Case 5.441, colombarium du cimetière du Père Lachaise,
occupée un temps par les cendres d'Octave Uzanne,
incinéré le 3 novembre 1931.
Crédit Photo. Odile Juillac. 1.3.2012.
occupée un temps par les cendres d'Octave Uzanne,
incinéré le 3 novembre 1931.
Crédit Photo. Odile Juillac. 1.3.2012.
C’est dans le Journal littéraire de Paul Léautaud (*) de l’année 1931 qu’il faut aller chercher les détails sordides sur la fin de vie d’Octave Uzanne et son incinération au crematorium du cimetière du Père Lachaise à Paris, le 3 novembre de cette même année .
Léautaud écrit ainsi dans son journal : "Mardi 3 novembre (…) Mort d’Octave Uzanne. Incinéré aujourd’hui. 79 ans. Vallette nous a raconté tout ce qu’il a subi ces dernières années : opération de la prostate – opération d’un cancer à l’anus – opération d’un anus artificiel – depuis longtemps nanti d’un œil de verre, il était devenu à peu près aveugle de l’autre œil. Il vivait à St-Cloud avec une servante plus vieille que lui : 82 ans. Elle était à l’incinération. Le frère, Joseph Uzanne, son aîné, paraît-il, n’y était pas. Il a dit : « Je ne peux pas, je ne peux pas. » Vallette dit qu’on peut compter que la vieille servante ne sera pas abandonnée : par Joseph Uzanne d’abord, qui est un cœur excellent, et ensuite par Mariani, qui est la bonté même, comme l’était son père, une bonté comme on en voit rarement. Il paraît que Joseph Uzanne est fort mécontent de tout ce qu’on écrit dans les journaux d’inexact sur la carrière littéraire de son frère. Un journal va jusqu’à le faire débuter à La Plume, alors qu’il y avait beau jour que Uzanne avait publié et était connu.
J’ai dans mes papiers une lettre d’Uzanne écrite à Vallette à la mobilisation de la « Grande guerre », pleine du mépris, de la pitié, de la désolation que lui inspirait l’évènement, gardant toute sa raison et tout son jugement. Gourmont, bien supérieur comme écrivain, n’a pas montré cette sagesse, loin de là. Je dis : Gourmont – comme bien d’autres. (…)"
On lira aussi avec fruit sur cette même cérémonie un article de Georges Normandy publié dans La Bourgogne d’Or, éditée à Chagny-en-Bourgogne, numéro de Noël 1931.
Georges Normandy écrit : "Ce matin, au monument crématoire du Père-Lachaise, je suis arrivé au début de la cérémonie. Il y avait là douze personnes, en me comptant : sa fidèle bonne Alphonsine, si vieille et si dévouée, Raoul Vèze, Mariani, Edmond Pilon, Sedeyn et quelques anciennes très jolies femmes dont deux pleuraient. Quelle tristesse, ce vide d’une espèce de salle de réunion où la tribune serait remplacée par un simulacre de catafalque, en céramique apparemment, flanqué de deux rideaux poussiéreux et dominé par les armes de la ville de Paris voilées d’un crèpe plus poussiéreux encore !
Pendant une heure on sera là, dans ce cadre pauvre et banal. Des conversations se tiendront, pas tristes du tout… Alphonsine sanglotera. Je penserai tristement au vieil ami si vivant, qui fit de son existence « un chef-d’œuvre » comme il me le répétait souvent et que nous verrons passer devant nous, tout à l’heure, tas de cendres, sur une dérisoire petite civière, généralement employée pour le transport des cercueils de nouveaux-nés. Et nous suivrons en désordre jusqu’au colombarium où, parmi tant de petits compartiments tenant de l’étagère à chaussures et du coffre-fort de banque, une petite case est ouverte. L’urne de marbre sera glissée là-dedans. Un employé cassera brutalement les chrysanthèmes blancs apportés par une vieille dame qui fut belle – Uzanne fut un grand amant : je n’écris pas amoureux – et un ouvrier en costume de travail malpropre maçonnera cela d’une truelle pressée en criant : - Case numéro cinq mille … (je ne me souviens plus du numéro exact) comme on crie dans certains magasins : « Voyez caisse ! »
On restera là en tas, un instant. Quelques poignées de mains. Je salue Alphonsine et c’est le départ à travers le cimetière étincelant sous un soleil doux et comme printanier. Je n’étais jamais entré dans le colombarium.
