jeudi 10 décembre 2020

A propos de La joie de vivre, dernier volume en date des Rougon-Macquart par Emile Zola, extrait de la chronique donnée par Edouard Drumont dans Le Livre (10 mars 1884).


Page de titre et justification du tirage de l'édition originale de
La joie de vivre, par Emile Zola.



A propos de La joie de vivre, dernier volume en date des Rougon-Macquart par Emile Zola, extrait de la chronique donnée par Edouard Drumont, alors collaborateur assidu à la revue Le Livre d'Octave Uzanne. (*)

[...] C'est un livre étrange que cette Joie de vivre et qui traduit aussi un des côtés de cette universelle désespérance, de ce pessimisme morne qui hante nos générations et que les générations d'autrefois ne connaissaient pas. Violente et coléreuse chez Flaubert, amène et souriante dans Heine et dans Alphonse Daudet, la haine de l'existence présente est grossière et brutale dans Émile Zola. L'auteur prend toutes les misères humaines, la goutte, l'œdème, l'accouchement difficile, l'hypocondrie, le suicide ; il recueille toutes les pestilentielles odeurs qui sortent de ces corps à demi pourris, toutes les tristesses qu'inspirent ces souffrances minutieusement décrites, il roule le lecteur là dedans et il lui dit : « Voilà la vie, mon vieux, qu'en penses-tu ? » Le livre est fort et remuant dans sa forme déplaisante, je l'ai constaté ailleurs. L'auteur, en définitive, a fait œuvre d'artiste puisqu'il s'est proposé un but et qu'il l'a atteint, puisqu'il a rendu visible une pensée qui était en lui. Rarement, par exemple, on a écrit quelque chose de plus désenchantant et de plus pénible. A l'exception de Pauline, la pupille dépouillée par les Chanteau, qui a quelque grâce, presque tous les acteurs sont affreusement bêtes, profondément égoïstes, inconsciemment malhonnêtes. L'écœurement qu'a désiré exciter le romancier vient tout spontanément aux lèvres devant tous ces personnages d'Henri Monnier proclamant au milieu d'une sorte de musée Dupuytren que Schopenhauer a raison et que la vie est un mal. Les païens eux-mêmes, Platon en tête, auraient refusé de reconnaître leur semblable dans ces êtres avilis et dégradés qui vivent d'une vie exclusivement instinctive et animale. Diogène lui-même eût préféré à ces bipèdes monstrueux le coq qu'il jeta un jour dans la salle de l'Académie et qui du moins salue d'une joyeuse fanfare le lever de l'aurore. L'avenir néanmoins consultera avec curiosité ce document humain qui a au moins le mérite de la franchise ; il connaîtra par lui la conception que le matérialisme du XIXe siècle se fait de cet homme créé à l'image de Dieu. L'œuvre, en effet, est sortie toute vivante des doctrines modernes et Zola n'a fait que donner une manifestation artistique aux théories de M. Paul Bert. [...]


Edouard Drumont
in Le Livre, Bibliographie moderne
Le Mouvement littéraire, Chronique du mois,
Livraison du 10 mars 1884


(*) La joie de vivre, par Emile Zola. 1 volume in-18. Paris, G. Charpentier et Cie, 1884. (4)-447 pages. Il a été tiré 10 exemplaires sur Japon et 150 exemplaires sur Hollande. La Joie de vivre est le douzième volume de la série Les Rougon-Macquart. Il est publié pour la première fois entre le 29 novembre 1883 et le 3 février 1884 dans le feuilleton du Gil Blas, avec une seule interruption le 15 janvier. Le roman est publié principalement en troisième page. Ce roman oppose le personnage de Pauline, qui aime la vie même si celle-ci ne lui apporte guère de satisfactions, à celui de Lazare, être velléitaire et indécis, rongé par la peur de la mort. 

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