imagination de l'auteur ? Était-elle de chair et de sens ? Peut-être une maîtresse de passage, ou plusieurs en une seule même, une image de l'amour ? seul Octave Uzanne le savait.
Voici l'épître dédicataire du Calendrier de Vénus dans son intégralité :
"A Bétzy
La vie, dit-on, est un canevas qui ne vaut pas grand chose, la broderie qu'on y ajoute seule peut avoir quelque prix, et je ne saurais oublier, Madame, sans faire injure à mes sensations passées, les fines et capricieuses arabesques dont vos jolies petites mains de fée ont si délicatement festonné, pendant de longues heures fugitives, cette toile grise, uniforme ou banale qu'enrichissent et agrémentent avec tant d'art voluptueux les ivoirines navettes d'amour.
Selon Beaumarchais, la passion est le roman du coeur tandis que le plaisir en est l'histoire : vous auriez donc, à ce titre, de doubles droits à mon entière gratitude, aussi bien comme romancière émérite que comme historienne exquise dans les belles lettres de Cythère. Au milieu des archives bouleversées de mes sens je me plais aujourd'hui à rechercher bien des dates que caressent mes souvenirs, et j'aimerais, je l'avoue, ajouter, de concert avec vous, un nouveau chapitre à notre oeuvre si tôt interrompue, mais la nature qui veut que tout finisse, fait clairement appel à ma raison en m'indiquant avec son aimable sagesse, que Cupidon aime à renouveller le feu de ses brandons et que, dans un parterre de beautés infinies, il ne faut pas cueillir toutes les roses sur un même rosier.
Ne vaut-il pas mieux respirer lentement les doux parfums d'antan, que risquer de briser la cassolette en la surchargeant de plus fraiches senteurs ? Vous me savez, du reste, trop indépendant pour jouer le Pastor fido et trop loyal pour feindre un sentiment immuable. Les girouettes ne se fixent que lorsqu'elles sont rouillées et je pivote encore assez bien sous les courants capricieux du désir pour ne pas me convaincre chaque jour davantage que l'inconstance ici bas fait plus de conquêtes que la fidélité n'en conserve.—L'amour, avec son arsenal de soupçons, de craintes, d'inquiétudes, de regrets et d'alarmes ne vaut assurément pas qu'on s'y attache ; la volupté y passe comme un rêve, la douleur s'y implante comme un cauchemar. L'homme amoureux suit la femme comme le taureau le sacrificateur, disait Salomon, le sage des sages, aussi, pour protéger son coeur contre une passion exclusive, entretenait-il une légion de près de huit cents femmes, qu'il traitait en esclaves afin de ne pas s'esclaver lui-même à une seule créature.
Dans l'intimité de nos relations, Madame, le souvenir, dès lors, peut prendre place entre l'estime et l'amitié, deux grands mots en vérité qui effraient les désirs avant la lettre, mais qui, après, protègent la retraite, apaisent les rébellions d'amour-propre, sauvegardent les convenances mondaines et abritent mieux les épaves de la passion que toutes les feuilles de bananier de Paul et Virginie. Lorsque le goût, la curiosité ou le caprice en font tous les frais, les bonnes fortunes sont de joyeuses flambées de paille qui ne laissent point de cendres. Entre nous, la sympathie intellectuelle fut de moitié dans nos accordances amoureuses, aussi bien que l'incendie soit éteint, la part du feu est faite, et il nous reste l'un pour l'autre un sentiment moins perturbateur allumé au même foyer, forgé au même brasier mais assurément mieux trempé et surtout plus tenace. Permettez-moi donc, Madame, en mémoire de nos délices d'hier, en témoignage de notre félicité présente, et dans l'espérance de nos douces causeries d'avenir, de vous présenter ces petits écrits boutadeux ; lisez-les comme ces chapelets qu'on égrène distraitement sans songer à dire le rosaire ; arrêtez-vous aux bons endroits, vous y trouverez comme l'ombre d'heureuses sensations, et si parfois il vous venait à l'idée que je suis plus coloriste que dessinateur, daignez vous rappeler que je ne donne pas la gabatine et qu'au temple de la Divinité des Grâces, où nous fûmes en pèlerinage, les nombreux bas reliefs tracés sur l'autel pourraient vous offrir un curieux démenti.
Trouvez ici, Madame, l'affectueuse expression de ma plus franche amitié.
OCTAVE UZANNE.
Paris, 15 novembre 1879."
Éloge de l'inconstance en amour et de l'infidélité autant que du libertinage le plus franc ; les passions et l'amour ne durent pas, ou qu'un instant qu'il faut savoir saisir et partir. Pourquoi alors s'attarder ? telle est la thèse défendue par ce libertaire amoureux.
Bertrand Hugonnard-Roche
Le texte que nous présentons ci-dessous est extrait du Calendrier de Vénus par Octave Uzanne. Paris, Edouard Rouveyre, 1880. Encore un livre sur les femmes et l'amour, le deuxième du genre après le Bric-à-Brac de l'Amour publié l'année précédente. Celui-ci sort le 31 janvier 1880 des mêmes presses dijonnaises de Darantière à qui Edouard Rouveyre était fidèle pour l'impression de ses beaux livres tirés à petit nombre. C'est l'épître dédicatoire qui va nous intéresser ici. Mais qui peut bien être cette Bétzy "aux jolies petites mains de fée", dont l’œuvre d'amour avec l'auteur "fut si tôt interrompue" ? Alors Uzanne écrit :
"Dans l'intimité de nos relations, Madame, le souvenir, dès lors, peut prendre place entre l'estime et l'amitié, deux grands mots en vérité qui effraient les désirs avant la lettre, mais qui, après, protègent la retraite, apaisent les rebellions d'amour-propre, sauvegardent les convenances mondaines et abritent mieux les épaves de la passion que toutes les feuilles de bananier de Paul et Virginie. (...) Entre nous, la sympathie intellectuelle fut de moitié dans nos accordances amoureuses (...) Permettez-moi donc, Madame, en souvenirs de nos délices d'hier, en mémoire de notre félicité présente, et dans l'espérance de nos douces causeries d'avenir, de vous présenter ces petits écrits boutadeux (...)" Cette épître est datée du 15 novembre 1879.
