lundi 9 juillet 2012

Petit pamphlet anti-photographique par Octave Uzanne (1897).

Dans son Dictionnaire Bibliophilosophique, typologique, iconophilesque, bibliopégique et bibliothechnique à l'usage des Bibliognostes, des Bibliomanes et des Bibliophilistins, imprimé pour les sociétaires de l'Académie des Beaux-Livres, Bibliophgiles contemporains, achevé d'imprimer le 14 octobre 1897, à l'entrée ILLUSTRATION, Octave Uzanne, polybibliographe et philologue comme il se définit lui-même sur la page de titre de l'ouvrage, développe en quelques lignes son avis tranché sur l'influence de la photographie dans l'illustration des livres (1).

Octave Uzanne photographié par Nadar (vers 1890)
Après avoir écrit qu'une Histoire de l'illustration des livres restait à faire ; que l'illustration bibliophilique était alors en pleine révolution, bien que cadrée par les contraintes liées à la technique typographique même (la forme rectangulaire du livre, la pagination, le système de brochage ; Uzanne écrit :

"Nous avons été le premier à montrer, avec les publications successives de l'Eventail et de l'Ombrelle, vers 1881, l'art de s'évader avec fantaisie des dogmes étroits de la typographie et, depuis lors, combien nous ont imité sans paraître vouloir nous reconnaître comme un prédecesseur."

Vient ensuite les quelques lignes anti-photographiques :

"L'illustration aura cependant à lutter contre son ennemie masquée, la photographie et l'imagerie directe, calquée sur nature à l'aide de procédés chimiques. On tentera un gros effort pour acclimater dans le livre moderne l'exacte fixation des êtres et des choses, mais sans succès, espérons-le.
L'art ne vit que de mensonges, d'irréalité, d'envolée au dessus de la vie courante. La photographie est pesante comme le bon sens, ennuyeuse comme la logique et la vérité ; elle donnera toujours des images mornes, trop précises, grises, mélancolieuses comme des rappels brutaux à nos ambiances d'existence ; elle ne peut et ne doit être que l'intermédiaire entre la nature et l'art ; c'est une proxénète, ce ne sera jamais une jeune première idéale. Même dans les romans les plus vulgaires, elle ne saurait être admise comme moyen absolu d'illustration car les mises en scène de personnages sont toujours insuffisantes de pose, de sincérité, d'expression."

Uzanne termine :

"Plus l'Illustration restera spirituelle, dégagée, traitée d'un trait amusant et décisif, en manière de croquis, plus elle aura la chance de réussir, à la condition qu'elle ne suive le texte qu'approximativement, en le paraphrasant de loin, tels les pizzicati du musicien accompagnant la sérénade.
Nous croyons aussi au mariage de plus en plus intime du dessin et de la typographie. Le livre tel qu'on le comprit longtemps avec ses hors textes d'une exécution si facile, si banale, si bête, ne sera bientôt plus toléré par les amateurs de goût ; le livre à encartage d'estampes a fait son temps.
Ce que le texte épousera, ce sera la taille-douce, le bois, la chromotypo et mieux encore la litho, si douce, si flexible, si vaporeuse, si femelle à côté des nettes vigueurs mâles de l'impression typographique. Ce sera par la fusion des procédés qu'on reformera peu à peu le caractère de l'Illustration contemporaine."

A notre connaissance seuls deux ouvrages publiés par Octave Uzanne ont bénéficié de la photographie comme illustration. Le premier publié à la fin de l'année 1893 est son guide touristique Vingt jours dans le nouveau monde. De Paris à Chicago. (Paris, May et Motteroz, 1893), on y trouve en effet parmi les 175 dessins de l'ouvrage quelques reproductions photographiques en noir et blanc. Le deuxième est son Histoire de la locomotion publiée en 1900 dans lequel on trouve à la fin, pour l'histoire de la locomotion moderne (automobile et tramway) quelques photographies. Uzanne a toujours banni par ailleurs la photographie de ses publications.

Bertrand Hugonnard-Roche

(1) pp. 232-234

2 commentaires:

  1. Cette fois, Uzanne s'est trompé :
    l'art photographique est devenu un art total, de plus en plus utilisé dans l'illustration du livre. Uzanne s'est même bien gardé d'écrire sur son développement,qu'il a vécu pourtant contemporainement, probablement vexé d'avoir eu tort.

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  2. Uzanne s'est souvent trompé dans ses prévisions concernant le goût dans les arts ... comme beaucoup d'ailleurs.

    Souvent paradoxal il a aussi parfois (souvent) fait preuve de versatilité (ou de versatilisme pour créer un mot qu'il n'aurait peut-être pas désavoué).

    B.

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