C'était il y a tout juste un siècle, en 1913. Octave Uzanne décrivait dans le chapitre VI de son pamphlet antisémite Israël chez John Bull (signé du pseudonyme Théo-Doedalus) l'histoire de "ce puissant minotaure de la finance" (pp. 221 à 251). Nous donnons ci-dessous ce texte en intégralité.
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Nathan Mayer Rothschild (1777-1836) |
Israël émancipé. - Deux figures dominantes : Le Baron Nathan Rothschild et Benjamin Disraëli, Lord Beaconsfield.
"Bien que, dans un chapitre précédent, nous ayons pu parler accidentellement de deux grandes figures juives du XIXe siècle anglais et déterminer le rôle financier de Nathan Rothschild et celui de l'illustre Benjamin Disraëli, depuis Lord Beaconsfield, nous estimons qu'il convient de faire remordre avec plus de vigueur et d'acuité la silhouette de ces portraits originaux qui eurent une place si prépondérante dans cette histoire, où, comme le remarque J. Darmesteter, on rencontre à presque tous les grands changements de la pensée une action juive, soit éclatante et visible, soit sourde et latente.
On a écrit énormément sur les Rothschild ; livres, brochures, articles se sont succédés en tous pays à leur sujet, colportant avec beaucoup de légendes infiniment trop d'erreurs.
Une série d'études parue dans la Deutsche Rundschau de Berlin, au courant de l'année 1901, vient détruire certains récits erronés et remplacer par des données exactes les légendes dorées, c'est le cas de le dire, qui poussèrent autour du berceau tellement envié des rois de l'or. Grâce à des documents inconnus ou inédits, découverts dans les différents archives allemandes ou communiqués obligeamment par les intéressés, M. Richard Ehrenberg est arrivé à nous faire connaître la source réelle des millions historiques qui ont fait tant de petits.
Rappelons à cette occasion qu'à l'exception d'un ouvrage anglais de Reeves, qu'il faut consulter avec une certaine méfiance, et d'une notice écrite par Frédéric de Gentz (I) en 1826 et publiée en partie dans le Dictionnaire de la Conversation de Brockhaus, l'étude de M. Ehrenberg est la première tentative sérieuse d'écrire l'histoire de la plus grande maison de banque de l'Europe contemporaine.
Meyer-Amschel Rothschild naquit en 1743 à Francfort sur le Mein où son père était commerçant. Après un apprentissage dans la maison Oppenheim, de Hanovre, il fonda dans sa ville natale un bureau de change, ce qui le mit en relation avec le prince héritier Guillaume de Hesse-Cassel. Le général von Estorff, qui avait connu le jeune Rothschild à Hanovre, le recommanda au prince Guillaume ; le hasard voulut que, lors de sa première visite au château de Hanau, le général et le fils du Landgraf jouaient aux échecs ; un conseil donné par Rothschild fit gagner la partie au prince, qui trouva plaisir à causer avec le jeune négociant en monnaie et se servit de lui pour enrichir sa collection de médailles.
Cela a dû se passer vers 1775. Rothschild négocia aussi des lettres de change sur Londres que le prince Guillaume avait à tirer contre les fournitures de soldats allemands au gouvernement anglais, en guerre avec ses colonies américaines. En 1789, quatre ans après son avènement au trône de Cassel, Guillaume reçut une offre de service de Rothschild ; les renseignements recueillis sur celui-ci furent satisfaisants : "il avait la réputation d'un homme honnête et travailleur, auquel on pouvait accorder du crédit." En 1794, le Landgraf avait 150.000 livres sterling à vendre ; sept concurrents francfortois étaient sur les rang : Bethmann, Melzler, Heyder, Rupell, Gontard, d'Orville et Rothschild ; les quatre premiers furent chargés de l'opération et ce n'est qu'en 1795 qu'à Rothschild fut confiée la négociation d'effets sur Londres, qu'il paya comptant ; à cette époque, il n'était encore que Hofagent financier du Landgraf, il devint Oberhofagent en 1801.
Le Landgraf était un des plus riches capitalistes de son temps, il employait le produit de la vente de ses soldats et des traites sur Londres en affaires de banque ; il prêtait aux gouvernements étrangers, de même qu'à des particuliers, à des officiers, des fonctionnaires, sans négliger la petite clientèle des boulangers et des cordonniers. En 1784, une opération fut faite par lui avec la cour de Danemark ; mais afin de déterminer le prince à consentir au prêt, les Danois durent payer une commission de 2 1/2 p. c. à ses conseillers.
