Octave Uzanne : Notes aux portraits de…
Mon bon Nadar,
[…] aujourd’hui je viens t’implorer pour des photographies de Théo Gautier, dont tu as de très belles épreuves dans tes dossiers. Je fais une histoire des portraits de Théo Gautier et avec illustrations. Je cherche toutes ses binettes. Si tu peux me confier les épreuves que tu as, j’en aurai grand soin et te les retournerai huit jours après les avoir reçues. Tu peux compter sur moi.
As-tu quelque chose de Ludovic Halévy ? Je recherche aussi ses portraits et caricatures. Si oui, comme pour Gautier, retour 8 jours après réception, et sur-envoi1.
- 2 Ibid., p. 383-384. Le portrait que Nadar avait fait de Gautier, coiffé de son bonnet grec, avait e (...)
1C’est ainsi qu’Octave Uzanne s’adresse à son ami Nadar dans une lettre du 25 janvier 1902. Le 7 février il insiste à nouveau : « Cher Nadar, tu m’oublies pour les portraits de Théo. Je ne voudrais pas t’embêter, mais ce mot te donnera un bonjour amical et un rappel. » Le 30 [sic] février il renouvelle sa requête : « Je compte sur ta promesse pour les figures de Théo. Vois donc ce que tu as de Ludovic Halévy. Si tu en as, grand service tu me rendras. » Un mois après, le 16 mars : « Quant à ce que je te demandais, mon bon Nadar, c’était des photographies de Théophile Gautier du vieux temps. Si tu mets la main dessus envoie-les moi. » Quand enfin Nadar lui envoie le portrait de Gautier, Uzanne lui écrit le 15 avril : « J’ai bien reçu ton “Gautier” et je t’en remercie ; il est arrivé trop tard, mais cela n’a pas d’importance puisque j’avais déjà ce même type de Théo interprété par Bracquemond2. »
- 3 Il faut aussi ajouter l’appel à Nadar contenu dans la lettre du 29 décembre 1901 : « Je te demande (...)
- 4 On peut lire dans les volumes de cette collection, publiés à Londres en 1902: « This Edition is co (...)
- 5 « The French Classical Romances » « complete in Twenty Crown Octavo Volumes » n’a pas de planches (...)
2Ces extraits tirés des « Lettres d’Octave Uzanne à Félix Nadar3 » montrent avec quelle hâte Uzanne est alors en train de composer une série d’études sur les portraits de quelques écrivains français, destinées à paraître en même temps en Angleterre et aux États-Unis dans deux collections identiques dirigées par Edmund Gosse : « A Century of French Romance » à Londres, chez William Heinemann4, « The French Classical Romances » à New York, chez P. F. Collier & Son5. Le but de cette entreprise consistait à présenter au public anglophone les meilleurs romans français du XIXe siècle traduits en anglais et accompagnés de notices explicatives. Un apparat péritextuel multiple était offert aux lecteurs. Un portrait de l’auteur français en photogravure avec un fac-similé de sa signature était placé face au frontispice ; une « Critical Introduction and Interpretative Essay », confiée à la plume de divers critiques anglo-saxons, précédait la « Biographical Note » signée par Gosse. Après la traduction du roman, en fin de volume, les lecteurs trouvaient l’étude d’Uzanne consacrée aux portraits, « Numerous Other Portraits with Descriptive Notes by Octave Uzanne ».
- 6 « Les portraits et les charges de Victor Hugo », Le Livre Moderne, no 8, 10 août 1890, p. 65-75 ; (...)
3Celui-ci s’était déjà essayé à ce genre d’études iconographiques dans sa revue Le Livre Moderne. Revue du monde littéraire et des Bibliophiles contemporains publiée en 1890 et 1891 : Les portraits et les charges de Victor Hugo, ceux de Jules Janin, l’iconographie de Lamartine et d’Alexandre Dumas, les Portraits curieux ou inédits d’Honoré de Balzac6 avaient été appréciés par les lecteurs de la revue, des bibliophiles pour la plupart.
- 7 Les Poètes de Ruelles au XVIIe siècle (4 volumes). Publiés avec Notices, Notes et Index : Poésies (...)
- 8 Les Petits Conteurs du XVIIIe siècle (12 volumes). Publiés avec Notices bio-bibliographiques et de (...)
