Antoine Albalat (1856-1935) |
Que reste-t-il de l’œuvre d'Octave Uzanne ? Peu de choses dans l'esprit public à vrai dire. Que reste-t-il de l’œuvre d'Antoine Albalat ? Rien ! Rien ! Ou si peu.
La vengeance est si mauvaise conseillère qu'elle fait des victimes à tout va. L'intransigeance des bourreaux mène aux extrêmités de la perversité.
Étudions le cas de cet exécuteur littéraire donneur de leçons magistrales : Antoine Albalat qui s'exprime dans un ouvrage intitulé Les ennemis de l'art d'écrire publié en 1905 à Paris à la Librairie Universelle. (1)
Bertrand Hugonnard-Roche
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Tous nos contradicteurs n'ont pas la même tournure d'esprit. (Quelques-uns se sont fâchés d'autres n'ont pas compris et d'autres nous ont attaqué sans nous avoir lus. M. Octave Uzanne est de ces derniers et, à ce titre, il mérite une mention.
Esprit charmant, tout en dentelles et en fanfreluches, M. Uzanne a chiffonné les Belles-Lettres, bibeloté l'Histoire, taquiné la Psychologie, coquetté avec la Critique. Il a fait de la jolie érudition de boudoir, de la littérature fardée et poudrée la plus galante du monde. Il a raconté l’Éventail, l'Ombrelle, les séduisants artifices de la beauté féminine, badineries agréables, dont j'apprécie tout le charme, mais peut-être insuffisantes préparations aux études sévères du style.
Cette aimable dilettante a sur nos autres contradicteurs cette originalité de n'avoir pas lu une seule ligne de nos livres. Ainsi désigné pour se taire, il est précisément celui qui crie le plus fort. Ignorant mes ouvrages et ne pouvant, par conséquent, y puiser ses objections, M. Uzanne est obligé, pour me combattre, de me faire dire ce que je n'ai point dit, et cette intrépidité finit par donner à sa critique une rare saveur. Il n'a lu que M. de Gourmont ; il ne nous juge, il ne sait de nous que ce qu'en a dit M. de Gourmont.
« M. Albalat, déclare sans sourciller M. Uzanne, limite le style au pastiche adroit. Il se dispose à vous faire acquérir, grâce à quelques règles rapides et faciles d'assimilation, un style inspiré de celui des auteurs illustres. A l'en croire, tout grimaud d'école, pourvu qu'il y mit le temps et l'étude, deviendrait un Chateaubriand. C'est là une dangereuse plaisanterie (2). »
Faut-il s'ébahir d'une telle inconscience ou se révolter de tant d'injustice ? Si ceci n'est qu'un badinage, il n'est pas habile. C'est toujours une maladresse de rabaisser à ce point ses adversaires, quand on veut se donner le mérite de triompher d'eux, et je ne vois pas l'autorité qu'on peut prendre à réfuter quelqu'un que l'on présente comme à peu près dénué de sens commun. Ai-je besoin de démentir ces ironies sans scrupule, qui n'ont d'autre but que d'entretenir l'équivoque où nos contradicteurs puisent leurs seuls arguments ? Je serais en démence ou le dernier des effrontés, si j'avais publié trois consciencieux ouvrages pour démontrer que tout le style consiste dans le pastiche et pour laisser croire qu'avec quelques règles faciles tout grimaud peut devenir un Chateaubriand.
Sans être « dangereuse », la « plaisanterie » de M. Uzanne révèle un aplomb dont je lui fais mon compliment. Remuerai-je ce bloc ? Je ne sais.
Chaque ligne de M. Uzanne contient une fausseté. Non seulement nous n'avons jamais dit ce qu'il nous fait dire, mais nous avons nettement dit le contraire. Non seulement nous ne limitons point le style au pastiche adroit mais nous n'avons même pas fait du pastiche une méthode de l'art d'écrire. Nous l'avons défini « Une imitation artificielle et servile ». Nous le conseillons comme un « exercice de gymnastique littéraire momentané », destiné seulement à former l'esprit littéraire ». « I1 n'a de valeur, disions-nous, que comme moyen de métier et n'est pas un but par lui-même. Il y manque la vie, On n'emprunte pas l'âme d'un auteur. »
Voilà comment nous limitons le style au pastiche adroit (3). Quant soutenir qu'on peut avec quelques procédés acquérir le style des grands auteurs, et que tout grimaud, en y mettant le temps, peut devenir un Chateaubriand, il n'est pas en mon pouvoir d'empêcher M. Uzanne de me prêter des opinions qui feront hausser les épaules à ceux qui m'ont lu. Après les énormités, voici les naïvetés « On n'obtient pas, s'écrie M. Uzanne, un style de commande. D'autres ne l'acquièrent qu'au prix d'un labeur effroyable, Buffon a mis cinquante ans à écrire l'Histoire naturelle ; Pascal refait treize fois sa 18e Provinciale ; et Balzac autant de fois sa Pierrette. Le labeur de Flaubert est demeuré célèbre ; il confine à une sorte de sainteté. .. Ce sont là de grands exemples ; les conseils insidieux de M. Albalat ne tiennent pas en présence. »
Ici, l'aventure est comique. Voilà maintenant M. Uzanne qui nous oppose les arguments que nous lui servons et imagine de nous répondre ce que nous avons déjà dit nous-même ! Les « grands exemples » de labeur qu'il nous cite, nous les avons précisément exposés, détaillés et étudiés dans notre dernier livre, dont il se moque et qu'il n'a pas lu. Ce volume de corrections et de ratures, M. Uzanne n'a pas l'air de se douter que nous l'avons publié uniquement pour prouver ce qu'il a la prétention de nous apprendre, et aussi parce que cet ouvrage était la confirmation éclatante de nos conseils « insidieux ». Nous le remercions infiniment, cet excellent critique, de vouloir bien nous révéler que l'art d'écrire exige un labeur effroyable, après que nous avons consacré 3oo pages à indiquer cet effroyable labeur, ce qui, par parenthèse, ne me semble pas le meilleur moyen de démontrer qu' « un grimaud peut devenir un Chateaubriand ».