Ce n'est qu'à partir de 1800 que les relations entre Guillaume et Meyer-Amschel Rothschild deviennent intimes et suivies ; Rothschild reçut en dépôt de son protecteur 160.000 thalers à 4 1/2 p. c. ; en 1801, 200.000 florins au même taux ; il négocie pour lui l'achat de 120.000 florins d'obligations 4 1/2 p. c. du Palatinat, échangés en 1802 contre des titres de la dette de Francfort ; en 1803, 499.000 florins ville de Francfort ; en 1804, 400.000 florins, Hesse-Darmstadt. Il n'avait d'ailleurs pas le monopole de ces opérations, il partageait avec d'autres maisons la confiance du Landgraf. La première grande affaire que Meyer-Amschel fit, toujours pour placer les capitaux de Cassel, fut avec le gouvernement danois, qui après avoir eu recours jusqu'en 1780 au marché hollandais, se servait depuis une vingtaine d'années de banquiers francfortois, notamment de la maison de Bethmann. En 1804, celle-ci avait proposé à Copenhague de trouver quelques centaines de mille thalers, qui formaient le solde de l'emprunt non placé, à condition qu'il leur fût accordé 8 p. c. de commission. C'est alors qu'intervint une offre plus acceptable faite sous le couvert de la maison Lawaetz, d'Altona, pour compte de Rothschild, qui demande au début de na pas être nommé et qui avança ainsi successivemnet 1.750.000 thalers. En 1806, lors d'un prêt de 1.300.000 thalers, son nom fut indiqué pour la première fois et les coupons furent dits payables à sa caisse. Contrairement à l'usage antérieur de ne faire des prêts qu'à courte échéance, l'emprunt, conformément aux désirs du Landgraf, qui voulait avoir un revenu élevé et durable, fut conclu pour une série d'années ; l'intérêt ressortait, à 6 p. c. Pour la première fois aussi, il fut émis des obligations en coupures libellées en chiffres ronds et facilement négociables. C'est vers cette époque (octobre 1806) que l'électeur de Hesse confia sa fortune liquide à son Hofagent qui, contrairement à l'opinion courante, ne la conserva pas, mais la fit passer à Londres, où se trouvait son fils Nathan Meyer. Celui-ci a raconté qu'il reçut par la poste 600.000 livres, qu'il administra à la satisfaction du déposant princier ; et ce dernier comme témoignage de reconnaissance, lui fit plus tard cadeau de vin et de linge. Meyer Amschel mourut en 1812, après avoir, en 1810, modifié la raison sociale en Meyer Amschel et fils : il laissa la réputation d'un homme intègre, extrêmement bienfaisant et grand connaisseur en antiquités, en médailles et en objets d'arts.
Des cinq fils de Meyer Amschel, ce fut le troisième, Nathan Meyer, qui exerça la plus grande influence sur le développement de la maison. Nathan se rendit en Angleterre, pour y faire des affaires en marchandies (vraisemblablement en étoffes) ; il avait apporté avec lui 20.000 livres sterling qu'il tripla en quelques années. L'exportation d'Angleterre était difficile dès 1800, bien que le blocus continental n'eût été décrété qu'en 1806, mais elle était lucrative. Après avoir passé quelques années à Manchester, Nathan s'établit à Londres, où il reçut en 1906 l'argent hessois et remplaça comme banquier de la cour, la maison Van Notten. Il avait alors 28 ans. Cette même année, la compagnie des Indes fit vendre sur le marché 800.000 livres sterling en or ; Nathan acheta tout le métal, dont il savait que le duc de Wellington avait un pressant besoin et dont il détenait une grande quantité de lettres de change, acquises à bon marché. Le gouvernent fit venir l'acheteur de l'or et lui déclara qu'il lui fallait ces 800.000 livres : une fois en possession, on ne sut plus comment le faire passer en Portugal. Nathan s'en chargea et il dit plus tard, à sir Thomas Burton, le célèbre philanthrope anti-esclavagiste, que c'était la meilleure affaire qu'il eût jamais faite. Vers cette époque (1808-1810) Wellington, engagé dans la guerre d'Espagne, où il devait tout payer en espèces sonnantes, était obligé de se procurer des fonds en vendant des traites sur la Trésorerie, négociées à perte. Il existait alors un syndicat de changeurs, établis à Malte, en Espagne, en Sicile, qui exploitait la situation financière difficile. La partie la plus compliquée de l'exploitation pour Nathan Rothschild était le transfert des espèces en Espagne.
En 1812, après l'assassinat de Perceval, Vansittart devint chancelier de l'Echiquier et eut pour bras droit dans ses opérations financières avec le continent, un homme de premier ordre, le commissaire général Herris. L'Angleterre, déterminée à poursuivre vigoureusement la guerre contre Napoléon, se trouvait avoir des alliés : l'Autriche, la Russie et la Prusse, dont les finances étaient dans un état déplorable et auxquelles il fallait absolument venir en aide par des subsides.
