samedi 21 octobre 2017

Lettre autographe d'Octave Uzanne à Georges Hérelle (Bayonne). 6 avril 1923. "Je me sens plutôt en exil dans ce monde d'après guerre, où l'arrivisme est brutal, le mercantilisme écœurant."


Copie d'écran site Bilketa. Recto.
Nous venons de prendre connaissance d'une très intéressante lettre d'Octave Uzanne adressée à Georges Hérelle (1). Cette lettre datée du 6 avril 1923 (Octave Uzanne est âgé de 72 ans) écrite de Saint-Cloud, nous dévoile en quelques phrases l'état d'esprit du journaliste de la Dépêche, qu'il était encore alors, vis-à-vis de sa profession et de ses confrères. Nous la retranscrivons intégralement ci-dessous.

[Papier à en-tête imprimé à l'adresse de Saint-Cloud : 62, Bd de Versailles, St-Cloud-Montretout, S. & O.].

Ce 6 avril [19]23.

Je viens de recevoir, cher monsieur-ami (2), votre forte et intéressante brochure sur la Représentation des pastorales Basques. Je l'ai coupée ; j'ai pris intérêt aux illustrations et je vais avoir d'autant plus d'intérêt à lire votre étude, que vous m'en avez naguère, longuement entretenu de vive voix et que je sais le goût passionné d'érudit qui vous porte depuis de longues années vers ces sortes de mystères à sujets tragiques en Pays basques.
Je verrai si je puis bientôt en parler. Dans la Dépêche ou ailleurs. Comme les hommes de mon âge, amoureux de retraite solitaire et de recueillement, j'ai, à cette heure, peu accès dans la presse que je laisse aux jeunes générations dont je ne parle pas la langue et dont, surtout, les visions me sont étrangères.
Copie d'écran site Bilketa.Verso.
Je me sens plutôt en exil dans ce monde d'après guerre, où l'arrivisme est brutal, le mercantilisme écœurant. Je vis beaucoup dans le passé, parmi les esprits généreux, idéalistes, enthousiastes, épris de beauté plus que d'argent, qui furent mes amis d'âge-mûr.
Je ne retrouve point, dans les jeunes de ce temps, cette fougue, cette joie de créer dans l'amour ardent de la vie, ce mépris des vulgarités et des affaires pécuniaires qui distinguaient les intellectuels que j'ai fréquentés. C'est pourquoi je me détourne volontiers d'un journalisme actuellement envahi par une horde d'êtres d'un esprit réalisateur immédiat et pour qui, les questions d'érudition semblent tout à fait caduques et dérisoires.
J'espère que vous allez reconquérir votre pleine santé et que le retour des beaux jours vous rendra l'épaule droite tout à faire indemne de rhumatismes.
Je vais assez bien et mon hiver fut assez doux et sans traces physiques dont il vaille de parler.
Je compte aller faire une saison à la Roche-Posay (3), en Poitou, dans le cours de mai. Fort probablement après cette cure, dont j'attends amélioration vésicale, j'irai vers Bayonne et aurai le plus vif plaisir à vous y retrouver ; ce serait vers le 20 ou 25 juin.
Trouvez-ici, en attendant, cher monsieur ami, mes fidèles pensées sympathiques et l'expression de mes souvenirs cordiaux.

Octave Uzanne


(1) cette lettre est conservée dans le fonds des manuscrits de la médiathèque de Bayonne (VIIe carton. Dossier de correspondance T-Z, cote Ms.652_7_6 ). Elle est numérisée et accessible en ligne sur le site Bilketa, Portail des fonds documentaires basques.

(2) Georges Hérelle, né le 27 août 1848 à Pougy-sur-Aube et mort le 15 décembre 1935 à Bayonne, est un traducteur, ethnographe et professeur de philosophie français. Il a également publié sous les pseudonymes : L.-R. De Pogey-Castries et Agricola Lieberfreund. Il fait ses études à Troyes où son père est professeur, puis à Paris au Lycée Louis-le-Grand. Après avoir obtenu une licence de philosophie en 1871 à Dijon, il est nommé professeur dans divers lycées de Normandie, puis à Bayonne de 1896 jusqu'à sa retraite en 1903. Parallèlement, il travaille avec une grande érudition sur l'histoire de la Champagne et sur l'histoire de l'homosexualité .Une fois nommé à Bayonne, il étudie le folklore basque et notamment les « pastorales », sur lesquelles il écrivit d'importants travaux de compilation et d'analyses. Il fut également un grand traducteur d'écrivains italiens, notamment de D'Annunzio (avec lequel il entretint des rapports d'amitié), Grazia Deledda, Antonio Fogazzaro et Matilde Serao. Il traduit également des auteurs de langue portugaise ou espagnole comme Blasco Ibáñez. Il est l'ami de Henri Bouchot et de Paul Bourget, avec lequel il entretient des relations épistolaires, ainsi qu'avec André Gide. (source : Wikipédia).

(3) nous avons donné dans nos colonnes 4 cartes postales adressées à son frère Joseph depuis cette cure à La Roche-Posay effectuée en juin 1923.

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