mercredi 13 mai 2015

Les deux amies (Les Fricatrices selon Octave Uzanne) attribuées à Fragonard ne sont pas de Fragonard ! Tableau attribué à Jean-Jacques Lagrenée (1739-1821).


Les deux amies, tableau attribué à Jean-Jacques Lagrenée (1739-1821) par les experts Christie's
Tableau attribué à Fragonard par Octave Uzanne

Copyright Christie's (copie d'écran), 2015


      "Le tableau de Fragonard ne serait pas de Fragonard !", c'est ainsi qu'un ami bibliophile m'annonce et m'indique, avec page web et illustration à la clé, que le tableau "Les Fricatrices" attribué à Fragonard par Octave Uzanne publié à 300 exemplaires seulement pour les Contes pour les Bibliophiles (1895), tableau faisant partie de sa collection puis de la collection de son ami Emile Rochard (mort en 1917), n'est en réalité pas du maître français du XVIIIe siècle.
      C'est une vente Christie's du 21 octobre 1997 qui donne une partie de la réponse aux interrogations que l'on pouvait légitimement se poser. Nous n'avions pas retrouvé de reproduction en couleur de ce superbe tableau libertin. La page web du site Christie's en ligne actuellement (archive) nous donne une belle reproduction (voir ci-dessus) et quelques détails. Il s'agit d'une huile sur toile de dimensions 48,3 x 60 cm. Elle est intitulée par Christie's "Les deux amies" et est attribuée à Jean-Jacques Lagrenée (1739-1821). L'estimation de ce lot n°245 (vente 8756 du 21 octobre 1997, New-York) est de $30.000 / $50.000. Lot adjugé $129.000.
      Voici l'intéressante note qui est jointe à la fiche de vente :

Although a significant body of erotic writing from 18th century France has come down to us (often illustrated with explicit engravings), few sexually graphic works of fine art seem to have survived, and it is uncertain whether very many were produced. Even the most enlightened collector living in an age of anti-clericalism and materialistic thought might have blushed to display on his walls the sort of imagery he would savor when it was bound behind the discreet moroccan covers of a livre philosophique. There can be no doubt, however, that as the century progressed, a market for erotic pictures of high aesthetic quality was sustained by reputable artists willing to satisfy the demands of 'libertine' patrons. However, only a few of these pictures are known today. For example, days before he died, Watteau destroyed most of his works which he felt were lewd, and one that escaped destruction--the glorious little panel, The Remedy, in the Norton Simon Museum, Pasadena--was mutilated, either at that time or in the years that followed. Boucher certainly made the occasional explicit picture, but only two--an oval pair depicting toilettes intime (A. Ananoff, François Boucher, 1976, I, pp. 325-7, nos. 210 and 212)--have been identified. The present painting of two nude lovers still has the power to startle, in part because of the very incongruousness--for modern eyes--of the treatment the subject receives. With meticulous attention paid to the harem-like setting, and shimmering brushwork in the bedclothes that is reminiscent of Fragonard's 'Dutch' interiors of the 1780s, Les Deux Amies is a remarkably pretty scene of voluptuous abandon ; its candid subject matter might suggest Courbet avant la lettre, but its charming sensibility is entirely dix-huitieme siècle. The attribution of the painting to Jean-Jacques Lagrenée is traditional, and has been supported by Marianne Roland Michel, who knows the painting from a photograph. Its manner is in keeping with that of Lagrenée the younger, the brother and pupil of the better-known history painter, Louis Lagrenée (for whom, see lot 160 in this sale). 

      Référence fournie par Chrisitie's : F. Tels, L'Art et L'Amour, 1952, I, p. 170, illustrated.

      Fragonard n'est pas l'auteur reconnu ce petit chef-d’œuvre licencieux, mais il est cité en bonne place, marquant une influence certaine sur cette peinture. Croyons donc les experts Christie's plutôt qu'Octave Uzanne qui très probablement, toute sa vie (durant laquelle il eut ce tableau sous les yeux chez lui ou chez Emile Rochard), a cru de bonne foi que ce tableau était du maître de la Liseuse.
      Le plus important dans cette histoire de Fricatrices est sans aucun doute que ce tableau existe encore. Nous en avons désormais une vision polychrome, plus juste, plus pertinente.
      Christie's indiqe la provenance de ce tableau : Mme. Chastel, Paris. Galerie Cailleux, Paris, jusqu'en 1959, acquis dans cette galerie par le possesseur actuel (resté anonyme). Nous pouvons donc ajouter à ce pedigree : Collection Octave Uzanne (jusque vers 1893 ou 1894), puis offert à son ami Emile Rochard (mort en 1917). Emile Rochard le libertin directeur de théâtre parisien étant mort en odeur de sainteté (converti bigot de première classe), il est fort probable qu'il se soit débarrassé de ce tableau encombrant bien avant son décès. Sa conversion datant des années 1913-1914, on peut supposer qu'il s'en sépara vers cette période. A moins qu'il n'ait fait partie de la vente de ses meubles et objets d'art après son décès. Nous en apprendrons certainement encore beaucoup sur le destin assez sympathique de ce tableau qu'il faut mieux cacher que montrer.
      Nous vous invitons à lire ou relire les articles consacrés aux Fricatrices (ici aussi) déjà publiés sur ce site.
      A suivre.


3 commentaires:

  1. Je ne crois pas à ce diagnostic : Jean-Jacques Lagrenée était un peintre d'histoire, très loin des frivolités peintes par Fragonard. Son frère aîné, Louis-Jean-François aurait été plus capable de réaliser ce tableau, mais, comme disait Diderot, son pinceau ignorait trop le coeur humain pour ce faire.

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  2. certains sites internet attribuent ce tableau à Louis, effectivement.

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  3. Aujourd'hui on dirait scissor sisters (bon groupe, d'ailleurs)...
    Olivier

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