De 1813 à 1815, l'Angleterre accorda 15 millions de subsides, dont 11 millions aux trois grandes puissances, tandis que le reste était partagé entre les petits Etats. Le prince d'Echingen reçut pour sa part 1.615 livres. Il fallait en outre pourvoir à la solde et aux dépenses des troupes anglaises qui, en 1815, coûtaient encore 1 million de livres par mois. Le transfert de ces sommes considérables se fit en 1813, par les envois d'argent en lingots ou en monnaie, ou par la négociation de traites sur Londres. Ces deux procédés avaient de graves inconvénients. On faisait bien des envois d'argent sur des navires de guerre, ce qui n'écartait pas le danger de prise ou de naufrage et il fallait payer jusqu'à 8 p. c. comme prime d'assurance. Le transport par terre n'était pas moins dangereux : il était en outre difficile de se procurer en Angleterre du numéraire en si grande quantité. Le change anglais subissait une forte dépréciation :
30 p. c. en 1813, c'était une grosse perte pour le Trésor anglais ou pour les Etats subventionnés, qui avaient en outre de la peine à écouler de fortes quantités d'effets sur Londres et cependant les besoins étaient urgents. En 1813, la Prusse avait à recevoir 630.000 livres de subsides, le conseiller de cour Bartholdy, envoyé de Berlin à Vienne, réussit à grand'peine à écouler 83.000 livres ; à Berlin on ne put vendre que 25.000 livres. Au milieu de ces difficultés Herris proposa au chancelier de l'Echiquier un nouveau plan pour assurer le service de la Trésorerie sur le continent. Ce plan avait été élaboré par Nathan Rothschild ; il fut envoyé en secret, avec des instructions, en Hollande et en Allemagne, pour acheter, partout où il en trouverait, même à Paris, de la monnaie française et la faire parvenir, par les voies les plus diverses, au quartier général de Wellington, qui put tout payer comptant, tandis que les alliés combattaient contre les plus terribles embarras d'argent. Rothschild manoeuvra si bien que la bourse ne s'aperçut pas de ces opérations et 700.000 livres sterling de traites sur la Hollande et Francfort purent être achetées, sans peser sur le change.
Un israélite converti, M. l'abbé Leman, nous apprend d'ailleurs que Nathan était l'intime ami de Wellington.
"Cette amitié, écrit-il dans son ouvrage sur Napoléon Ier et les Israélites, datait de la guerre d'Espagne. Le gouvernement britannique, fort embarrassé pour faire parvenir régulièrement au duc de Wellington les fonds qui lui étaient nécessaires, s'était adressé à la maison Rothschild... Cette mission d'intermédiaire valut à l'opulentre maison en huit annéezs, 1.200.000 livres sterling (30 millions) et créa des rapports étroits entre le duc de Wellington et Nathan Rothschild..."
En 1814 les opérations de Rothschild prirent encore une plus grande extension ; il acheta tout d'abord 200.000 livres sterling de traites sur Paris, nécessaires pour payer les frais de voyage de Louis XVIII rentrant dans sa capitale ; on négocia ensuite avec les Etats du continent pour les convaincre de l'intérêt qu'il y aurait à leur remettre des effets payables sur le continent en cessant de tirer sur Londres ; le gouvernement anglais se chargeait d'assurer le mode de paiement ; toutes les opérations devaient être centralisées à Paris et l'intermédiaire, dont le nom ne fut pas nommé, était Rothschild. Herris fut envoyé à Paris, où la livre sterling ne valait que 17 fr. 50 ; il paya d'abord 100.000 livres en or apportées avec lui de Londres ainsi que 137.000 livres en traites sur Francfort et Berlin que Rothschild avait achetées et de la même façon, des sommes considérables à la France, l'Autriche, aux troupes anglaises. Grâce à cette nouvelle méthode le change sur Londres remonta rapidement à 21 francs. L'intervention de Rothschild demeura secrète. Le Trésor anglais réalisa une économie de 120.000 livres. Le nom de Rothschild ne fut connu de la foule que pendant les Cent Jours. Durant cette période, au moment des embarras financiers de la Prusse, Herris fit verser 200.000 livres à Berlin et ce fut la première fois qu'on y entra en contact avec Rothschild. Salomon de Rothschild fut chargé d'y apporter l'or ; il fournit encore 150.000 livres, mais à des conditions si défavorables que le gouvernement anglais dut se décider à rembourser la perte subie par la Prusse dans l'opération. Herris, dans deux rapports en 1816 et en 1822, a rendu compte de la façon dont le paiement des subsides a eu lieu et il y révèle que, depuis 1814, 18 millions de livres sterling furent payées sur le continent par l'intermédiaire d'un seul agent. L'économie réalisée a dépassé 500.000 livres. Herris déclare hautement que c'est uniquement à l'intervention de Rothschild et de ses frères sur le continent que le succès a été dû.
