Naïs Micoulin, par Émile Zola. Nantas. La Mort d’Olivier Bécaille. Madame Neigeon. Les coquillages de M. Chabre. Jacques Damour. Paris, G. Charpentier et Cie, 1883 (la page de titre porte la date de 1884 et la couverture la date de 1884). 1 vol. in-18.
Nul ne conteste le talent de M. Zola. C’est un maître, et il faut le reconnaître, bon gré mal gré. Cela ne veut pas dire que ses disciples, ou ceux qui se prétendent tels, vaillent toujours la peine que la critique prend à leur endroit. Il y en a de bons, de génie original, et qui ont le tort impardonnable de chercher l’ornière et d’y emboîter la roue de leur char — pardonnez-moi ce style ! — Il y en a d’autres qui sont mauvais et qui ne se tireront pas du plat ou du médiocre en invoquant le naturalisme dont Zola est le prophète, sinon le dieu. Mais ce qui nous intéresse ici, c’est M. Zola tel qu’il est et tel qu’il se manifeste par ses productions littéraires, sans tenir compte des grandes ambitions et des médiocres talents qui, comme ce petit poisson qui, disait-on jadis, sert de guide au requin, accompagnent obstinément le génie.
J’ai eu malheureusement à lire beaucoup de longs romans qui ne valaient pas la plus humble de ces nouvelles. Elles sont au nombre de six, comme on le peut voir par le titre. La première, Naïs Micoulin, est l’histoire tragique d’une jeune fille de métayer, qui devient amoureuse du fils de son maître, bellâtre débauché, et qui se livre à lui avec toute la sécurité sereine de l’instinct satisfait. Le père, vieux paysan têtu et borné, s’est aperçu de l’intrigue, et après avoir vainement tenté à plusieurs reprises de faire mourir d’accident le séducteur de sa fille, il est lui-même emporté dans un éboulement qu’a ménagé un bossu, misérable journalier qui adore Naïs, et qui, plutôt que de lui faire déplaisir, se sacrifie à son rival. Naïs est vite abandonnée de son amant et épouse le bossu, qui devient ainsi le maître dans la maison de celui qu’il a traîtreusement assassiné.
Nantas est un ambitieux qui, à bout de ressources et d’espérances, va se tuer, lorsqu’on vient lui offrir un marché qu’il accepte. Il s’agit d’épouser une jeune fille de grande maison qu’un homme marié, de son monde, a mise à mal. Devenu riche, Nantas fait un chemin rapide. Il est le premier financier de l’époque, et l’empereur le nomme ministre. Mais sa femme ne lui a jamais pardonné le service qu’il lui a rendu et le méprise inexorablement. Lui s’est mis à aimer cette femme avec frénésie, et, désespéré de ne pouvoir la fléchir, après une nuit passée à mettre en ordre les affaires de l’État, il revient à son point de départ, le suicide, et n’est arrêté que par l’entrée inopinée de Mme Nantas dont son intelligence et sa force ont enfin conquis l’amour.
Dans la Mort d’Olivier Bécaille nous assistons à l’enterrement d’un malheureux léthargique, à ses angoisses, et, quand il a repris l’usage de ses membres, à ses efforts effrénés pour sortir de la fosse où il est enfoui. Cette idée d’un faux mort qui revient a hanté l’esprit de l’auteur. Il l’a mise en œuvre à nouveau dans la dernière nouvelle du volume, Jacques Damour, où le héros, transporté à Nouméa après la Commune, passe pour être mort dans une tentative d’évasion, revient en France à l’amnistie, et trouve sa femme remariée avec un riche boucher. Sa fille est devenue, sans cesser d’être demoiselle, Mme de Souvigny et habite un hôtel, rue de Berlin. C’est auprès d’elle qu’il trouve un refuge, et il finit ses jours en paix, gardien d’une maison de campagne que sa fille s’est fait donner par quelque amant.
Mme Neigeon représente la coquette mondaine, d’une honnêteté problématique, initiant aux roueries parisiennes un grand jeune homme naïf, frais émoulu de sa province, dont elle tire parti et auquel elle n’accorde rien.
La note gaie, grasse et un peu gauloise est donnée dans la nouvelle intitulée les Coquillages de M. Chabre. M. Chabre est un vieux marchand de grains qui a une belle jeune femme, mais s’épuise en vains efforts pour avoir aussi des enfants. Le médecin, touché de compassion pour la jeune femme qui s’étiol[e], plus encore que pour l’inhabile mari, conseille la distraction des bains de mer à madame, et à monsieur un régime à base de coquillages. Le couple part pour une petite plage ignorée de l’Océan, et, à la fin de la saison, ils reviennent, M. Chabre tout phosphorescent de poissons et de mollusques, et Estelle portant en son sein un petit Chabre que le mari croit avoir procréé par la vertu de ses coquilles, sans songer à un beau jeune homme nommé Hector de Plougastel, en compagnie duquel sa femme se baignait là-bas.