La crémation ! Si c’est cela le progrès… Je me suis juré, aujourd’hui, de n’être pas incinéré : le respect des morts est une de nos dernières noblesses. Gardons-là : il ne nous en reste plus tant !
Beaucoup médité sur la vie et la mort – et la grande et magnifique simplicité de tout cela, pendant que le feu faisait son œuvre.
Comment peut-on venir saluer un défunt dans ce… commercial et mesquin colombarium ?
Je me sens trop solidaire de tous les miens pour ne pas me soumettre à la tradition séculaire comme je me soumets sans révolte aux lois naturelles. Je ne tiens pas aux cérémonies, mais je tiens à la dignité.
J’ai des pincements au cœur depuis ce matin : il me semble qu’on a tourné en ridicule mon vieil ami qui fut stoïque. Il ne pouvait se défendre, lancer un de ces mots à la Barbey ou à la Jean Lorrain, ses amis – un de ces mots qui remettaient choses et gens en place – et que suivaient si facilement des coups d’épée. On l’a tourné en ridicule – On : un invisible anonyme. Et j’ai assisté à cela !
Toute autre question mise à part, il me semble que la solennité du four crématoire pourrait facilement user d’un cérémonial très digne – et même très émouvant. Hélas ! « La Brute gagne … » écrivait déjà Léon Bloy."
Depuis que cet après-midi une Amie des Lettres et d’Octave Uzanne, Odile Juillac, a fait le déplacement au cimetière du Père Lachaise pour savoir ce qu’il était advenu des restes d’Octave Uzanne, on sait qu’il occupât un temps la case temporaire numéro 5.441. La concession ne fut visiblement pas renouvelée, les cendres dispersées sans doute, sans pourtant qu’aucune trace d’une quelconque restitution à la famille ou à tout autre ne soit consignée dans les archives du cimetière. Un courrier que j’enverrai très bientôt aux services administratifs du Père Lachaise, ainsi qu'une nouvelle enquête menée sur place par Odile Juillac, permettra peut-être d’en savoir encore un peu plus.
Je crois qu’il est inutile de s’étendre en commentaires forcément superflus sur cette triste mise à mort définitive du Prince des Bibliophiles comme disaient les anglais de la fin du XIXe siècle ; ce que Uzanne c’était plût à répéter. Finalement Octave Uzanne n'aura dû sa propre gloire qu’à lui-même dans beaucoup de domaines. Avait-il si tort que cela après tout ?
Léautaud écrit ainsi dans son journal : "Mardi 3 novembre (…) Mort d’Octave Uzanne. Incinéré aujourd’hui. 79 ans. Vallette nous a raconté tout ce qu’il a subi ces dernières années : opération de la prostate – opération d’un cancer à l’anus – opération d’un anus artificiel – depuis longtemps nanti d’un œil de verre, il était devenu à peu près aveugle de l’autre œil. Il vivait à St-Cloud avec une servante plus vieille que lui : 82 ans. Elle était à l’incinération. Le frère, Joseph Uzanne, son aîné, paraît-il, n’y était pas. Il a dit : « Je ne peux pas, je ne peux pas. » Vallette dit qu’on peut compter que la vieille servante ne sera pas abandonnée : par Joseph Uzanne d’abord, qui est un cœur excellent, et ensuite par Mariani, qui est la bonté même, comme l’était son père, une bonté comme on en voit rarement. Il paraît que Joseph Uzanne est fort mécontent de tout ce qu’on écrit dans les journaux d’inexact sur la carrière littéraire de son frère. Un journal va jusqu’à le faire débuter à La Plume, alors qu’il y avait beau jour que Uzanne avait publié et était connu.
