samedi 29 décembre 2012

Le Dr. J.-C. Mardrus, Octave Uzanne et la Reine de Saba (1918).


La Reine de Saba selon le texte et la traduction du Dr. J.-C. Mardrus. Paris, Librairie Charpentier et Fasquelle, Eugène Fasquelle, éditeur, 1918. 1 volume in-12 carré (16,5 x 12,5 cm), 164-(2) pages. Edition originale dont il a été tiré 20 exemplaires numérotés sur papier impérial du Japon. Exemplaire imprimé sur vergé d’Arches avec en guise de justification du tirage cette phrase « comme le camphre et le basilic » (imprimé en cercle). Exemplaire offert par l’auteur à Octave Uzanne avec cet envoi : « A mon parrain Octave Uzanne, l’amitié la plus ancienne. Dr. J. C. Mardrus. 202 Bd St Germain ». Exemplaire avec l’ex libris monogramme d’Octave Uzanne collé au bas de la page de titre. Octave Uzanne a joint à cet exemplaire trois belles lettres autographes de l’auteur, une carte postale et un entier postal. (*)


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En 1918, Octave Uzanne est âgé de 67 ans. Il est déjà allé plusieurs fois en Egypte, notamment au Caire, où il a sans doute visité quelques lieux fameux avec le Dr. Mardrus. (**) On découvre ici un étrange lien parrain – filleul entre les deux hommes (encore inexpliqué). Nous n’avons pas connaissance à ce jour d’autres documents reliant les deux hommes. Ces cinq lettres sont un intéressant témoignage.


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Voici le détail de chacun de ces documents [les lettres I à V, toutes de l’année 1918 sont de notre collection].

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Lettre I. 2 pages in-8. Non datée (1918).

                202 Bd St. Germain

                O mon Parrain, émoi de la fidélité, parangon de la délicatesse, ô père d’une plume qui sait ramasser l’essentiel et le graver dans la pulpe des humains, cher Uzanne de toujours, mon ami,
                Je vous serre contre ma poitrine et vous inscris à jamais sur le livre de la Félicité au nombre des fils de la Divine Amie, des fils de Roi, avec la sauvegarde et les bénédictions sur vous et autour de vous. Amîn !
                
Je le savais, que ce livre était pour vous plaire. Et je sais qu’il sera désormais contre votre cœur, et que vous allez en être l’Apôtre, comme vous venez d’en être l’annonciateur. Cet apostolat est digne certes ! de vous et de votre entendement généreux, et vous rendra les bénédictions de tous ceux que vous aurez ainsi incités vers les hauteurs, vers la pureté, et vers la lumière. Il n’est pas de rôle plus souhaitable que cette influence spirituelle de l’être éclairé sur ceux qui tatônnent au milieu des larves et des ténèbres.
                                                               Votre frère,
                                               Le Vieux de la Montagne
                                                               Dr. J. C. Mardrus

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Lettre II. Carte postale de Bormes (Var) – Vue générale. Cachet de la poste en date du 1er avril 1918.

                Mon très-cher Uzanne,
                Je vous invite à déjeuner ici, au fond des forêts des « Maures » où vit une race arabe aux beaux yeux bleus asiatiques.
                Je vous attends, précédé d’une lettre avec détails multiples sur notre pauvre Paris – si vous en avez le loisir.
                Votre ami inoublieux.
                Docteur Mardrus
                à Bormes (Var)

[Cette carte est adressée à Monsieur Octave Uzanne 62 Boulev. de Versailles à Saint-Cloud (Seine et Oise].

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Lettre III. 2 pages in-8. Non datée (1918). Papier à en-tête du Pavillon de la Reine à Honfleur (Calvados).

                Cher ami, cher confrère en asinophilie egyptiaque,

                Donc vous nous faites beaucoup de peine par tout ce que vous nous dites de votre indisposition et de cette impossibilité de venir à ce Pavillon qui se faisait beau à votre intention. Et voilà encore, pour vous, une joie qui ne se réalise pas. Tant pis !
                Au moins, tâchez de lire le « Femina » du 1er août où vous trouverez des souvenirs qui vous plairont sur nos chers danseurs – âniers ivres de gaîté et de haschisch.
                A Paris donc ! Mais maintenant je vous envoie, pour nous deux, le salam de l’amitié un peu déçue et de la ferveur.
                Dr. J. C. Mardrus.

                Nos souvenirs charmés à monsieur votre frère, je vous en prie.

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Lettre IV. 2 pages in-8. Non datée (1918).

202 Boulev. St. Germain

                O ami de race, vos paroles, votre amour pour cette œuvre de mystère et de lumière que l’on vient, après vous, de définir par deux mots magnifiques et, je pense, excessifs : « C’est du jamais vu et du jamais lu ! » (la philosophie asiatique dont je suis nourri me préserve de tout vertige et se charge de me remettre en équilibre si je fais mine de flancher) – votre colère contre l’atmosphère de demi-compréhension et de demi-tout, votre révolte contre l’Europe et son ciel, mon cher, dont cela me donne de la joie fraternelle, et un tel encouragement !
                Nous aurons à parler de choses faites pour le transport ! Vous n’auriez qu’à me fixer vous-même le jour de votre choix pour déjeuner ensemble, selon notre mutuel désir, dans quelque local que nous pourrions imaginer quelque peu semblable à ce divin souterrain où je vous conduisis, un soir, du pas de nos ânes sublimes, admirer les nègres noirs buvant l’ivresse de la « bouza » laiteuse. Vous en souvenez-vous ? Il n’y a, non loin de chez moi, du côté du Panthéon, un petit cabaret à relent gréco-turc où il serait possible de nous sustenter d’éléments asiatiques.
                Au revoir, ami très-attendu, et voici mon salam embaumé de souhaits.
                Dr. J. C. Mardrus

Vous ai-je déjà dit ce que signifie, en arabe, votre nom, cher Uzanne ? – « Etalon ! » ni plus ni moins … Ainsi soit-il !