4Dès le milieu des années 1870, lorsqu’il préparait Les Poètes des ruelles au XVIIe siècle pour la « Librairie des bibliophiles » de Jouaust7, ou Les Petits Conteurs du XVIIIe siècle pour l’éditeur Quantin, Uzanne avait appris à insérer, en regard du frontispice, un portrait de chaque auteur8, selon un procédé qui s’était imposé tout au long du XIXe siècle et avait acquis une véritable importance à partir de 1850, avec la diffusion de la photographie.
- 9 Edwards P., Soleil noir. Photographie & littérature des origines au surréalisme, Rennes, Presses U (...)
5Paul Edwards rappelle qu’un « portrait impose la présence de l’auteur au lecteur9 ». Michele Rak, théoricien et historien du changement et de la modification des langages de l’art dans la culture des media, interviewé sur le rapport qui lie une œuvre à un visage et à un public, affirme que le portrait de l’auteur :
- 10 Sebastiani L., « Beckett and Co. : a noi gli occhi. Da Breton a Borges, da Duras a Baudelaire fino (...)
est toujours rassurant. Dans le portrait l’écrivain n’est plus mystérieux, il perd l’aura et l’auréole, il est classé par le lecteur. […] Il y a une partie cachée du lecteur qui oscille entre deux arts jamais vieillis, la physiognomonie et les théories de Lombroso : chacun de nous pense beaucoup savoir en regardant la figure d’une personne, pouvoir en capter le caractère10.
- 11 Cesabianchi M., Cristini C., « Fisiognomica, Arte e Psicologia », Caroli F., L’Anima e il volto. R (...)
- 12 Darwin C., The expression of the emotions in man and animal, London, John Murray, 1872 ; Mantegazz (...)
6À la fin du XIXe, on assiste, en effet, au passage de la physiognomonie à la psychologie. Les traits du visage révèlent le caractère d’une personne, « traduisent le langage secret des affections, les recoins cachés de l’esprit11 ». Après Darwin, Mantegazza et Lombroso, le visage est perçu en tant qu’expression synthétique de l’âme12. La voie est désormais ouverte à la recherche en psychologie.
7Uzanne connaît ces théories. Dans le Prélude Iconographique qui inaugure, en 1894, le premier volume des Figures Contemporaines tirées de l’Album Mariani, comprenant soixante-quinze biographies, autographes et portraits, il déclare :
- 13 Uzanne O., « Prélude iconographique », Figures contemporaines tirées de l’Album Mariani, Paris, Er (...)
Aujourd’hui, notre besoin de pénétration psychique, lorsqu’il s’agit d’un homme connu, réclame non seulement la reproduction directe ou interprétée de l’image fixée par la lumière, mais encore le fac-similé de l’écriture autographe. Nous aimons étudier la physiognomonie et la craniologie, démêler tous les traits du maître qui nous intéresse et […] il est vrai que le plus souvent la physionomie est le reflet fidèle de l’homme intérieur13.
- 14 Juhel P., op. cit., note 2, p. 377.
- 15 Uzanne O., « Prélude iconographique », op. cit., p. II-III.
- 16 Ibid., p. V.
8Le frère d’Octave, Joseph Uzanne, était le secrétaire d’Angelo Mariani, l’inventeur du Vin Mariani. Il dirigeait les Figures contemporaines, dont parurent quatorze volumes de 1894 à 1925. Créées pour faire de la publicité au Vin Mariani, ces publications offraient, avec « les attestations de reconnaissance à l’endroit du génial apothicaire et de sa miraculeuse plante, reproduites en facsimilé14 », les portraits et les notices biographiques de ses clients les plus célèbres : monarques, musiciens, hommes de lettres, de science et de théâtre, hommes politiques. Présentant le volume de 1894, Octave affirme que M. A. Mariani « s’est pénétré de ces vérités psychiques […] en créant son Exposition de Portraits modernes15 » où on possède « à la fois biographie, bibliographie, portrait et autographe, c’est-à-dire la synthèse nécessaire pour la curiosité des admirateurs, des physiologues, des psychologues et des graphologues16 ».