Après la mort de leur père en 1812, les cinq fils avaient continué les affaires en s'établissant dans les différentes grandes villes, ce qui avait facilité considérablement le transfert de l'argent anglais. Anselme, l'aîné, demeura à Francfort ; le second, Salomon, rédisa d'abord à Berlin, puis définitivement à Vienne ; Nathan était à Londres ; le quatrième, Charles, s'établit à Naples. James, âgé de vingt ans, se rendit à Paris où il fonda en 1817 la maison de Rothschild frères.
M. Ehrenberg nous montre après 1815 les Rothschild essayant d'entrer en concurrence avec les grands banquiers Baring de Londres qui avaient acheté en 1814 l'ancienne maison Hope et Cie d'Amsterdam. On sait comment, en 1817, Baring et Hope contractèrent pour la France un emprunt de 350 millions, moyennant un taux de 2 1/2 p. c.
Mais ne poursuivons pas au-delàs cette étude de M. Ehrenberg qui nous entraînerait trop loin et revenons exclusivement à notre Nathan de Londres.
"Si l'argent va devant, tous les chemins s'ouvrent", - Nathan Rothschild fit sienne cette parole d'un des plus cyniques personnages du grand Will, et s'efforça d'en démontrer toute l'amorale justesse.
En quelques années, à Manchester, grâce à ses offices cumulés de Mont-de-piété, d'agent de change et de courtier dans le commerce des cotons, il réalisa environ 200.000 livres sterling, soit 5 millions de francs qu'il apportait comme entrée de jeu pour ses opérations sur le marché de Londres.
Peu après, il doublait ce premier capital en épousant la fille de Lévi Barnett Cohen, et, à la mort de son père, - survenue en 1812, à Francfort, dans cette même Judengasse où il avait grandi, - il s'associa avec cinq de ses frères et fonda à Londres cette maison puissante qui joua un rôle pneumatique considérable dans la plupart des importantes opérations financières du temps.
Nathan Rothschild s'était assuré le concours de tous ses riches coreligionnaires, négociants, banquiers, boursiers qui, depuis la fin du XVIIIe siècle, avaient songé à s'établir dans la pluplart des possessions anglaises, et principalement aux Indes occidentales, aux Iles-sous-le-Vent, à Bahama et à la Jamaïque. Ces juifs étaient presque tous des réfugiés des possessions espagnoles d'où les persécutions et les révoltes antisémites les avaient expulsés. Avec leur appoint et grâce aussi aux Youddis levantins et italiens, Rothschild de Londres pouvait aspirer à cette royauté de l'or qu'il voulait étendre sur l'univers dans un rêve immodéré d'impérialisme financier, qui ne se distingua pas énormément de celui que personnifia longtemps avant la guerre du Transvaal ce glabre chambardeur de l'Afrique australe qui a nom Chamberlain.
"Le prix de la monnaie est le pouls d'un Etat", écrivait Voltaire. - Rothschild de Londres s'entendit merveilleusement à percevoir, à nomber (sic) exactement les pulsations du crédit des royaumes et à opérer la transfusion de l'or dans les Etats délabrés. L'histoire des sommes considérables qu'il avança en 1813 au gouvernement anglais, et celle de ses prêts à divers autres pays, seraient intéressantes à conter. Il acheta à vil prix les bills ou bons de guerre de Wellington (guerre d'Espagne), que le gouvernement ne pouvait pas solder, et, après le succès de la campagne, les réalisa à gros bénéfice. Cette opération attira sur lui l'attention du gouvernement, qui l'employa comme intermédiaire dans ses emprunts en Europe, aidé en cela par son frère de Francfort. Il devint l'argentier des nations dans la détresse, l'habile général, le ma tante intermédiaire à trouver. Ses commissions importantes favorisèrent outre mesure l'accroissement de sa fortune.