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Lettre V. Entier postal. Adressé à Octave Uzanne au 62 Boulevard de Versailles à St-Cloud. La date du cachet n’est pas lisible (1918).

                202 Bd. St. Germain

                Tout me va, ô cher entre les chers, l’heure, la rencontre, le lieu, mais non le jour de jeudi, pour mon regret. Veuillez atténuer ce regret en choisissant vendredi, samedi, dimanche, etc … je répondrai par l’ouïe et l’obéissance, en ne répondant pas à votre mot que j’espère.
                Il ne faut guère compter sur baklavas et sucreries, puisque tout le sucre est raflé par les fils de veaux, les vaches, les salopes, les vieilles calamiteuses et les avariés impotents qui survivent et profitent de la boucherie européenne, ô honte !
                Votre filleul. Dr. J. C. Mardrus

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(*) Volume et documents de notre collection.

(**) Joseph-Charles Mardrus (1868 au Caire, Égypte d'origine arménienne - 1949 à Paris) est un médecin, poète et traducteur français. Il fut, en son temps, un éminent orientaliste et un acteur important de la vie parisienne. « Musulman de naissance et Parisien par accident », ainsi qu’il se définissait lui-même bien qu’Égyptien et catholique, Mardrus fut un grand voyageur, parcourant les mers à la recherche des légendes de son Orient natal. Aimant les fleurs, les pierres précieuses, les tables fastueuses, les tissus chamarrés et la photographie, il fut de ceux qui insufflèrent au monde parisien un engouement pour l'orientalisme, tout comme son ami Paul Poiret avec qui il créa la « Mille et Deuxième Nuit ». Il fit ses études au Liban avant de s'installer à Paris. Avant la Première Guerre mondiale, il connut une période de voyages, il a été médecin sanitaire auprès du ministère de l'Intérieur et chargé de mission au Maroc et en Orient, médecin aux Messageries maritimes, puis il sillonna l’Orient avec sa première épouse, la poétesse Lucie Delarue-Mardrus. À partir de 1915, il voyagea moins, mais eut une vie tout aussi riche aux côtés de Gabrielle Bralant – rebaptisée Cobrette. Encouragé par Stéphane Mallarmé, il traduisit, de 1898 à 1904, une nouvelle version des contes des Mille et Une Nuits, en seize volumes et 116 contes, dans une perspective plus érotique, au texte non expurgé, faisant ressortir les transgressions et les ellipses amoureuses se nichant dans le texte initial d'Antoine Galland. Il se servit d’un ensemble varié de textes (l’édition de Boulaq, la traduction de Scott, le recueil d’Artin Pacha et de Spitta bey), et même des histoires hindoustanies, tout en prétendant, invraisemblablement1, disposer d’un manuscrit inédit. Ses histoires de Douce Amie, d’Ali Baba ou de La Reine de Saba enchantèrent le Paris des années 1900-1920, d’autant plus que les textes furent merveilleusement illustrés par de nombreux artistes qui assurèrent les illustrations de plusieurs éditions, tels Léon Carré, François-Louis Schmied, Van Dongen, André Derain, Antoine Bourdelle et Picart Le Doux. D’autres artistes s’inspireront de son ouvrage pour leurs créations, tels Léon Carré et Ketty Carré, Eloïse Carolyn Huitel, Louis-Auguste Veillon, Albert Besnard, Pascin, Othon Friesz, sculptures de Lucien Gibert et Antoine Bourdelle, marionnettes de Jacques Chesnais habillées par Paul Poiret, des costumes et maquettes de François Quelvée. Ami de personnalités aussi différentes que Paul Poiret, l’abbé Mugnier, José-Maria de Heredia, Robert de Montesquiou, André Gide, Auguste Rodin, Élisabeth de Gramont et Catulle Mendès, il eut également une importante correspondance suivie avec des personnalités du monde intellectuel de l’époque, tels André Gide, Pierre Louÿs, Maurice Maeterlinck, Henri de Régnier, Remy de Gourmont, José-Maria de Heredia, Robert de Montesquiou et Natalie Clifford Barney. (source : Wikipedia, décembre 2012 - http://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph-Charles_Mardrus).


Nous n'en savons pas plus que ce que contient ces cinq lettres sur les relations entre le Docteur Mardrus et Octave Uzanne. Leur amour commun de l'Orient et notamment de l'Egypte a dû, bien au delà des lettres, les rassembler sur place en plus d'une occasion. D'autres découvertes restent à faire en ce domaine.


Bertrand Hugonnard-Roche

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