Les études iconographiques du Livre Moderne
9Le Livre Moderne. Revue du monde littéraire et des Bibliophiles contemporains témoigne de l’intérêt et de l’attention qu’Uzanne porte aux questions de l’illustration des livres. Ses premières études iconographiques paraissent dans cette revue qui s’adresse tout spécialement à des bibliophiles :
- 17 Uzanne O., « Les Portraits et les charges de Victor Hugo », Le Livre Moderne, no 8, 10 août 1890, (...)
Nous avons pensé intéresser les curieux amis du Livre Moderne en publiant ici, de temps à autre, quelques études illustrées sur les portraits des maîtres disparus, et nous nous proposons de passer tour à tour en revue Dumas père, Jules Janin, Alfred de Vigny, Musset, Lamartine, et même Sainte-Beuve, qui fut le moins portraituré de sa génération17.
10L’article consacré aux « Portraits et Charges de Victor Hugo » débute par la constatation du grand foisonnement des portraits d’hommes célèbres à la fin du XIXe siècle :
- 18 Ibid., p. 65.
Un des étonnements et aussi un des plaisirs rétrospectifs les plus vifs des collectionneurs et curieux lettrés du siècle prochain sera, – nous pouvons dès aujourd’hui nous en rendre un compte assez exact, – la multiplicité des portraits d’hommes célèbres de ce temps, leur variété extraordinaire à tout âge de leur vie, et surtout l’incroyable différence des traits et de l’expression de toutes ces physionomies interprétées par la plume, le crayon, le burin, l’ébauchoir ou le procédé photographique direct18.
- 19 Ibid., p. 67-68.
- 20 Ibid., p. 67.
11« Les siècles précédents », poursuit-il, « nous ont légué des portraits de grands écrivains qui, pour être parfois nombreux, n’embarrassent point l’iconographe, et qui déterminent tous assez logiquement des types d’un caractère très arrêté19 ». Après la Révolution française et l’Empire, au contraire, l’abondance des images ne permet plus « de fixer dans la chambre noire de notre cerveau une effigie caractéristique et définitive des maîtres de l’école romantique20 ». Il faut nous demander :
- 21 Ibid., p. 68-69.
Sur quels documents, peints et gravés, les générations futures chercheront à établir la représentation des plus grandes figures du XIXe siècle : et, ma foi, ces documents abondent avec tant de profusion, les visages des hommes célèbres ont été si fréquemment interprétés, si largement parodiés par la caricature, que l’on se formulera avec peine une image fidèle au milieu de cet entassement d’icônes ordinaires et extraordinaires21.
- 22 Ibid., p. 70.
- 23 Ibid.
- 24 Ibid., p. 74.
12Uzanne était convaincu du bien fondé de son opinion. Il pensait que « cette iconographie primesautière, avec de précieuses reproductions de toute nature22 » aurait fourni « un élément de haut ragoût23 » pour les lecteurs de sa revue. C’est à leur intention qu’il fait choix « des gravures les plus inconnues des collectionneurs24 » ainsi que des caricatures les moins banales. D’autant plus qu’il y avait des souscripteurs d’exemplaires en papiers de luxe, pour lesquels Le Livre Moderne prévoyait, dans chaque numéro, en Supplément, des illustrations hors texte d’une qualité supérieure. Lors de la publication des « Portraits curieux ou inédits d’Honoré de Balzac », en septembre 1891, les illustrations hors texte étaient un « Portrait inédit de Balzac, d’après un dessin d’Eugène Giraud, fait aussitôt après sa mort » et une « eau-forte à l’aquatinte, faite par François Courboin ». Les exemplaires de luxe de ce même numéro contenaient « un état de première morsure du portrait de Balzac mort, par Courboin d’après Giraud », et « un curieux portrait de Balzac, d’après un daguerréotype inconnu ».
Les « Descriptive Notes » d’Octave Uzanne dans « The French Classical Romances »
- 25 Parmi ceux-ci, huit avaient été élus à l’Académie Française : Mérimée en 1844, Sandeau, en 1859, F (...)
