samedi 21 juin 2025

Rimes de joie, par Théodore Hannon, avec une préface de J.-K. Huysmans, un frontispice et trois gravures à l’eau-forte de Félicien Rops. 1 vol. in-8° sur papier de Hollande. Bruxelles, Gay et Doucé, 1881. Compte rendu publié dans Le Livre (10 janvier 1882), signé H. M. (Octave Uzanne ?).


Rimes de joie, par Théodore Hannon, avec une préface de J.-K. Huysmans, un frontispice et trois gravures à l’eau-forte de Félicien Rops. 1 vol. in-8° sur papier de Hollande. Bruxelles, Gay et Doucé, 1881.

Le volume de M. Th. Hannon s’ouvre par une préface de M. Huysmans. Avant de parler de l’ouvrage lui-même, il ne sera peut-être pas sans intérêt de dire quelques mots de cette introduction.

L’auteur de la préface est, on le sait, un des plus fervents adeptes du naturalisme ; il est donc tout simple qu’il ait expliqué là ses goûts et ses idées sur la poésie. Aussi cette préface est-elle curieuse à tous les points de vue. C’est une profession de foi naturaliste. À vrai dire, il vaudrait mieux prêcher d’exemple comme l’a fait M. Guy de Maupassant en publiant son volume sous le titre de : Des Vers.

Après avoir dit son fait au romantisme, M. Huysmans tombe à bras raccourci sur les parnassiens. On ne voit pas bien la nécessité de cet éreintement ; le Parnasse, de l’aveu même de l’auteur, est mort et bien mort. À quoi bon s’acharner sur un cadavre ? — J’avouerai, d’ailleurs, que les coups portés par M. Huysmans me semblent tous tomber à faux. En médisant — je ne dis pas en calomniant — en médisant des romantiques, il en excepte Victor Hugo ; en médisant des parnassiens, il en excepte Coppée, Soulary et Sully-Prudhomme. Mais à ce compte-là, tout le monde est d’accord. En médisant des naturalistes, tout homme sensé doit en excepter M. Zola. Ce n’est pas le genre qui est mauvais, c’est l’école. Il est incompréhensible que nous en soyons encore là : qu’il nous faille un maître d’école. Il est incroyable qu’un homme intelligent se mette de bon gré à la remorque d’un autre homme, quelque supérieur qu’il soit. Cela est incroyable, mais cela est. Hier, c’était Victor Hugo qui tenait les rênes, aujourd’hui c’est M. Zola. Tous les deux sont des génies ; mais les génies ne rayonnent pas, ne se dédoublent pas. Tous les deux, malheureusement, ont une école : voilà l’église, voilà le dogme, hors de là, point de salut. La vérité vraie : c’est que le maître est tout et que les disciples ne sont rien. Il serait vraiment trop facile de tomber le romantisme en s’écriant : Les romantiques ne valent rien, voyez plutôt Amédée Pommier. Ce n’est pas jouer franchement. — M. Huysmans traite Th. de Banville de funambule désarticulé, d’acrobate souple ; outre que cela n’est pas nouveau, cela n’est pas vrai. M. Huysmans dédaigne Jean Richepin, ce qui prouve qu’il est difficile, et l’accuse d’imiter Villon et d’autres. Certainement, il serait préférable de n’imiter personne ; mais en tout cas il vaut mieux pour un poète imiter Villon que M. Zola. Il n’y a guère que Glatigny et Baudelaire qui trouvent grâce devant la plume sévère de M. Huysmans. Mais il glorifie Baudelaire d’avoir rendu le vide immense des amours simples. Non, là, vraiment, je n’y comprends plus rien. Je croyais que justement le principe du naturalisme était de rendre ce qui est naturel. L’a-t-on assez plaisanté, ce pauvre romantisme sur sa manie de ne s’occuper que des exceptions ? Et voilà que les naturalistes nous parlent du vide immense des amours simples. Ce sont donc les amours pas simples qui sont les amours naturelles ? On demande des éclaircissements.

En résumé, la préface de M. Huysmans nous paraît un non-sens au point de vue naturaliste.

Quant au volume de M. Th. Hannon, il n’est pas naturaliste du tout. Le vers y procède évidemment de Baudelaire et de Th. Gautier, comme il est dit dans la préface ; mais il garde une dose d’originalité très suffisante ; et nous conviendrons bien volontiers que ce volume est l’un des recueils de vers les plus intéressants qui aient paru depuis des années. La forme est bien dessinée ; le vers est ferme et plein. La rime, presque toujours inattendue, sonne dure et franche au bout du vers. Il y a là, très certainement, un tempérament. Le fond, l’idée m’enthousiasme moins que la forme. M. Hannon est un oseur ; il est à regretter seulement qu’il n’ait pas osé dans toutes ses pièces. Quelques-unes ne sont pas suffisamment claires. Mais il y en a de fort belles et de fort originales, telles que Maigreurs, Buveuses de phosphore, etc. — Revenons à la forme qui est la chose capitale en poésie.