J’ai dans mes papiers une lettre d’Uzanne écrite à Vallette à la mobilisation de la « Grande guerre », pleine du mépris, de la pitié, de la désolation que lui inspirait l’évènement, gardant toute sa raison et tout son jugement. Gourmont, bien supérieur comme écrivain, n’a pas montré cette sagesse, loin de là. Je dis : Gourmont – comme bien d’autres. (…)"
Mur de cases du colombarium du cimetière du Père Lachaise,
la cinquième en partant de la gauche, tout en haut,
fut occupée un temps par les cendres d'Octave Uzanne,
incinéré le 3 novembre 1931.
Crédit Photo. Odile Juillac. 1.3.2012.
la cinquième en partant de la gauche, tout en haut,
fut occupée un temps par les cendres d'Octave Uzanne,
incinéré le 3 novembre 1931.
Crédit Photo. Odile Juillac. 1.3.2012.
On lira aussi avec fruit sur cette même cérémonie un article de Georges Normandy publié dans La Bourgogne d’Or, éditée à Chagny-en-Bourgogne, numéro de Noël 1931.
Georges Normandy écrit : "Ce matin, au monument crématoire du Père-Lachaise, je suis arrivé au début de la cérémonie. Il y avait là douze personnes, en me comptant : sa fidèle bonne Alphonsine, si vieille et si dévouée, Raoul Vèze, Mariani, Edmond Pilon, Sedeyn et quelques anciennes très jolies femmes dont deux pleuraient. Quelle tristesse, ce vide d’une espèce de salle de réunion où la tribune serait remplacée par un simulacre de catafalque, en céramique apparemment, flanqué de deux rideaux poussiéreux et dominé par les armes de la ville de Paris voilées d’un crèpe plus poussiéreux encore !
Pendant une heure on sera là, dans ce cadre pauvre et banal. Des conversations se tiendront, pas tristes du tout… Alphonsine sanglotera. Je penserai tristement au vieil ami si vivant, qui fit de son existence « un chef-d’œuvre » comme il me le répétait souvent et que nous verrons passer devant nous, tout à l’heure, tas de cendres, sur une dérisoire petite civière, généralement employée pour le transport des cercueils de nouveaux-nés. Et nous suivrons en désordre jusqu’au colombarium où, parmi tant de petits compartiments tenant de l’étagère à chaussures et du coffre-fort de banque, une petite case est ouverte. L’urne de marbre sera glissée là-dedans. Un employé cassera brutalement les chrysanthèmes blancs apportés par une vieille dame qui fut belle – Uzanne fut un grand amant : je n’écris pas amoureux – et un ouvrier en costume de travail malpropre maçonnera cela d’une truelle pressée en criant : - Case numéro cinq mille … (je ne me souviens plus du numéro exact) comme on crie dans certains magasins : « Voyez caisse ! »
On restera là en tas, un instant. Quelques poignées de mains. Je salue Alphonsine et c’est le départ à travers le cimetière étincelant sous un soleil doux et comme printanier. Je n’étais jamais entré dans le colombarium.
La crémation ! Si c’est cela le progrès… Je me suis juré, aujourd’hui, de n’être pas incinéré : le respect des morts est une de nos dernières noblesses. Gardons-là : il ne nous en reste plus tant !
Beaucoup médité sur la vie et la mort – et la grande et magnifique simplicité de tout cela, pendant que le feu faisait son œuvre.
Comment peut-on venir saluer un défunt dans ce… commercial et mesquin colombarium ?
Je me sens trop solidaire de tous les miens pour ne pas me soumettre à la tradition séculaire comme je me soumets sans révolte aux lois naturelles. Je ne tiens pas aux cérémonies, mais je tiens à la dignité.
