écriture autographe d'Octave Uzanne |
A Monsieur le Ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts,
Depuis cent ans, l'orthographe, en notre pays, est à peu près fixée. Les plus nobles génies du XIXe siècle s'y sont soumis. Les grands modèles classiques eux-mêmes se présentent à nous dans une forme qui nous est encore familière.
Un décret, bouleversant soudain l'orthographe traditionnelle, aurait pour effet de prêter une figure étrange ou archaïque à tous les chefs-d’œuvre édités depuis le XVIIe siècle, ceux-ci fussent-ils même contemporains. Une barrière plus haute s’élèverait entre la foule et les lettrés ; ce serait enfin risquer tôt ou tard de compromettre toute la beauté plastique de notre langage, et de nuire par là au prestige universel de la littérature française.
Les soussignés forment le vœu qu'il ne soit pas donné suite à ce projet, qui ne tarderait pas à mettre en péril les lettres nationales. (*)
MM.
Paul Acker
Antoine Albalat
A. Antoine, Directeur du Théâtre Antoine
A. Aulard, Professeur à la Sorbonne
Ed. Aynard, de l'Institut, Député
Léon Bailby
Marcel Ballot
André Bellesort
Victor Bérard
Tristan Bernard
Henry Bernstein
Berthelot, de l'Académie française, Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences
Léon Bocquet, directeur de la revue le Beffroi de Lille
Jules Bois
Albert du Bois
Henry Bordeaux
A. Bossert
Marcel Boulenger
Raymond Bouyer
René Boylesve
G. Caillaux, Député, ancien ministre
Georges Casella
E. Chenu, Avocat à la cour
P.-A. Chéramy
Denys Cochin, Député
Romain Coolus
François Coppée, de l'Académie française
Francis de Croisset
François de Curel
Albert Decrais, Sénateur, ancien ambassadeur
Paul Delombre, Député, ancien ministre
Paul Déroulède
Lucien Descaves
Gaston Deschamps
H. Doniol, de l'Institut
Maurice Donnay
Augustin Dorchain
Félix Dumoulin
J. Ernest-Charles
Émile Fabre
Fagus
Albert Flament
Paul Flat
Franc-Nohain
Léon Frapié
Jacques des Gachons
Joseph Galtier
Gauthier de Clagny, Député
Henry Gauthier-Villars (Willy)
Émile Gebhart, de l'Académie française
Gérard d'Houville
Henri Ghéon
Paul Ginisty, Directeur du théâtre de l'Odéon
Georges Grosjean, Député
Gustave Guiches
André Hallays
Paul Harel
Myriam Harry
Léon Hennique
Henry Houssaye, de l'Académie française
J. Lachelier, de l'Institut
Hugues Lapaire
Gabriel de La Rochefoucauld
Eugène Lautier
Henri Lavertujon, Sénateur
Philéas Lebesgue
André Lebey
Max Leclerc
Georges Lecomte
H. Lecomte du Nouy
Abel Lefranc, Professeur au Collège de France
Ch. Le Goffic
André Lichtenberger
Frédéric Loliée
Pierre Louys
Maurice Maindron
De Marcère, Sénateur
Paul Mariéton
Camille Mauclair
André Maurel
François Maury
Albert Mérat
Paul Meurice
Victor-Émile Michelet
Frédéric Mistral
Eugène Montfort
Nozière
Camille Oudinot
Félicien Pascal
Péladan
Edmond Pilon
Alfred Poizat
Émile Pouvillon
Henri de Régnier
Joseph Reinach
Jean Renouard
André Rivoire
Édouard Rod
L. Roger-Milès
Firmin Roz
Saint-Georges de Bouhélier
Rémy Saint-Maurice
Victorien Sardou, de l'Académie française
Édouard Sarradin
Édouard Schuré
Marcel Schwob
Edmond Sée
Albert-Émile Sorel
Casimir Stryienski
Ernest Tissot
Maurice Tourneux
Gabriel Trarieux
Henri Turot
Octave Uzanne
Pierre Valdagne
Fernand Vandérem
Francis Viélé-Griffin
Louis Vigouroux, Député
Charles Waddington, de l'Institut
Pierre Wolff