De plus, s'il n'inventa pas l'agiotage que le système de Law fit si durement connaître à la France, il fut en Angleterre, le grand-maître des coups de Bourse. Il sut concevoir supérieurement et employer, avec la subtilité nécessaire, les manoeuvres les moins inattendues dans le prix des effets publics et tourner à son profit les débâcles financières qui en résultaient. Il se révéla comme le grand écumeur du Stock Exchange et régna par la terreur sur tous les marchés économiques du monde. - Ce fut Rothschild de Londres qui créa le brigandage du capitalisme, légalement organisé avec la complicité des gouvernements, des ministres et de l'hypocrite civilisation pseudo-humanitaire qui, depuis soixante ans, dépouille les pays d'âge d'or heureusement sauvages que les hommes d'affaires s'efforcent d'initier aux raffinements d'injustice et de malhonnêteté des races déclarées supérieures.
L'organisation de l'office des renseignements de ce Rothschild était, au début du Premier Empire, extraordinairement comprise.
Jamais grand chef de routiers ou de contrebandiers n'imagina service plus ingénieux, avant l'heure des chemins de fer et des téléphones. - Il avait fait dresser à son usage particulier, nous l'avons déjà mentionné plus haut, d'innombrables pigeons voyageurs qui apportaient des nouvelles de tous les pays d'Europe et emportaient des ordres et avis pour les agents étrangers. Pour plus de sûreté, il entretenait à Douvres, Herne-Bay, Hastings et Folkestone, une véritable flottille de bateaux de pêcheurs qui croisaient dans la Manche pour lui faire tenir avant même que les gouvernements en fussent avisés, les nouvelles d’événements les plus récents sur le continent. Lui-même payait de sa personne et partait fréquemment à l'improviste, et incognito, pour venir observer en France ou en Allemagne ce qui s'y disait, s'y tramait ou s'y passait. C'est ainsi que le 18 juin 1815, Nathan Rothschild quittait Bruxelles, à la première heure, pour assister de loin aux péripéties de la bataille de Waterloo.
Dès qu'il fut assuré de la terrible défaite qui mettait fin à l’Épopée napoléonienne, il partait pour Ostende à toutes brides, y frétait un voilier, traversait la Manche en dépit d'une effroyable tempête, débarquait dans le comté de Sussex, à Bexhill, s'y procurait, en plein nuit, une voiture de fermier qui, à prix d'or, le conduisait à Londres dans la matinée du 20 juin. - Pâle, nerveux, un peu ému comme un homme qui va jouer un coup décisif, il apparut tel qu'à son habitude au Stock-Exchange. Il avisa ses coreligionnaires de ce qu'il attendait d'eux, à l'aide de ces mouvements fortifs, avides, mystérieux, de ce langage secret des hommes de bourse, dont parla si judicieusement Balzac, et qui forment dans la Juiverie comme autant de signes d'une Franc-Maçonnerie des passions.
Le bruit d'une victoire écrasante de l'Empereur se répandit aussitôt ; les valeurs tombèrent vivement des mains des boursiers comme dans la déroute les fusils ou les sacs quittent les mains des soldats. Rothschild et ses acolytes n'eurent qu'à se baisser pour moissonner toutes ces défaillances. Le lendemain, quand fut proclamé le triomphe de Wellington à Londres, il revendait au plus haut prix tout ce papier déprécié la veille, réalisant pour sa part plus de 1 million de livres sterling, c'est à dire 25 à 28 millions de francs, peut-être bien davantage.
L'histoire de ce puissant Minotaure de la finance est connue ; les fleurs qu'on prodigua dans la biographie de premier Rothschild, baron autrichien, ont évidemment trop dissimulé les galeries honteuses, les oubliettes et chausse-trappes de cette vie aventureuse pleine de cadavres et de ruines. Il faudrait, comme aux Aventures de Cartouche, plusieurs tomes in-4° pour exposer tous les jolis méfaits et les iniquités de ce financier de grand chemin. La ruine de son collègue Goldsmith, ses tentatives contre la Banque Loyd, combien d'autres actes de scélératesse légalisée, à côté de traits de grandeur factice et de générosités d'apparat seraient utiles aux lecteurs youpinophobes pour leur apprendre à connaître les débuts véritables de l'omnipotence juive dans l'Angleterre contemporaine.
Ce qui est étrange, c'est que Rothschild, de Londres, ait pu jouer, au grand jour, un rôle si prodigieux à une époque où le juif était encore méconnu comme citoyen dans le royaume britannique. Cependant, il fut nommé consul en 1820 ; admis comme baron en 1822, mais, bien qu'il avait redoré la licorne anglaise, beaucoup de grands seigneurs se plaisaient à le traiter like a Jew, et l'on raconte que lord Melbourne s'offrait le doux plaisir de faire attendre des heures et des heures ce roi de la finance dans son antichambre, au milieu des petits quémandeurs sans importance.