M. Uzanne me dit encore bien des choses folâtres dont je le tiens quitte pour ménager mes lecteurs. Faut-il omettre aussi ses inexactitudes ? Il y en a de criantes, celle-ci entre autres « Un Buffon, dit-il, un Chateaubriand, un Flaubert n'eurent d'autres maîtres qu'eux-mêmes, ne subirent d'enseignement que celui de leur génie. » Rien n'est plus faux. Flaubert étudiait toujours le style et relisait constamment Chateaubriand. Il eût donné, disait-il, tous ses livres pour une phrase de lui. Il suivait aveuglément les conseils de Bouilhet, qui ne le valait pas. Gautier et du Camp l'obligèrent à renoncer a sa première Tentation de saint Antoine, et on le força de changer son style pour écrire Madame Bovary. Buffon consultait Bexon, Gueneau et ses collaborateurs ; il demandait leur avis ils refondaient ensemble leur prose ; quant à Chateaubriand, nul ne fut plus docile à la critique. Fontanes lui faisait recommencer des pages entières il refit même des passages qu'un anonyme lui signala.
En fin de compte, quelle est la doctrine, quels sont les principes de M. Uzanne ? A-t-il des idées sur le style ? Oui, il a des idées, et des idées très simples, celles qu'on trouve sans se donner la peine de réfléchir, et qui suffisent, d'ailleurs, à écrire de tels articles. Les voici textuellement : « En fait de méthode de style, déclare-t-il, le plus sûr est de n'en point avoir. L'originalité est à ce prix. » Retenez bien ce conseil, jeunes gens. Écrivez n'importe quoi, n'importe comment ! Vous manquez d'expérience, vous êtes maladroit, votre style est banal, vous ne savez pas, vous voulez savoir. A quoi bon ? Lectures, guides, conseils, procédés, labeur, exemples, rien ne sert, rien n'est pratique. Écrivez comme vous l'entendrez, au petit bonheur. C'est le seul moyen d'être original. Que dis-je ? « l'originalité est à ce prix ». On me blâmait d'enseigner l'art d'écrire en vingt leçons. M. Uzanne l'enseigne en zéro leçons.
Antoine Albalat
(1) Les ennemis de l'art d'écrire par Antoine Albalat. Paris, Librairie Universelle, s.d. (1905), pp. 211-220. Antoine Albalat (1856-1935), quasi exact contemporain d'Octave Uzanne, était né à Brignoles en 1856. Arrivé à Paris en 1897 seulement, il devient secrétaire de la direction du Journal des débats en 1899. Il devient rédacteur du feuilleton littéraire. Il fut un habitué du Café Vachette et était l'ami de Jean Moréas. Au-delà de ses romans et nouvelles, Antoine Albalat s'est fait connaître par ses enseignements sur l'écriture : « J’ai voulu être un guide pour ceux qui ne peuvent en avoir d’autres. Voilà quinze ans que je me bats avec les mots et que j’écris du roman, des nouvelles et des articles de critique, faits et refaits avec acharnement. » Il développe une théorie du style basée sur l'étude de l'évolution des manuscrits des auteurs français jusqu'à leur édition finale, ainsi que les travers de style de la littérature contemporaine. On retrouve ainsi dans L'Art d'écrire enseigné en vingt leçons, l'étude de l'harmonie, la concision ou encore l'emploi des images. Il fut, avec le bouquiniste Antoine Laporte, l'un des plus virulents ennemis d'Octave Uzanne.
(2) La Dépêche, 5 février 1903.
(3) Ceux qui nous jugent sans nous avoir lu ne manquent jamais de nous faire ce reproche. « Les oeuvres de M. Albalat sont un danger public », dit M. Van Gennep (Revue générale de bibliographie, novembre 1903). Un danger public ! En quoi ? M. Van Gennep l'ignore, mais il a lu quelqu'un qui le sait « C'est dit-il, ce que vous exposera avec vivacité et précision M. de Gourmont dans son Problème du style. L'excitation au plagiat (?) et les recettes de cuisinière bourgeoise (!) de M. Albalat sont traitées comme il convient, et stigmatisés des procédés qui tendent à détruire sous la plume toute spontanéité et toute audace ! » Même M. Blum, qui nous a lu, ne résiste pas à la tentation de rééditer cette facétie « M. Albalat, dit-il, est convaincu qu'on peut apprendre à écrire comme on apprend à compter !!! »
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