Cette Bétzy a-t-elle jamais existé autre part que dans l'imagination de l'auteur ? Était-elle de chair et de sens ? Peut-être une maîtresse de passage, ou plusieurs en une seule même, une image de l'amour ? seul Octave Uzanne le savait.
Voici l'épître dédicataire du Calendrier de Vénus dans son intégralité :
"A Bétzy
La vie, dit-on, est un canevas qui ne vaut pas grand chose, la broderie qu'on y ajoute seule peut avoir quelque prix, et je ne saurais oublier, Madame, sans faire injure à mes sensations passées, les fines et capricieuses arabesques dont vos jolies petites mains de fée ont si délicatement festonné, pendant de longues heures fugitives, cette toile grise, uniforme ou banale qu'enrichissent et agrémentent avec tant d'art voluptueux les ivoirines navettes d'amour.
Selon Beaumarchais, la passion est le roman du coeur tandis que le plaisir en est l'histoire : vous auriez donc, à ce titre, de doubles droits à mon entière gratitude, aussi bien comme romancière émérite que comme historienne exquise dans les belles lettres de Cythère. Au milieu des archives bouleversées de mes sens je me plais aujourd'hui à rechercher bien des dates que caressent mes souvenirs, et j'aimerais, je l'avoue, ajouter, de concert avec vous, un nouveau chapitre à notre oeuvre si tôt interrompue, mais la nature qui veut que tout finisse, fait clairement appel à ma raison en m'indiquant avec son aimable sagesse, que Cupidon aime à renouveller le feu de ses brandons et que, dans un parterre de beautés infinies, il ne faut pas cueillir toutes les roses sur un même rosier.
Ne vaut-il pas mieux respirer lentement les doux parfums d'antan, que risquer de briser la cassolette en la surchargeant de plus fraiches senteurs ? Vous me savez, du reste, trop indépendant pour jouer le Pastor fido et trop loyal pour feindre un sentiment immuable. Les girouettes ne se fixent que lorsqu'elles sont rouillées et je pivote encore assez bien sous les courants capricieux du désir pour ne pas me convaincre chaque jour davantage que l'inconstance ici bas fait plus de conquêtes que la fidélité n'en conserve.—L'amour, avec son arsenal de soupçons, de craintes, d'inquiétudes, de regrets et d'alarmes ne vaut assurément pas qu'on s'y attache ; la volupté y passe comme un rêve, la douleur s'y implante comme un cauchemar. L'homme amoureux suit la femme comme le taureau le sacrificateur, disait Salomon, le sage des sages, aussi, pour protéger son coeur contre une passion exclusive, entretenait-il une légion de près de huit cents femmes, qu'il traitait en esclaves afin de ne pas s'esclaver lui-même à une seule créature.
Dans l'intimité de nos relations, Madame, le souvenir, dès lors, peut prendre place entre l'estime et l'amitié, deux grands mots en vérité qui effraient les désirs avant la lettre, mais qui, après, protègent la retraite, apaisent les rébellions d'amour-propre, sauvegardent les convenances mondaines et abritent mieux les épaves de la passion que toutes les feuilles de bananier de Paul et Virginie. Lorsque le goût, la curiosité ou le caprice en font tous les frais, les bonnes fortunes sont de joyeuses flambées de paille qui ne laissent point de cendres. Entre nous, la sympathie intellectuelle fut de moitié dans nos accordances amoureuses, aussi bien que l'incendie soit éteint, la part du feu est faite, et il nous reste l'un pour l'autre un sentiment moins perturbateur allumé au même foyer, forgé au même brasier mais assurément mieux trempé et surtout plus tenace. Permettez-moi donc, Madame, en mémoire de nos délices d'hier, en témoignage de notre félicité présente, et dans l'espérance de nos douces causeries d'avenir, de vous présenter ces petits écrits boutadeux ; lisez-les comme ces chapelets qu'on égrène distraitement sans songer à dire le rosaire ; arrêtez-vous aux bons endroits, vous y trouverez comme l'ombre d'heureuses sensations, et si parfois il vous venait à l'idée que je suis plus coloriste que dessinateur, daignez vous rappeler que je ne donne pas la gabatine et qu'au temple de la Divinité des Grâces, où nous fûmes en pèlerinage, les nombreux bas reliefs tracés sur l'autel pourraient vous offrir un curieux démenti.
Trouvez ici, Madame, l'affectueuse expression de ma plus franche amitié.
OCTAVE UZANNE.
Paris, 15 novembre 1879."
Éloge de l'inconstance en amour et de l'infidélité autant que du libertinage le plus franc ; les passions et l'amour ne durent pas, ou qu'un instant qu'il faut savoir saisir et partir. Pourquoi alors s'attarder ? telle est la thèse défendue par ce libertaire amoureux.
Bertrand Hugonnard-Roche
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