Les services rendus par Rothschild furent sans doute de quelque poids dans la décision qui fut prise au milieu du siècle d'accorder l'émancipation à tous les israélites établis en Angleterre. Grâce à l'éloquence d'O'Connor, de lord Brougham et de Wellington, les catholiques jouissaient de leur entière liberté depuis 1820. Dès 1851, tous les juifs anglais avaient titre de citoyens. Ils étaient admis aux élections municipales et dans les corporations de la Cité avec l'engagement de ne jamais rien tenter contre l'Eglise anglicane. Leurs écoles, synagogues, asiles de charité et hôpitaux étaient reconnus par le gouvernement au même titre que les établissements similaires des autres cultes.
Leurs mariages dans les synagogues devenaient légaux. Ils pouvaient aspirer à être membres du Parlement, dans la seconde division, soit pour la chambre de commerce, soit pour celle des lords, pourvu que le candidat prêtât serment sur le Vieux Testament. On reconnut leurs droits à la direction des affaires publiques en tant que membres du cabinet, mais on leur refusa la possession de certaines charges, par exemple, celles de Grand lord de la Chancellerie, de lord Keeper ou de lord Commissioner, et aussi celles de lieutenant de comté ou de vice-roi des colonies.
Toutes ces concessions ne furent pas faites aux israélites sans une considérable opposition de la part des puritains religieux. Les catholiques, toutefois, favorisèrent l'émancipation juive de tous leurs efforts et la cause triompha grâce à l'appui de l'illustre lord John Russel, l'un des fils de l'opulent duc de Bedford, représentant du comté de Huntingdon et qui fut le plus intrépide défenseur de la liberté des cultes en Angleterre.
Les juifs étant émancipés avaient encore à vaincre des préjugés sociaux très rigides et invétérés dans toute l'aristocratie anglaise inscrite au Peerage, qui est le livre d'or de la noblesse d'outre-Manche. - Qui les patronnerait, ces Youtres libérés, dans ce monde si dédaigneux et si fermé à tout ce qui n'est pas introduced par un haut et puissant seigneur ? - Qui ouvrirait les portes des salons du Highlife à ces élégants des ghetti, depuis si longtemps avides de prendre place dans les réceptions aristocratiques et les Drawing-Rooms de la Reine ? Ce fut lord Beaconsfield qui se présenta pour remplir cet office.
Benjamin Disraëli (1804-1881) Premier ministre de la Reine Victoria en 1868 |
Hébreu d'origine, petit-fils de négociants vénitiens, il descendait de ces familles juives que l'Inquisition avait chassées d'Espagne et qui s'étaient réfugiées dans la grande république des Doges, si hospitalière à tous les proscrits. Son père, Isaac Disraëli, littérateur des plus distingués, qui vécut une partie de sa vie dans le Buckinghamshire, sachant combien il lui avait été dur de se faire un nom en raison de sa religion réprouvée, voulut éviter à son Benjamin de pareils déboires. Il se convertit donc par simple calcul étant foncièrement libre penseur, disciple de J.-J. Rousseau et il fit baptiser et convertir son fils au protestantisme en 1817, treize ans après sa naissance, mais il avait été circoncis six jours après sa venue au monde.
Lord Beaconsfield n'oublia jamais, par la suite, ses anciens coreligionnaires, et leur tendit la main en toute occasion. - Physiquement et moralement, Benjamin Disraëli conserva toujours les caractères de sa race ; son imagination sensuelle et orientale se découvre dans toutes ses oeuvres qui indiquent plus de facilité et de dons d'assimilation que de génie. Arrivé au pouvoir, quand il fut ce populaire Dizzy que le Punch caricatura chaque semaine, il ouvrit les portes des salons les plus fermés aux Rothschild, aux Goldsmith, aux Jessel, aux Salomon, et prépara, en quelque sorte, l'avènement de la prépondérance juive contemporaine, tout comme on peut dire que le Juif de Malte de Marlow prépara la venue du puissant Shylock de Shakespeare.
M. Maurice Muret, dans une excellente étude sur lord Beaconsfield a saisi à merveille le caractère, les goûts dominants et la politique de cet homme d'Etat : "Ses historiographes, écrit-il, jusqu'aux plus favorables à sa cause, ont marqué nettement, le caractère étranger de Disraëli et son isolement dans la série des grands politiques anglais de notre temps : S'il avait hérité, observe Froude, d'un caractère anglais, il eût pu se vouer plus complètement aux grandes questions nationales. Il eût inscrit son nom pour toujours parmi les sommités anglaises. Mais il n'était Anglais que par adoption et ne s'identifia jamais complètement avec le pays qu'il gouverna. Il était juif et son grand orgueil était de gouverner, bien qu'il fût hébreu, une grande nation chrétienne. Sa carrière est le résultat de circonstances spéciales et d'un caractère spécial. Il est seul de son espèce dans l'histoire politique anglaise. Plus catégorique encore le langage de M. de Haye avec Disraëli, c'est l'idée juive qui arrivait au pouvoir et tant qu'il eut l'autorité la race persécutée et bannie a pu dire qu'elle menait l'Etat.
