L’année 1917 verra-t-elle la fin de la guerre ? – Jeudi 11 janvier 1917. (*)
Il y eut de l’étonnement, presque de la stupéfaction et de l’incrédulité même lorsqu’on apprit en France, vers la fin d’août 1914, que nos alliés de Grande-Bretagne traitaient leurs marchés de guerre à long terme et se refusaient à conclure les contrats pour une durée moindre de trois ou quatre années. Il ne pouvait entrer dans nos conceptions que le formidable conflit mondial se puisse perpétuer au-delà d’un an ou dix-huit mois. Nos amis britanniques voyaient plus juste. Leur premier chant de débarquement scandait, sur un rythme de gigue mélancolique, la longueur du chemin qui mène à Tippérary, au but lointain de la marche épique pour la sauvegarde du monde. Ils ne s’illusionnaient point, ni sur l’âpreté des combats, ni sur leur inexorable continuité, ni surtout sur l’étendue prodigieuse des efforts à multiplier pour atteindre une performance supérieure. Ils savaient surtout que la force du Royaume-Uni était faite de patience, de volonté froide et persistante et de méconnaissance de la lassitude. Au cours de son histoire, l’Angleterre semble avoir faite sienne la fière devise de Charles-Quint : « Le Temps et Moi contre tous. » Ce qu’elle ne put obtenir par la puissance de ses armes, par la maîtrise de sa flotte ou par l’abondance de ses moyens financiers, elle sut toujours le réaliser par son obstination prodigieuse dans la résistance et par son dédain des mois et des années qu’il fallut dépenser pour résoudre toute affaire entreprise aux conditions mêmes qu’elle s’était proposées dès le principe pour sa réussite.
Il y eut de l’étonnement, presque de la stupéfaction et de l’incrédulité même lorsqu’on apprit en France, vers la fin d’août 1914, que nos alliés de Grande-Bretagne traitaient leurs marchés de guerre à long terme et se refusaient à conclure les contrats pour une durée moindre de trois ou quatre années. Il ne pouvait entrer dans nos conceptions que le formidable conflit mondial se puisse perpétuer au-delà d’un an ou dix-huit mois. Nos amis britanniques voyaient plus juste. Leur premier chant de débarquement scandait, sur un rythme de gigue mélancolique, la longueur du chemin qui mène à Tippérary, au but lointain de la marche épique pour la sauvegarde du monde. Ils ne s’illusionnaient point, ni sur l’âpreté des combats, ni sur leur inexorable continuité, ni surtout sur l’étendue prodigieuse des efforts à multiplier pour atteindre une performance supérieure. Ils savaient surtout que la force du Royaume-Uni était faite de patience, de volonté froide et persistante et de méconnaissance de la lassitude. Au cours de son histoire, l’Angleterre semble avoir faite sienne la fière devise de Charles-Quint : « Le Temps et Moi contre tous. » Ce qu’elle ne put obtenir par la puissance de ses armes, par la maîtrise de sa flotte ou par l’abondance de ses moyens financiers, elle sut toujours le réaliser par son obstination prodigieuse dans la résistance et par son dédain des mois et des années qu’il fallut dépenser pour résoudre toute affaire entreprise aux conditions mêmes qu’elle s’était proposées dès le principe pour sa réussite.
Lord
Kitchener, peu de temps avant le mystérieux désastre maritime où il disparut,
répondait à l’un de ses compatriotes qui l’interrogeait sur la durée de la
guerre : « Comment vous dirais-je quand elle finira, alors que je ne
sais pas encore quand, pour nous autres, Anglais, elle commencera vraiment avec
tous nos moyens. »
Et,
en effet, la grande ruée en avant du Léopard britannique, le bondissement
définitif ne s’est pas encore produit. Sir Douglas Haig, le nouveau maréchal,
chargé de le déclencher sur notre front et à nos côtés, montre autant d’humour
que Kitcheneer, pour le moins, dans ses propos sur la continuité des efforts.
On lui prête cette réplique à quelqu’interviewer sur le terme à entrevoir de
tant de misères : « Le mieux, est de se dire que, dans ces sortes
d’affaires, les cinq premières années sont les plus terribles ; après
cela, il n’y a plus qu’à voir venir le résultat. »
Pour
le caractère granitique du britisher d’origine celtique, l’esprit de notre
fabuliste est assurément le meilleur qui soit : « Patience et
longueur de temps valent mieux que force et que rage. » Laisser l’ennemi
dépenser ses forces en agressions fiévreuses, épileptiques, rapides, avec la
hâte du résultat ; constater ses succès, avec la volonté décisive de ne
pas s’en alarmer ; attendre, en réservant ses énergies, le moment voulu,
précis où l’on percevra son halètement distinct dans l’effort, afin de frapper
avec tout le sang-froid, toute la force accumulée pour le jeter à terre. Les
professionnels du ring connaissent cette théorie des ruses sportives de la
Boxe.
Les
débuts d’années sont fertiles en spéculations d’espérances. Les civilisés
montrent une foi de joueurs fatalistes en engageant, croient-ils, la partie sur
un tapis neuf. Déjà, en janvier 1915 et 1916, ils ouvrirent un crédit sans
limite aux offensives des printemps prochains, croyant entrer dans l’année des
solutions heureuses et des libérations territoriales.
