L'incendie de la bibliothèque Osborne
composition originale à l'eau-forte par Albert Robida (1890)
in Le Livre moderne, 1890-1891, tome I.
Détail (partie supérieure).
"L'illustre bibliothèque du comte Osborne, secrétaire d'ambassade, périt dans les flammes ! Entièrement !
"Estimée à plus de 2.000.000, elle était conservée dans un appartement de la rue de Seine, dans l'Hôtel de Valois. Elle a été entièrement incinérée. Le feu n'a rien épargné, ni les manuscrits précieux, ni les incunables, ni les documents uniques sur l'histoire d'Angleterre, l'époque de Cromwell, la restauration des Stuarts et l'histoire d'Espagne et d'Italie.
Plusieurs de ces pièces avaient été payées par le comte Osborne, qui était un bibliophile très érudit, plus de quarante mille francs.
Aucun des manuscrits, des documents et des cartons renfermant des dessins et des planches des grands maîtres italiens et espagnols n'a pu être sauvé. Les quelques éditions de luxe qui n'ont pas été brulées, jetées et entassées dans la cour, ont été irrémédiablement détériorées par l'eau dont on les a inondées.
Comme il était question de ce véritable désastre, l'autre soir, dans une réunion de bouquiniers très renseignés, l'un des assistants nous fit le récit que le comte Osborne aurait eu, quelques nuits avant son désastre, un véritable cauchemar prémonitoire qui l'avait impressionné très fortement à la manière noire. Dans ce rêve fantastique, tout rempli de démons, de sombres diables à mines de pédants, de chats hirsutes et de figures goguenardes, le pauvre bibliophile aurait vu ses livres vendus par lots, dispersés le long des quais, livrés à l'épicier et dilapidés de mille façons terribles et poignantes.
Nous raisonnâmes comme de juste, sur ce songe et sur les mystères qui relient le monde occulte à la vie réelle ; - le sujet se présentait à notre imagination avec des allures de conte très horrifique bien fait pour enténébrer l'entendement de nos chers contemporains. - Le Belzebuth le plus abracadabrant des illustrateurs, Albert Robida, mandé au chevet de notre conception, y prêta une attention enflammée : - J'en ferai une eau-forte, cria-t-il avec une gesticulation luciféréenne ! la première eau-forte que je mordrai !, et il partit sans plus attendre, fébrilement pour griffer félinement de la pointe et vitrioler son cuivre.
Quand nous parvint cette Eau-Robida-forte, elle nous stupéfia par son inattendu. C'était mordu comme un visage d'infidèle par une veuve Gras en délire ; mais point ordinaire : la planche, ni léchée, ni caressée assurément, un vrai cauchemar que l'oeil entrevoit sans le démêler, quelque chose comme un Bresden civilisé jusqu'à l'irrévérence. Ce cuivre méritait d'être confisqué pour le Livre moderne (...)"
écrivait Octave Uzanne dans un court article qui précède l'insertion dans la revue de cette eau-forte.
Cette épreuve est tirée dans les tons de bleu-noir. Il s'agit de l'état définitif de cette eau-forte, le premier état (que nous n'avons pas vu) étant réservé au tirage de luxe de cette revue (papiers Japon, Chine et Whatman). Il s'agit ici d'un des 1.000 exemplaires sur papier vergé des Vosges. Dimensions de la cuvette : 21,5 x 12,5 cm - illustration : 17 x 9 cm.
Bertrand Hugonnard-Roche
Merci, cher ami membre, d'enrichir la culture des amateurs d'Albert Robida et d'Octave Uzanne de cette eau-forte du premier commentée par le second avec sa verve habituelle. Et bravo pour votre présentation!
RépondreSupprimer"Le Belzébuth le plus abracadabrant des illustrateurs", quelle belle appellation voire quel beau pseudo pour Robida! En plus, je prends conscience qu'il s'agit de la première eau-Robida-forte, décidément je sais que je ne sais rien et merci d'y remédier.
Jean-Claude Viche
Quel billet beau et vif ! Grand merci M. Hugonnard-Roche.
RépondreSupprimerPh. D.