13La série de « Notes » rédigées pour les collections anglaises d’Edmund Gosse prévoyait, toutefois, un lectorat bien différent de celui du Livre Moderne. Les iconographies en miniature d’Uzanne viennent ici compléter des volumes destinés à un public étranger appartenant aux classes populaires, public qui ne connaissait pas nécessairement la France ni non plus la littérature française du XIXe siècle. Vingt auteurs ont été désignés pour représenter « The French Classical Romances » : à Stendhal et Balzac succédaient Hugo, Dumas père, Mérimée et George Sand, la seule femme-auteur de cette bibliothèque. Gautier et Sandeau précédaient la génération des années vingt : Flaubert, Feuillet, Erckmann et Chatrian, Dumas fils, About ainsi que les deux frères Goncourt et Cherbuliez. Ludovic Halévy n’avait pas été oublié dans cette collection qui comprenait aussi Daudet, Zola, Maupassant et Loti25. Les portraits présentés dans la section finale des volumes, sur papier glacé, sont de mauvaises reproductions tirés de tableaux, dessins, gravures, charges et photographies, souvent déjà parus dans la presse où ce matériel était de plus en plus présent. Uzanne offre aussi des inédits et, lorsqu’il n’arrive pas à détecter des documents iconographiques, il n’hésite pas à les demander directement aux écrivains vivants, comme dans le cas de Zola, ou à leurs parents les plus proches, comme c’est le cas de Madame Feuillet.
14Le public nouveau amène un changement de perspective chez l’iconographe. Pour « The Portraits and Caricatures of Victor Hugo », publiés à la suite de Notre Dame de Paris chez Collier & Son, Uzanne conserve l’argumentation initiale du Livre Moderne, mais doit quand même renoncer à trois des quatre caricatures qu’il avait insérées dans la revue et faire place à d’autres portraits. Le registre de son discours est moins confidentiel et contient moins de références au monde des collectionneurs : il adopte un ton neutre en illustrant, à travers les portraits qu’il a réunis, les traits, la physionomie, la configuration de la tête de Hugo changeant d’un âge à l’autre. Il ne s’agit plus seulement d’amuser des lecteurs curieux par des anecdotes ou des références au marché, mais aussi de détecter dans les reproductions choisies la présence du génie qui s’est manifesté dans l’œuvre. On cherche dans les différentes représentations de ces visages « l’homme intérieur ».
Illustration 1. Frontispice de Hugo V., Notre-Dame de Paris, New York, P. F. Collier & Son, coll. « The French Classical Romances », 1902.
- 26 Uzanne O., « The Portraits and Caricatures of Victor Hugo », Hugo V., Notre-Dame de Paris, New Yor (...)
15Prenons le portrait de Hugo reproduit en photogravure face au frontispice (ill. 1). Uzanne, qui ne l’avait pas inséré dans l’étude du Livre Moderne, le décrit dans les « Notes » comme : « une délicieuse miniature du jeune poète, exécutée vers 1828-1830, au faîte de sa jeunesse, de son charme et de son génie26 ». Dans la conclusion de ces pages on lit un aveu d’impuissance :
- 27 Ibid., p. 519, [traduction de l’auteur].
De n’importe quel côté que l’on puisse aborder l’étude de Victor Hugo, le sujet est trop grand, […] trop varié, trop complexe pour qu’il soit possible d’en faire un résumé en peu de pages. En feuilletant cette petite galerie des portraits de l’auteur de Notre-Dame de Paris, l’étudiant curieux sera plus intéressé à l’ensemble qu’aux détails et il sera surtout étonné de la variété des représentations du même homme, depuis sa période romantique jusqu’au moment où le poète âgé écrivait celui qui est le plus touchant, peut-être, de tous ses ouvrages, L’Art d’être Grand-père27.
- 28 Uzanne O., « The Portraits and Caricatures of Émile Zola », Zola E., The Downfall, New York, P. F. (...)
16Dans l’incipit des « Portraits of Émile Zola », Uzanne rappelle le caractère analytique de la critique contemporaine, qui étend sa méthode d’investigation aux hommes ainsi qu’à leurs œuvres. La biographie et l’iconographie sont désormais reconnues comme « des branches de la littérature », écrit-il. « Grâce à leurs descriptions des auteurs, elles contribuent à une meilleure compréhension de leurs ouvrages […] La conception d’une œuvre, sa longue et difficile rédaction, ne sont-elles pas souvent autant pleines d’intérêt vital que les différentes intrigues de l’histoire même28 ? » Ainsi faut-il considérer le portrait, l’autographe ou l’interview comme des instruments de connaissance et de l’auteur et de son œuvre.