Il serait oiseux de chercher ici à caractériser et à juger le style et le talent descriptifs de M. Zola. Il a mis dans ces nouvelles toute l’intensité, toute la force, tout le relief dont il dispose à un si haut degré. Il n’y porte aucun défi à rien, ni à personne. Il se contente du fonds commun de la langue ; sans excentricités cherchées et sans les procédés si visiblement voulus qui déparent quelques-unes de ses œuvres les plus osées et les plus puissantes. Mais ce fonds, il le travaille et l’exploite à la manière de nos grands écrivains. Avec cela, ces récits sont moins empoignants qu’on ne serait tenté de le croire, parce que, si je sens juste, ils manquent d’émotion.
B. H. G.
[Bernard-Henri Gausseron]
(*) Ce compte rendu signé des initiales B.-H.-G. (pour Bernard-Henri Gausseron, l'un des principaux collaborateurs d'Octave Uzanne pour la revue Le Livre) a été publié dans la revue Le Livre dirigée par Octave Uzanne (Première livraison, 10 janvier 1884, in Dernier coup d'œil sur les livres d'étrennes pour 1884 ).
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Résumé de l’article
L’article s’ouvre sur une reconnaissance franche du talent incontestable de Zola, qualifié de maître, même si l’auteur déplore les abus et les dérives des imitateurs du naturalisme. Le critique insiste sur la distinction nécessaire entre Zola lui-même, authentique et puissant, et les écrivains médiocres qui se réclament de son influence.
Le recueil contient six nouvelles :
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Naïs Micoulin : histoire tragique d’une paysanne séduite puis abandonnée, pendant que son père tente en vain de se débarrasser du séducteur. Elle finit par épouser un bossu pauvre mais amoureux, qui tue son rival.
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Nantas : portrait d’un ambitieux sauvé du suicide par une proposition de mariage intéressée. Devenu ministre, il conquiert enfin l’amour de sa femme après avoir échappé à un nouveau suicide.
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La Mort d’Olivier Bécaille : un homme enterré vivant sort miraculeusement de sa tombe. Cette obsession du faux mort revient dans Jacques Damour, un communard exilé à Nouméa que l’on croit mort, et qui retrouve sa fille dans une haute position sociale.
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Madame Neigeon : satire d’une coquette parisienne qui abuse d’un jeune provincial naïf.
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Les Coquillages de M. Chabre : farce grasse sur l’impuissance d’un vieux mari et l’adultère revigorant de sa jeune épouse.
Le critique relève l'intensité du style, sa maîtrise technique, et le refus de toute affectation ou excentricité dans l’écriture. Il loue Zola pour son exploitation magistrale d’un matériau commun, mais note que ces textes, malgré leur qualité, manquent d’émotion profonde et ne sont pas aussi « empoignants » qu’on pourrait l’espérer.
Analyse critique de l’article
Cet article constitue une lecture équilibrée et pénétrante de l’œuvre courte de Zola. L’auteur rend justice à la puissance du style zolien, à sa capacité à condenser des situations sociales complexes en quelques pages, sans recourir aux procédés outrés que l’on reproche parfois à ses romans plus ambitieux.
Cependant, le reproche principal est d’ordre affectif : ces nouvelles, bien qu’admirables de structure et de rythme, laissent le lecteur froid. Le critique regrette une certaine absence d’émotion, comme si Zola, absorbé par la mécanique sociale et les situations exemplaires, perdait le contact avec la fibre humaine la plus vibrante.
Le commentaire sur le naturalisme est aussi très révélateur de l’époque : Zola est vu comme le dieu ou le prophète d’une école littéraire qui produit autant de suiveurs médiocres que d’émules brillants. Il y a donc une critique implicite de l’effet d’entraînement du naturalisme sur la littérature française des années 1880.
Enfin, l’article se distingue par son ton mesuré, spirituel et parfois ironique, notamment dans la description de l’intrigue des Coquillages de M. Chabre, où l’humour gaulois est souligné avec une distance amusée.
Conclusion
Ce compte rendu est à la fois un hommage à la maîtrise formelle de Zola dans le genre bref et une critique lucide de ses limites émotionnelles. L’auteur y apparaît à la fois comme un immense écrivain et comme un créateur parfois trop cérébral, dont le réalisme manque de chaleur humaine. L’article donne envie de lire ces nouvelles, tout en préparant le lecteur à une expérience plus intellectuelle que bouleversante.
Publié le 24 juin 2025 par Bertrand Hugonnard-Roche
Pour www.octaveuzanne.com
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