Lord Beaconsfield croit en tout et partout à la supériorité d'Israël. On connait ses théories par la pureté triomphante de cette race ethnique : "Sémitisme et religion, dit encore M. Maurice Muret, signifient pour lui la même chose. Le christianisme est la fleur du sémitisme. La religion juive est un tronc immense qui a jeté deux maîtresses branches : le mosaïsme et le christianisme." Cette théorie chez lord Beaconsfield s'explique par la situation particulière où il se trouvait d'être à la fois circoncis et converti au protestantisme. Son système a pour but de sanctionner la rencontre en sa personne de ces deux sacrements hétérogènes et successifs.
Dans un discours célèbre, tendant à l'admission des juifs au sein du Parlement britannique, il exposa un jour son orgueilleuse doctrine. Il osa réclamer cette importante réforme, non pas en vertu des principes de tolérance généralement professés aujourd'hui, mais bien en raison des services rendus à l'humanité par la race juive. L'homme d'Etat anglais commettait le même sophisme que le poète allemand Henri Heine. Il concluait à l'identité primitive du judaïsme et du christianisme : "Le christianisme, disait-il avec dédain, c'est le judaïsme à l'usage de la multitude, mais c'est encore le judaïsme", ou bien : "le christianisme est le judaïsme complété ou n'est rien". En d'autres termes : Le christianisme est un judaïsme approprié à l'infériorité des Gentils. Sans doute, il n'y a pas incompatibilité sur les points essentiels entre l'éthique juive et l'éthique chrétienne, en vertu de la stricte morale émanant de leur religion respective, agiraient de la même façon dans le plus grand nombre des cas. Mais on ne saurait prétendre que le Christ n'ait absolument rien changé à l'enseignement des prophètes. Sa doctrine aurait-elle soulevé de telles colères au sein du peuple juif si elle eût été en conformité parfaite avec l'esprit de cette nation ? C'est parce que sa parole d'humilité froissait l'orgueil juif, c'est parce que ses principes d'abnégation et de renoncement contrariaient les instincts matériels et jouisseurs d'Israël que ce peuple le persécuta avec tant de férocité."
On ne saurait découvrir chez lord Beaconsfield le fameux cosmopolitisme juif que l'on rencontre chez tant d'autres de ces coreligionnaires, mais on trouve en lui cet "étranger sans la moindre goutte de sang dans les veines" que dénonçait un jour Gladstone, son intransigeant adversaire. Disraëli s'efforçait de dissimuler cette tare étrangère qu'il sentait en soi et qu'il devinait pouvoir être un obstacle à son ambition effrenée. C'est ce qui le poussait à se montrer populaire et à s'attirer les suffrages des petites classes : "je sors du peuple, déclarait-il un jour à ses électeurs de Hugh Wycombe, mais si je n'ai dans les veines ni le sang d'un Plantagenet ni celui d'un Tudor, il n'en est que plus sûr que je désire mettre le bonheur du plus grand nombre au dessus de la satisfaction de quelques-uns." On reconnait là son esprit subtil et roublard.
Nul mieux que lui ne savait s'adapter aux circonstances et ne possédait aussi bien toutes les ficelles de l'arrivisme quand même. Il se déclara d'abord, à l'exemple de son père Isaac, un fervent adepte des idées des encyclopédistes et un admirateur des hommes et des principes de la Révolution française. Dans Fancred, dans Sibyl, dans Lothair, dans Coningsby, il est aisé de découvrir nettement l'influence de la littérature du XVIIIe siècle en France, mais on la sent peut-être davantage encore, cette influence, dans nombre de ses contes à la façon de Voltaire qu'il écrivait dans sa jeunesse.
S'appuyant sur le peuple, Disraëli sentit le besoin d'une solide assise dans cette société londonienne sans laquelle il est impossible de réussir. Il avait pour y assurer son succès son mérite littéraire, l'éclat de la notoriété que lui avait donné ses oeuvres successives, mais il voulait mieux. Il prétendit devenir le Swell, le Smart gentleman, et comme il n'avait rien en lui qui dénonçait le pur britisher, il eut quelque mérite à y parvenir. "Il habilla, dit M. Maurice Muret, ses idées radicales de vêtements somptueux et, ainsi parées, les introduisit dans la société de Londres où elles furent accueillies avec bienveillance."