17Uzanne insiste sur cette idée dans sa « Note on the Portraits of Alexandre Dumas the Elder » :
- 29 Uzanne O., « Note on the Portraits of Alexandre Dumas the Elder », Dumas A. père, The Black Tulip, (...)
L’intention de l’auteur de cette note n’est pas une tentative de définir la place exacte d’Alexandre Dumas Père dans le grand mouvement littéraire de 1830, ni non plus celle de juger de la valeur de son œuvre. Son unique but est d’être un complément à l’étude du Docteur Garnett sur l’auteur, avec un chapitre consacré aux portraits de l’écrivain, pour montrer les différents aspects sous lesquels Alexandre Dumas a été connu par plusieurs générations de lecteurs29.
- 30 Pour ses « Descriptive Notes » Uzanne a réuni 18 portraits de Gautier, 16 de Dumas père, 16 des fr (...)
- 31 Ibid., p. 356-359, [traduction de l’auteur].
- 32 Les quatre caricatures de Dumas parues dans Le Livre Moderne, no 12, 10 décembre 1890, étaient : u (...)
- 33 Uzanne O., « The Portraits of Théophile Gautier », Gautier T., Captain Fracasse, New York, P. F. C (...)
- 34 Ibid., p. 446, [traduction de l’auteur].
- 35 Uzanne O., « Curious Unpublished or Unknown Portraits of Honoré de Balzac », Balzac H. de, The Two (...)
18L’iconographie de Dumas père est très abondante30, surtout après 1868 lorsque ses portraits et ses caricatures pullulaient littéralement : on en trouvait par centaines dans les périodiques illustrés et dans les magazines. Ses portraits étaient vendus dans les papeteries et chez les vendeurs de photographies. « Aucun de ses contemporains n’a été photographié, dessiné, gravé, déformé par la caricature dans les journaux humoristiques autant que lui31. » Uzanne n’inclut pourtant dans sa « Note » qu’une seule caricature : celle d’Étienne Carjat publiée dans le Diogène en 1860. Dans Le Livre Moderne on pouvait compter quatre caricatures32, mais dans les « Descriptive Notes », on n’en a jamais plus de deux. Ainsi pour Daudet il n’y a qu’une caricature de Gill de 1879 et une autre de Luqué de 1884. Parmi « The Portraits of Théophile Gautier », on trouve une caricature à l’aquarelle qui le représente en costume turc à Saint Gratien chez la Princesse Mathilde en 187233, comme nous le voyons dans l’illustration 2, et celle qui montre le jeune poète aux longs cheveux, avec un large sombrero sur sa tête34. Une seule caricature pour Erckmann et Chatrian, pour Dumas fils et Edmond About. Une seule aussi pour Balzac. Celle qui le représente de profil avec sa canne et son chapeau, comme nous le voyons dans l’illustration 3, dont Uzanne dit : « Ici nous avons réellement le vrai Balzac, le gros dandy comique, l’homme à la canne, tel que nous aimons nous l’imaginer35. »
Illustration 2. Caricature de Théophile Gautier. Peinte à l’aquarelle par E. Giraud à Saint Gratien, chez la Princesse Mathilde, en 1872.
19Parmi les illustrations des « Notes » on trouve de nombreuses reproductions de photographies, pour lesquelles Uzanne n’éprouve que mépris, comme on peut le lire en conclusion de ses notes sur les portraits de Prosper Mérimée :
- 36 Uzanne O., « The Portraits of Prosper Mérimée », Mérimée P., Colomba and Carmen, New York, P. F. C (...)
Tout ce que la photographie nous transmet est en même temps comique et mélancolique, démodé et détestable. La photographie, qui est l’impression fidèle d’une image par la lumière, ne produit jamais la même impression de vie que produit le croquis d’un artiste, une peinture à l’huile ou une sculpture. Le procédé inventé par Daguerre et ses successeurs, a offensé les hommes illustres de la seconde moitié du XIXe siècle. […] Mérimée, qui savait lui aussi faire des portraits et des caricatures, […] était parfaitement conscient qu’aucune exposition instantanée d’une pellicule photographique ne pouvait saisir les traits caractéristiques d’un homme, ou la structure mentale de son intelligence, ou les particularités de son âme et les restituer par le même effet obtenu par le signe du crayon d’un artiste36.