(*) cette liste a paru dans la Revue Bleue, cinquième série, tome III, 42e année, 1er semestre, 1er janvier au 30 juin 1905. Paris, Bureaux de la Revue Bleue, 1905, pp. 203-204. Les signataires se basent à nouveau sur la tradition et sur la beauté de la langue. Selon un des signataires de la pétition, les philologues ne seraient pas compétents en orthographe parce qu’ils n’auraient pas de « vive sensualité artistique ». Pour lui, la beauté de la langue est le critère le plus important et il voit comme modèle le travail de Vaugelas au XVIIe siècle. Ferdinand Brunot rédige une Lettre ouverte à Monsieur le Ministre de l’Instruction publique sur la réforme de l’orthographe. Il s’exprime d’abord sur la question de la compétence : consulter l’Académie, ce serait « un acte de déférence courtoise », mais la décision concernant une réforme serait l’affaire du Ministre ; vu que l’instruction serait concernée en première ligne, le Ministre et le Conseil supérieur devraient décider des matières à enseigner. Il propose de former une commission composée de linguistes et phonéticiens et s’exprime en faveur d’une orthographe phonétique. La même année est convoquée une commission qui, sur la base des propositions de la commission Meyer et des objections de l’Académie, devrait formuler de nouvelles propositions. En 1906 Brunot soumet le rapport de la commission au Ministre Aristide Briand. Brunot voit de la manière suivante la mise en pratique des propositions : « Et la Commission a décidé, à l’unanimité et dès la première séance, que l’orthographe réformée sera, si le Ministre en décide ainsi, seule enseignée. Le système de tolérance, mis en vigueur en 1900, a été tout à fait inefficace. Ni à l’étranger, ni en France, on n’a su si on devait s’y fier, et si un nouvel arrêté ne viendrait pas supprimer les libertés données. Le résultat a donc été très médiocre. » Les imprimeurs et les éditeurs ne se sentent pas écoutés. Ils s’opposent à l’idée que le ministre soit responsable de la réforme et craignent qu’un changement de ministre provoque une nouvelle proposition de modifier l’orthographe. Ils s’expriment contre « une réforme imposée ». Le Ministre de l’instruction publique ne fait plus rien pour changer l’orthographe. La Fédération internationale des instituteurs demande une réforme des orthographes (Prise de position identique à l'Internationale des Travailleurs dès 1867). Tous les pays d'Europe s'engagent dans des réformes, sauf la France. En 1907 Marcelin Berthelot, Inspecteur général de l’enseignement supérieur, rédige La réforme de la langue française ; pour lui, la langue est un organisme vivant qui évolue sans que l’État puisse la forcer avec des réformes. Il postule que les changements dans l’usage doivent d’abord être tolérés à l’école et que seulement après ils doivent être entérinés par l’Académie ou par une commission. Il trouve que c’est un manque de démocratie de vouloir imposer des changements par l’autorité d’un ministre et une erreur que l’opinion publique ne soit pas prise en considération. Plusieurs revues paraissent en orthographe réformée, par exemple la Revue de la philologie française, Le Réformiste. Dans la Revue des langues romanes Maurice Grammont s’exprime comme suit : « la seule manière de formuler une règle ortografique qui soit une simplification est la suivante : Toutes les fois que tel son se présentera on l’écrira par telle lettre ou tel groupe de lettres, et toute autre transcription sera strictement bannie. » Rémy de Gourmont, dans son livre Le problème du style, considère le travail de la commission Brunot comme raisonnable et il est favorable à une « modification graduelle, très lente, de notre orthographe ». Il pense qu’on doit commencer par la modification d’un seul point et propose la francisation des lettres grecques. En 1914, avec l’éclatement de la première guerre mondiale, toutes les discussions autour d’une réforme de l’orthographe française sont suspendues. Les tolérances de 1901 ont eu un effet durable, car elles ont été officialisées par un arrêté et sont restées en vigueur jusqu’en 1976 (source internet).
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