J’ai des pincements au cœur depuis ce matin : il me semble qu’on a tourné en ridicule mon vieil ami qui fut stoïque. Il ne pouvait se défendre, lancer un de ces mots à la Barbey ou à la Jean Lorrain, ses amis – un de ces mots qui remettaient choses et gens en place – et que suivaient si facilement des coups d’épée. On l’a tourné en ridicule – On : un invisible anonyme. Et j’ai assisté à cela !
Toute autre question mise à part, il me semble que la solennité du four crématoire pourrait facilement user d’un cérémonial très digne – et même très émouvant. Hélas ! « La Brute gagne … » écrivait déjà Léon Bloy."
Carte postale ancienne datée 1906
montrant un mur du colombarium du cimetière du Père Lachaise à Paris.
C'était quelques 25 ans avant qu'Octave Uzanne ne s'y trouve lui-même.
montrant un mur du colombarium du cimetière du Père Lachaise à Paris.
C'était quelques 25 ans avant qu'Octave Uzanne ne s'y trouve lui-même.
Depuis que cet après-midi une Amie des Lettres et d’Octave Uzanne, Odile Juillac, a fait le déplacement au cimetière du Père Lachaise pour savoir ce qu’il était advenu des restes d’Octave Uzanne, on sait qu’il occupât un temps la case temporaire numéro 5.441. La concession ne fut visiblement pas renouvelée, les cendres dispersées sans doute, sans pourtant qu’aucune trace d’une quelconque restitution à la famille ou à tout autre ne soit consignée dans les archives du cimetière. Un courrier que j’enverrai très bientôt aux services administratifs du Père Lachaise, ainsi qu'une nouvelle enquête menée sur place par Odile Juillac, permettra peut-être d’en savoir encore un peu plus.
Je crois qu’il est inutile de s’étendre en commentaires forcément superflus sur cette triste mise à mort définitive du Prince des Bibliophiles comme disaient les anglais de la fin du XIXe siècle ; ce que Uzanne c’était plût à répéter. Finalement Octave Uzanne n'aura dû sa propre gloire qu’à lui-même dans beaucoup de domaines. Avait-il si tort que cela après tout ?
Bertrand Hugonnard-Roche, Jean-Paul Fontaine
Odile Juillac
Odile Juillac
(*) Journal littéraire de Paul Léautaud, tome IX, Mai 1931 - Octobre 1932. Paris, Mercure de France, 1982. pp. 136-137
Oui, une fin bien banale pour un homme qui aurait dû logiquement tomber sous le revolver d’un mari jaloux !!
RépondreSupprimerIl y a moins d'amants assassinés que de maris cocus ... d'où la survivance de la tradition... :-)
RépondreSupprimerB.
la crémation devait être largement l'exception, à cette époque. Il n'y a encore pas si longtemps, c'était toujours une pratique très mal vue, notamment du clergé. Et dans mon village c'était tout à fait impensable, quasiment une pratique athée (ouh ! le diable !)
RépondreSupprimerCeci pourrait expliquer l'absence de cérémonial et de dignité, comme une punition pour des "sans-dieu".
Les cendres d'Octave Uzanne auraient été dispersées dans le cimetière des Batignoles, selon les pratiques en usage à l'époque, sans doute en 1938, la location de cinq ans de sa case au colombarium du père Lachaise n'ayant pas été renouvelées en 1936 (délai auquel il faut ajouter deux année de délai légal accordé au famille pour réclamer les cendres).
RépondreSupprimerLilli (qui continue les recherches...)
Comme d'habitude, Wikipédia induit le lecteur en erreur : il donne 1831 pour année de l'incinération d'Octave dans sa liste des personnes incinérées au Père Lachaise !
RépondreSupprimerune coquille sana doute, à un siècle près c'était bon ! ;-)
SupprimerB.
Le Colombarium a l'allure d'une bibliothèque, échelle comprise ...
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