- 37 Uzanne O., « The Portraits of Ludovic Halévy », Halévy L., Abbé Constantin and A Marriage for Love(...)
20Uzanne revient sur ce sujet dans les « Notes » sur les portraits de Gautier, de Dumas fils et d’Halévy. Il rappelle que ce dernier n’a laissé que des photographies, mais celles-ci « manquent d’éloquence et d’expression. L’art seul sait faire revivre les traits et donne au portrait le charme de l’expression qui l’ennoblit37 ». Dans L’Art et l’Idée, revue qu’il avait fondée et qui paraît de janvier à décembre 1892, il avait soutenu, sous le pseudonyme de Gérard d’Orgy, la même thèse :
- 38 D’Orgy G., « Les lendemains d’étrennes – Livres imagés – ouvrages d’amateurs et publications illus (...)
Ah ! mes amis, l’art jamais ne sera là, l’idée non plus, rien ne vibre moins à notre vue que ces instantanés odieux ! Revenons vite aux jolis et spirituels croquis qu’ensoleillent le goût et la gaieté de la facture, laissons ces illustrations barbares aux geôles et aux laboratoires anthropométriques. – Rien n’est beau que le faux ! Le faux seul est aimable38 !
- 39 Uzanne O., « Les livres de luxe et les nouvelles littéraires », L’Art et l’Idée. Revue contemporai (...)
21Il avait, pourtant, atténué son jugement dans la deuxième parution de L’Art et l’Idée et, comme par hasard, cela à propos des Album Mariani, dont les gravures avaient été faites d’après des photographies à l’aide des techniques héliographiques : « tous les portraits à l’eau-forte, gravés par Lalauze pour cette série, sont traités avec une grande liberté d’exécution et d’une pointe amusante ; la ressemblance est généralement parfaite. La collection Mariani mérite donc tous les suffrages39 ».
22On ne peut pas en dire autant des « Descriptive Notes by Octave Uzanne ». S’adressant à un public étranger, ces pages illustrées avaient l’ambition de compléter la connaissance de l’auteur du roman qu’elles accompagnaient, ainsi que celle de son œuvre. Si on peut apprécier l’idée qui en avait inspiré la réalisation, ces compléments iconographiques laissent, pourtant, beaucoup à désirer : les textes d’Uzanne, très inégaux, sont souvent fautifs, les didascalies des portraits fournissent parfois des indications erronées, les reproductions manquent d’art et de goût à l’exception de quelques portraits en photogravure des frontispices (ill. 4 et ill. 5), la mise en pages, enfin, est peu soignée.
Illustration 4. Frontispice de Zola E., The Downfall, New York, P. F. Collier & Son, coll. « The French Classical Romances », 1902.
Illustration 5. Frontispice de Daudet A., The Nabab, New York, P. F. Collier & Son, coll. « The French Classical Romances », 1902.
23C’est l’expérience des articles iconographiques du Livre Moderne et des Album Mariani qui a poussé Uzanne à accepter cette collaboration, mais le résultat, comme on l’a vu, en sera diminué par les limites imposées à une édition populaire au moment crucial de la transformation des techniques de reproduction. Ces portraits ont pourtant aidé à diffuser à l’étranger un canon de la littérature française du XIXe siècle : « The French Classical Romances » seront métamorphosés en « Crown Gems of France » publiés par « The St. Hubert Guild » jusqu’à Akron, Ohio, USA !
NOTES
1 Juhel P., « Lettres d’Octave Uzanne à Félix Nadar », Bulletin du bibliophile, no 2, 2008, p. 382.
2 Ibid., p. 383-384. Le portrait que Nadar avait fait de Gautier, coiffé de son bonnet grec, avait en effet été interprété à l’eau-forte par Félix Bracquemond en 1857, sous le titre Portrait de Théophile Gautier. Par la suite cette planche avait été publiée dans L’Artiste du 13 mars 1859 et avait figuré au Salon de 1859.
3 Il faut aussi ajouter l’appel à Nadar contenu dans la lettre du 29 décembre 1901 : « Je te demanderais épreuves et clichés Hugo… » Ibid., p. 381.
4 On peut lire dans les volumes de cette collection, publiés à Londres en 1902: « This Edition is copyright in all countries signatory to the Berne Treaty, and is not to be imported into the United States of America. » Des planches en couleur ornaient cette collection « edited by Edmund Gosse; illustrated with original plates in colours, photogravure portraits, and text portraits with notes by Octave Uzanne ».
