lundi 29 juillet 2013

Georges Normandy offre un exemplaire de son livre Jean Lorrain intime (12 juin 1928) à Octave Uzanne : « A mon cher Maître & Ami Octave Uzanne Hommage d'admiration et souvenir très affectueux de son fidèlement dévoué Georges Normandy. »


Précieux envoi autographe de Georges Normandy à Octave Uzanne,
sur Jean Lorrain intime (juin 1928).

Georges Normandy faisait partie de la petite douzaine de personnes présentes lors de l'incinération d'Octave Uzanne au crématorium du Père Lachaise le 3 novembre 1931, c'était un mardi. Octave Uzanne était mort le 31 octobre, c'était un samedi. Il avait fêté ses 80 ans le 14 septembre.
Georges Normandy (1882-1946) fut donc de ses intimes de la dernière heure. Nous ne savons pas exactement quand les deux hommes se sont rencontrés pour la première fois. Leur point commun, au delà du monde des lettres, est un homme : Jean Lorrain (1855-1906). Leur amitié commune pour le décadent sensible qu'était l'auteur de la Forêt bleue et du Vice errant a sans doute provoqué un rapprochement d'estime réciproque. On peut donc penser que Georges Normandy et Octave Uzanne ont été en relation dès les premières années du siècle.
Alors que Georges Normandy s'attacha dès 1907 à cultiver la mémoire de Jean Lorrain disparu, Uzanne de son côté, rassemble en quelques traits et souvenirs, de quoi publier de manière confidentielle, un petit volume intitulé Jean Lorrain, L'artiste - L'ami, Souvenirs intimes. Lettres inédites. Cette petite plaquette de 65 pages sort des presses en mars 1913. Elle n'a été imprimée qu'à 80 exemplaires. Or, sur un exemplaire de ce livre offert par Uzanne au journaliste Ernest Leblanc, il écrit le 16 mai 1914 : « à Ernest Leblanc qui connut et apprécia Jean Lorrain, cette ébauche d'un portrait que je compte développer en grandeur nature. Amical souvenir. » Uzanne prévoyait donc de donner une étude bien plus approfondie et complète sur son ami Jean Lorrain. Changement de situation, imprévus peut-être liés à la santé très fragile d'Octave Uzanne pendant les 20 dernières années de sa vie. Quoi qu'il en soit le projet ne vit pas le jour. Uzanne ne donna jamais à l'impression un livre complet sur Jean Lorrain. Peut-être existe-t-il cependant quelque ébauche de manuscrit ou un manuscrit achevé ? Nous ne le savons pas faute de l'avoir découvert ou d'avoir pu en suivre la trace dans les archives.

Couverture du volume avec étiquette imprimée
contrecollée sur le premier plat.
Il faudra donc attendre Georges Normandy et son Jean Lorrain intime, copieux volume grand format publié chez Albin Michel et achevé d'imprimer le 12 juin 1928. Ce sont plus de 250 pages, des dizaines d'illustrations photographiques et plusieurs fac-similés de lettres de Jean Lorrain qui sont ainsi données à un public restreint. En effet, ce volume n'a été luxueusement imprimé qu'à 330 exemplaires numérotés sur beau papier.
Georges Normandy, qui avait publié une première biographie de Lorrain presque au lendemain de sa mort en 1907, développe ici les chapitres depuis son enfance, sa jeunesse, ses débuts, la célébrité acquise, la fin, etc. En résumé c'est un très beau livre, très complet et très agréable à livre et à feuilleter.
Cependant, Octave Uzanne n'est pas en reste dans ce livre où il est cité plusieurs fois comme témoin privilégié de l'ami commun Jean Lorrain. Octave Uzanne fut-il consulté pour la rédaction de ce volume ? C'est fort probable. Il apparaît difficilement concevable que Georges Normandy se soit privé de son précieux témoignage. Les documents manquent cependant pour expliquer cette collaboration probable.
La découverte récente de l'exemplaire de ce livre offert par Georges Normandy à Octave Uzanne nous a rempli d'émotions et prouve, s'il était besoin, la dette de l'élève envers le maître : « A mon cher Maître & Ami Octave Uzanne Hommage d'admiration et souvenir très affectueux de son fidèlement dévoué Georges Normandy. » écrit-il à l'encre violette sur le faux-titre.
Octave Uzanne a reçu ce volume des mains de l'auteur, en a pris soin, a délicatement ouvert le volume pages après pages avec son coupe-papier ; toutes sont coupées sans exception. On imagine l'émotion qu'il dût ressentir à la lecture de ces souvenirs resurgissements d'un passé vieux de trente ans ! Il se vit citer ici ou là, sans doute avec sa complicité, sachant par avance là où il allait se retrouver en compagnie de l'auteur de Monsieur de Phocas. Lu, le volume est resté tel quel, broché, et il est enfin parvenu jusqu'à nous par les moyens les plus improbables qui soient, presque comme toujours. Heureux destin que celui des livres qu'on n'oublie pas et qui se rappellent à nous !
Octave Uzanne refermant ce volume imposant n'a sans doute pu s'empêcher de penser à voix haute : « Ce livre, n'aurais-je pu (dû) l'écrire ? ... »

Jean Lorrain (1855-1906),
Photographié par Benque vers 1895,
Collection Félix Potin
Georges Normandy, de son vrai nom Georges Ségaut, survécut à Uzanne 15 années ; mais dès 1928 l'essentiel de son travail de mémoire envers Jean Lorrain était accompli. On accuse aujourd’hui volontiers Georges Normandy d'avoir enjolivé certains passages de la vie de son ami Jean Lorrain, d'avoir délibérément omis, déformé ou caché plusieurs éléments biographiques qui ont sensiblement déformé voire contrefait une biographie méthodique que plusieurs historiens modernes se sont évertués à rétablir ces dernières années.
Quoi qu'il en soit, sans Georges Normandy, sans Octave Uzanne, sans doute la mémoire de Jean Lorrain n'aurait-elle pas été honorée comme elle le devait, si rapidement après sa disparition, dès avant que l'oubli n'efface les choses trop délicates pour s’incruster naturellement.

Bertrand Hugonnard-Roche

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