Benjamin Disraëli pratiqua dans sa jeunesse un dandysme savant. Mais son dandysme était d'une nature bien spéciale. Vers cette même époque le sévère Brummel rédigeait le Code mondain de l'homme de goût. On en connaît les dispositions générales : "Eviter les couleurs éclatantes et surtout ce qui peut attirer l'attention, les objets neufs, les formes exagérées." Combien le dandysme violent du jeune Disraëli : hispano-italo-anglais, ressemblait peu à cette correction froide ! De son origine juive, du séjour de ses ancêtres en Orient d'abord, puis en Espagne et à Venise, il restait à Benjamin Disraëli l'amour des étoffes chatoyantes, de la verroterie et du clinquant.
La nature lui avait donné un charmant visage, de sorte qu'il supportait triomphalement ces oripeaux ridicules. Mais fallait-il que ses traits prévinssent en sa faveur pour qu'on lui fît bon accueil en dépit de son accoutrement grotesque ! Parfumé de tous les aromates de l'Arabie, la joue gauche à demi-voilée par des mêches folles de cheveux noirs, la veste de velours à frange de soie, ouverte sur un gilet éclatant, il allait brandissant sa canne à glands d'or et à pommeau d'argent ciselé. Des chaînes d'or s'entrecroisaient sur sa poitrine, cerclant son cou, reliant ses poches. Les passants, admiratifs ou goguenards, se retournaient, suivant des yeux Benjamin Disraëli, le jeune auteur fêté, le moqueur redouté, l'ambitieux dont on attendait beaucoup.
N'est-ce pas là le sincère portrait de l'israélite triomphant, de l'étranger qui se veut imposer par une apparence dont il ne peut sentir le côté caricatural et l'expression rastaqouère. Mais ce sémite à tendances orientales n'ignorait pas que tout est accepté à Londres, même le ridicule de la mise, pourvu qu'on parvienne à y imposer ce ridicule et à le faire consacrer par le temps. Il connaissait la psychologie du snobisme social anglais et toutes les faiblesses de cette fameuse société rigoriste qui ferme les yeux si profondément sur les défauts de ceux qu'elle adopte. Disraëli eut le tour de main, il se fit accepter malgré ses outrances de costumes qu'il tempéra par la suite.
Lorsque, consacré grand homme d'Etat, chargé d'honneurs et de célébrité mondiale, il présidait à la destinée de cette nation anglais qui n'était que sa patrie d'élection, son champ d'affaires et d'opérations vaniteuses, il n'avait plus conservé ces fameuses lettres de crédit qu'il devait à ses traits de jeune aventurier levantin. Son visage s'était régulièrement durci et trahissait avec dureté son origine sémitique. Tout en lui dénonçait l'hébreu typique du temps médiéval, le front, la coupe de la barbe, la coloration du faciès et surtout le nez, ce nez aux narines poilues qui lui donnait l'apparence d'un vieux rabbin d'Alsace épris de tabac à priser et qui porterait des roupies jaunâtres aux commissures de l'appareil olfactif.
Lord Beaconsfield eut de nombreux et excellents biographes. Peut-être ne l'a-t-on pas suffisamment étudié en tant que juif, aussi bien dans ses oeuvres de réelle valeur littéraire, que dans ses actes et discours politiques ? Son idéal politique était un idéal juif, basé sur le culte de l'opinion publique. Ne rêva-t-il de la suppression du Parlement, avec le plan d'un rouage unique entre le souverain et le peuple, et cette puissance intermédiaire s'était à son sentiment nettement inspiré des concessions juives modernes.
L'heure est prochaine où l'oeuvre de Disraëli pourra être consciencieusement exposée et jugée dans son ensemble et ses résultats. Il faut le recul nécessaire pour embrasser les conséquences d'une impulsion politique et voir où s'arrêta cette impulsion et les bienfaits sinon les ravages de son élan, et de son évolution à travers les ans. Les Israélites montrent déjà avec quelle rapidité et quelle prodigieuse souplesse ils ont profité de la partie ouverte pour gravir à tous les capitoles britanniques. Il n'y a qu'à regarder ce qu'ils ont fait de ce Pays que Shakespeare magnifia si superbement. Disraëli fut le Saint-Pierre qui leur ouvrit les barrières de ce Paradis de la grande île où ils n'ont que trop croissé et multiplié. "Jamais on ne sait comment on périra, écrivait Balzac ; le Pourquoi est la tâche de l'historien."
Disraëli aura son heure au tribunal de l'histoire."
Théo-Doedalus [Octave Uzanne]
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