5 « The French Classical Romances » « complete in Twenty Crown Octavo Volumes » n’a pas de planches en couleur. Notre étude se fonde sur l’analyse des études d’Uzanne parues en anglais dans les volumes de cette collection dont on trouve les détails en bibliographie.
6 « Les portraits et les charges de Victor Hugo », Le Livre Moderne, no 8, 10 août 1890, p. 65-75 ; « Les portraits et les charges de Jules Janin », Le Livre Moderne, no 10, 10 octobre 1890, p. 193-204 ; « Portraits et charges d’Alexandre Dumas », Le Livre Moderne, no 12, 10 décembre 1890, p. 321-338 ; « Les portraits et les charges de Lamartine », Le Livre Moderne, no 13, 10 janvier 1891, p. 65-82 ; « Portraits curieux ou inédits d’Honoré de Balzac », Le Livre Moderne, no 21, p. 129-135.
7 Les Poètes de Ruelles au XVIIe siècle (4 volumes). Publiés avec Notices, Notes et Index : Poésies de Benserade, Paris, Librairie des Bibliophiles, 1875 (réimpression à Genève chez Slatkine en 1967) ; La Guirlande de Julie, Paris, Librairie des Bibliophiles, 1875 ; Poésies de François Sarazin, Paris, Librairie des Bibliophiles, 1876 ; Poésies de Mathieu de Montreuil, Paris, Librairie des Bibliophiles, 1878.
8 Les Petits Conteurs du XVIIIe siècle (12 volumes). Publiés avec Notices bio-bibliographiques et des Notes : Contes de l’abbé de Voisenon, Paris, Quantin, 1878 ; Contes du Chevalier de Boufflers, Paris, Quantin, 1878 ; Contes du comte de Caylus, Paris, Quantin, 1879 ; Contes dialogués de Crébillon fils, Paris, Quantin, 1879 ; Contes de Moncrif, Paris, Quantin, 1879 ; Contes du chevalier de La Morlière, Paris, Quantin, 1879 ; Contes de Pinot-Duclos, Paris, Quantin, 1880 ; Contes de Jacques Cazotte, Paris, Quantin, 1880 ; Contes de Restif de La Bretonne, Paris, Quantin, 1881 ; Contes du baron de Besenval, Paris, Quantin, 1881 ; Contes de Fromaget, Paris, Quantin, 1882 ; Contes de Godart d’Aucour, Paris, Quantin, 1883.
9 Edwards P., Soleil noir. Photographie & littérature des origines au surréalisme, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, p. 71-72.
10 Sebastiani L., « Beckett and Co. : a noi gli occhi. Da Breton a Borges, da Duras a Baudelaire fino a Capote. 200 scatti dei grandi della letteratura in mostra a Parigi », in L’Unità, 5 dicembre 2010, p. 36 [traduction de l’auteur]. Article sur l’exposition Portraits d’écrivains, de 1850 à nos jours, du 5 novembre 2010 au 20 février 2011, Paris, Maison de Victor Hugo.
11 Cesabianchi M., Cristini C., « Fisiognomica, Arte e Psicologia », Caroli F., L’Anima e il volto. Ritratto e fisiognomica da Leonardo a Bacon, Milano, Electa, 1998, p. 32.
12 Darwin C., The expression of the emotions in man and animal, London, John Murray, 1872 ; Mantegazza P., Atlante dell’espressione del dolore : fotografie prese dal vero e da molte opere d’arte che illustrano gli studi sperimentali sull’espressione del dolore, Firenze, Giacomo Brogi fotografo editore, 1872 ; Id., Fisionomia e mimica, Milano, Fratelli Dumolard, 1881 ; Lombroso C., L’Uomo delinquente studiato in rapporto alla antropologia, alla medicina legale e alle discipline carcerarie, Milano, Ulrico Hoepli libraio-editore, 1876 ; Id., L’Uomo delinquente in rapporto all’antropologia, alla giurisprudenza e alla psichiatria: atlante, Torino, Fratelli Bocca editore, 1897.
13 Uzanne O., « Prélude iconographique », Figures contemporaines tirées de l’Album Mariani, Paris, Ernest Flammarion Éditeur, 1894, p. II.