*
* *
Toutefois,
les esprits méthodiques, réfléchis, clairvoyants, susceptibles de considérer
dans l’ensemble le tableau des chances adverses sur l’immense échiquier des
opérations ; ceux qui ne méjugent pas la témérité, la ténacité, la
décision germanique et qui se gardent d’oublier que l’importance de l’enjeu est
un dilemme de vie ou de mort, ceux-ci réservent sagement leur opinion. Ils
savent que les coups de partie seront nombreux encore, et que le moment n’est
pas venu où l’on jouera « la
belle ».
Cependant,
l’année 1917, à son aurore, en dépit d’incontestables victoires des Empires du
Centre sur les infortunés Roumains, cette année considérée comme fatidique par
les féticheurs du chiffre 7, apporte aux alliés des prévisions de paix qui
semblent se cristalliser en solides apparences de certitudes dans la majorité
des cerveaux. Les échanges de souhaits de ce premier janvier se sont faits
partout sur des pronostics d’un optimisme dépourvu de toute discrétion. Il
semble que le terme de l’affreuse tuerie soit comme un météore visible à
l’horizon. Les Boches se sont avisés de vouloir nous déclarer la paix, dont ils
sont affamés, tout autant que d’aliments azotés. Il n’est pas un Français qui
ait été enclin de tomber dans le godant. La réponse exprime bien notre fermeté
nationale. Nos espoirs ont légitimement rebondi. Ils ne doivent pas toutefois
devenir aveugles et nous conduire aux désillusions.
En
nous défiant de l’hypocrite accès d’humanité de l’ogre allemand, en estimant
l’heure inopportune pour ouvrir des pourparlers pacifiques, nous avons
conscience de vouloir dicter nos conditions après
partie gagnée. Il y a en nous trop de fierté, du moins j’en ai la
conviction, pour nous féliciter de voir la bête malfaisante à terre uniquement du fait d’inanition. Une
victoire acquise par dénutrition de l’adversaire et non par la vertu et la
gloire de nos armes, ne nous apparaîtrait pas très reluisante. Elle laisserait
au militarisme prussien que nous prétendons détruire toute sa morgue et une
confiance intégrale dans sa valeur indéfectible. La paix qui résulterait d’une
tel triomphe offrirait un pitoyable minimum de garanties psychiques.
Pouvons-nous vraiment nous en contenter ?
Soyons
donc rationnels et logiques. Considérons la famine possible et probable du
peuple allemand comme un facteur d’anémie, de démoralisation, d’appauvrissement
général de sa résistance, qui n’est point pour nous déplaire, mais ne nous
illusionnons plus sur la possibilité de nous garantir des méfaits du monstre
par une paix de la faim qui ne serait
qu’un point et virgule au contrat où nous rêvons de mettre le point définitif
et final.
Or,
la guerre, celle à laquelle nous fûmes contraints, ne fut jusqu’ici, pour nous,
qu’un terrible champ d’expérience. Nous avons tâtonné dans des actions souvent
empiriques et insuffisamment audacieuses, sans toujours développer avec ampleur
les résultats obtenus. Notre héroïsme est hors de cause ; nos poilus
méritent encore le qualificatif d’enfants chéris de la Victoire. Ils ont
rudement pilonné et bosselé le front adverse, mais résignons-nous à penser que
la vraie guerre que nous désirons ne
commencera que lorsqu’ils l’auront crevé au point de s’ouvrir libre champ de
bataille vers les plaines de la vallée du Rhin.
Nous
reconnaissons volontiers entre alliés nos imprévoyances et notre impréparation
guerrière à laquelle nous remédions chaque jour avec plus d’intensité dans le
rendement industriel. Nos erreurs, nos fautes nous apparaissent et nous avons,
je l’espère, la vision très nette de l’effort qui reste à faire. Il est
considérable. Il suffit d’envisager la nécessité des reprises dans le Nord de
la France, en Belgique, en Alsace même et là-bas, en Orient, dans la Macédoine
serbe, sur le front des Carpathes et de la Pologne russe pour redevenir
modestes et nous dire que pour « les
avoir », comme on les aura
sûrement, il y faudra du temps, encore du temps et beaucoup d’huile de
patience. L’armature boche est atteinte mais encore solide et résistante. A
nous d’élargir les défauts de la cuirasse, côté du cœur.
OCTAVE UZANNE
(*) Cet article devait être publié dans un recueil de chroniques par Octave Uzanne rédigées pour la Dépêche de Toulouse
pendant les années 1914 à 1918. Témoin de l'arrière, Octave Uzanne a
été envoyé spécial pour la Dépêche durant les années de guerre. Il a
subi les périodes de censure, le silence forcé, puis la parole s'est
libérée peu à peu. Nous avions projet de réunir une vingtaine de ces
chroniques en un volume imprimé. Pour différentes raisons, cet ouvrage
n'est plus d'actualité. Nous avons donc décidé de vous les livrer ici,
dans les colonnes de ce blog qui regroupe désormais tout naturellement
les écrits d'Octave Uzanne. Dans ces différentes chroniques que nous
intitulerons "Chroniques de l'arrière par Octave Uzanne. 1914-1918."
(titre que nous avions déjà choisi), vous pourrez dénicher nombre
d'informations pertinentes et jugements intéressants. Nous nous
abstiendrons volontairement de toute jugement ou toute annotation.
Chacun y trouvera ce qu'il cherche ou veut bien y trouver. Le lecteur y
découvrira le plus souvent un Octave Uzanne à mille lieues de l'Octave
bibliophile ou écrivain. C'est ici un Octave Uzanne penseur, philosophe,
citoyen du monde qu'il faut chercher. Nous publions ici les articles
sans ordre chronologique. Nous avons conservé l'orthographe du journal
ainsi que les néologismes utilisés.
Bertrand Hugonnard-Roche
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