M. Th. Hannon, dans ses Rimes de joie, use largement du néologisme. Rien de mieux quand le néologisme est justifié ; mais, malheureusement, il ne l’est pas toujours dans les vers dont nous nous occupons. L’auteur nous parle d’attirances, de seins introublés et... rondis, d’yeux d’une sombreur étrange, de machine tintamarraunt, de vent qui s’encolère, de girouette qui s’endiable, etc., etc. — Passe pour les attirances, les encolère, les sombreur et d’autres ; mais pour les rondis, je proteste.

En somme, le volume de M. Th. Hannon est à lire et à méditer. Il indique un effort sérieux et un tempérament poétique peu ordinaire. Il y a longtemps — depuis la Chanson des gueux peut-être — que nous n’avions vu un recueil de vers aussi plein de promesses.

Pourvu seulement que l’auteur n’aille pas s’inspirer des idées émises dans la préface par M. Huysmans, qui est un excellent romancier sans doute, mais qui paraît être un pitoyable conseiller, pour un poète !

Plusieurs eaux-fortes de Rops illustrent cet ouvrage. Nous nous réservons de parler un jour de cet étonnant illustrateur, Félicien Rops, dont le talent confine, presque au génie, tant il est personnel, satirique et empreint d’un sentiment d’art des plus élevés. C’est un maître à placer sur le même rang que Gavarni, et nous lui consacrerons une étude entière dans la première partie du Livre parmi les illustrateurs du siècle.

H. M.


(*) Ce compte rendu a été publié dans la revue Le Livre dirigée par Octave Uzanne (Troisième année, Première livraison, 10 janvier 1882, pp. 24. L'article est signé H. M. (peut-être Octave Uzanne lui-même, sans certitude, bien que le ton soit proche du sien et qu'il se pose en rédacteur en chef de la revue Le Livre).


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Nous avons soumis ce texte à l'intelligence artificielle (Chat GPT 4) afin d'en faire ressortir l'essentiel de manière claire et précise. Voici le résultat qui est fourni ici pour ce qu'il vaut.


Résumé :

L’article commence par évoquer la préface de J.-K. Huysmans, fervent naturaliste, qui y expose ses idées sur la poésie. L’auteur de la critique s’étonne de la virulence de Huysmans envers le romantisme et le Parnasse, et souligne l’incohérence de ses positions : il condamne des écoles entières tout en sauvant quelques exceptions (Victor Hugo, Coppée, Sully-Prudhomme, etc.), ce qui affaiblit sa thèse. Il déplore aussi l’esprit de chapelle du naturalisme et la tendance à ériger des dogmes littéraires autour de figures dominantes comme Zola.

La préface est jugée contradictoire, voire absurde, notamment lorsque Huysmans loue Baudelaire pour avoir su « rendre le vide immense des amours simples », formule qui semble contredire le réalisme naturaliste. Le critique conteste également les attaques contre Banville et Jean Richepin, et souligne que, s’il est difficile d’imiter Villon, il vaut mieux cela que d’imiter Zola.

Concernant le recueil de vers Rimes de joie, l’auteur salue la vigueur de la forme, la fermeté du vers, la surprise des rimes et l’originalité de certaines pièces. Hannon y est décrit comme un « oseur », même s’il n’ose pas toujours assez. Il use largement de néologismes — parfois heureux (attirances, sombreur), parfois contestables (rondis). Certaines pièces comme Maigreurs ou Buveuses de phosphore sont jugées brillantes.

Le critique considère enfin que Hannon fait preuve d’un tempérament poétique rare et qu’on n’avait pas vu, depuis la Chanson des gueux, un recueil aussi plein de promesses. Il met cependant en garde contre l’influence néfaste que pourrait exercer Huysmans, estimant que ce dernier, bien que romancier remarquable, est un très mauvais guide pour un poète. Il termine en annonçant une future étude sur Félicien Rops, illustrateur du livre, qu’il tient pour un maître.


Analyse critique :

Ce compte rendu est un exemple particulièrement révélateur de la complexité des tensions esthétiques dans les années 1880, où naturalisme, symbolisme, décadentisme et post-romantisme s’affrontent. Le critique, probablement hostile à l’orthodoxie naturaliste, y livre une attaque assez mordante contre Huysmans, qu’il accuse d’ériger des écoles là où il faudrait simplement juger les œuvres.

L’un des reproches majeurs est l’incohérence d’une posture de rejet global (contre les romantiques ou les parnassiens), aussitôt contredite par des exceptions. L’argument central est qu’aucun genre n’est mauvais en soi, mais que c’est l’esprit d’école et la vassalisation intellectuelle à une figure dominante (ici Zola) qui nuisent à la littérature.

La défense de Théodore Hannon repose surtout sur son originalité formelle, sa virtuosité rythmique, son audace lexicale, et une certaine audace de ton. Le critique préfère saluer un tempérament que condamner des imperfections passagères. Sa critique des néologismes témoigne d’un goût pour l’innovation maîtrisée : il accepte sombreur mais rejette rondis, estimant que la nouveauté ne doit pas être gratuite.

Enfin, la critique souligne l’importance du livre comme événement poétique dans la décennie, tout en émettant une mise en garde contre les influences doctrinaires, qui menaceraient la liberté créatrice du poète.


Publié le 21 juin 2025 par Bertrand Hugonnard-Roche

Pour www.octaveuzanne.com

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