14 Juhel P., op. cit., note 2, p. 377.
15 Uzanne O., « Prélude iconographique », op. cit., p. II-III.
16 Ibid., p. V.
17 Uzanne O., « Les Portraits et les charges de Victor Hugo », Le Livre Moderne, no 8, 10 août 1890, p. 69.
18 Ibid., p. 65.
19 Ibid., p. 67-68.
20 Ibid., p. 67.
21 Ibid., p. 68-69.
22 Ibid., p. 70.
23 Ibid.
24 Ibid., p. 74.
25 Parmi ceux-ci, huit avaient été élus à l’Académie Française : Mérimée en 1844, Sandeau, en 1859, Feuillet, en 1862, Dumas fils en 1874, Cherbuliez en 1881, About en 1884, Halévy en 1884, Loti en 1891.
26 Uzanne O., « The Portraits and Caricatures of Victor Hugo », Hugo V., Notre-Dame de Paris, New York, P. F. Collier & Son, coll. « The French Classical Romances », 1902, p. 517-518, [traduction de l’auteur].
27 Ibid., p. 519, [traduction de l’auteur].
28 Uzanne O., « The Portraits and Caricatures of Émile Zola », Zola E., The Downfall, New York, P. F. Collier & Son, coll. « The French Classical Romances », 1902, p. 615, [traduction de l’auteur].
29 Uzanne O., « Note on the Portraits of Alexandre Dumas the Elder », Dumas A. père, The Black Tulip, New York, P. F. Collier & Son, coll. « The French Classical Romances », 1902, [traduction de l’auteur] p. 351. Richard Garnett est l’auteur de l’introduction critique « The Novels of the Elder Dumas », qui précède le roman.
30 Pour ses « Descriptive Notes » Uzanne a réuni 18 portraits de Gautier, 16 de Dumas père, 16 des frère Goncourt, 15 de Hugo, 14 de Balzac, 13 de Dumas fils, 12 d’Edmond About, 12 de Zola, 12 de Daudet, 11 de George Sand, 7 de Stendhal, 6 de Mérimée, 6 de Sandeau, 6 d’Erckmann et Chatrian, 6 de Maupassant, 6 de Ludovic Halévy, 5 de Feuillet, 5 de Loti, 4 de Cherbuliez, 3 de Flaubert. Le total est de 199 portraits.
31 Ibid., p. 356-359, [traduction de l’auteur].
32 Les quatre caricatures de Dumas parues dans Le Livre Moderne, no 12, 10 décembre 1890, étaient : un portrait-charge de Benjamin, paru dans le Charivari en 1840, un portrait-charge de Cham, publié dans le Charivari du 31 mars 1858, la charge parue dans la Lune du 2 décembre 1865 et celle de Carjat publiée dans le Diogène en 1860.
33 Uzanne O., « The Portraits of Théophile Gautier », Gautier T., Captain Fracasse, New York, P. F. Collier & Son, coll. « The French Classical Romances », 1902, p. 449, [traduction de l’auteur].
34 Ibid., p. 446, [traduction de l’auteur].
35 Uzanne O., « Curious Unpublished or Unknown Portraits of Honoré de Balzac », Balzac H. de, The Two Young Brides, New York, P. F. Collier & Son, coll. « The French Classical Romances », 1902, p. 360, [traduction de l’auteur].
36 Uzanne O., « The Portraits of Prosper Mérimée », Mérimée P., Colomba and Carmen, New York, P. F. Collier & Son, coll. « The French Classical Romances », 1902, p. 360, [traduction de l’auteur].
37 Uzanne O., « The Portraits of Ludovic Halévy », Halévy L., Abbé Constantin and A Marriage for Love, New York, P. F. Collier & Son, coll. « The French Classical Romances », 1902, p. 67, [traduction de l’auteur].
38 D’Orgy G., « Les lendemains d’étrennes – Livres imagés – ouvrages d’amateurs et publications illustrées », L’Art et l’Idée. Revue contemporaine de dilettantisme littéraire et de la curiosité, no 1, p. 48.
39 Uzanne O., « Les livres de luxe et les nouvelles littéraires », L’Art et l’Idée. Revue contemporaine de dilettantisme littéraire et de la curiosité, no 2, p. 368-369.
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