dimanche 13 mai 2018

Nos Hôtels, par Octave Uzanne (Extrait du journal la Dépêche de Toulouse, 1er septembre 1903., Bulletin Pyrénéen n°41, pp. 360-362).


Photographie de carte postale ancienne
(détail de la façade du Grand Hôtel de Bourgogne, vers 1903)


NOS HÔTELS (*)
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      Alors que je me trouvais, il y a quelques années, sur un transatlantique cinglant vers New-York, quelques gentlemen américains que l'intimité du bord et les parties forcées de poker ou de bridge avaient assez vivement transformés en vieux camarades, osaient librement s'exprimer vis-à-vis de moi sur les charmes et les défauts qu'ils avaient ressentis ou découverts durant leur séjour chez nous. Leur opinion pouvait se résumer ainsi :

      « Votre pays est admirable de pittoresque, varié à l'infini au point de vue des sites, le climat tempéré, dont on y jouit en toute saison, le rend incomparable, et Shakespeare avait raison de nommer la France le Jardin merveilleux de l'Univers. Cependant, comment se promener avec tout le loisir voulu dans ce Jardin où les gîtes de repos sont si incorfortables ? Comment vivre chez vous avec les déplorables hôtels qui s'offrent aux voyageurs ? — Nous ne parlons point de la nourriture de vos tables d'hôte qui est le plus souvent excellente et d'un prix modéré. Mais quelles hôtelleries sont les vôtres ! vieilles, sombres, démodées, d'une propreté douteuse et d'un aménagement déplorable en tant que lumière, hygiène et véritable confort. Nulle part ailleurs en Europe, sauf peut-être en Espagne et dans certaines provinces d'Italie, on ne rencontrerait des hôtels, dits de premier ordre, offrant aux touristes avec une égale prétention, des chambres sans nom, étroites et imprégnées d'odeurs rances, affreusement tapissées et munies des plus antiques mobiliers. Cela frappe tous nos compatriotes et la réputation de vos « maisons d'hospitalité » comme disent les Espagnols, est, nous devons vous l'avouer, assez compromettante pour empêcher des milliers d'étrangers de visiter, comme ils le désireraient, votre contrée aussi belle à parcourir de l'est à l'ouest que du nord au midi. »

      Cette opinion de citoyens de la libre Amérique, j'ai pu mainte fois la contrôler en pays anglais, germanique ou Scandinave. D'ailleurs, à aucun moment, elle ne porta atteinte à ma vanité française, car depuis que je voyage sur notre territoire aussi bien que hors frontière, je n'ai pas eu à faire appel à une bien profonde clairvoyance pour établir des comparaisons équitables et pour juger de la lamentable infériorité de nos vieilles boîtes à voyageurs. Je sais, plus que je ne le voudrais, qu'on n'y couche pas toujours sans dégoût, car l'odorat, la vue et le toucher n'y sont que trop fréquemment lésés par les odeurs, les laideurs et les malpropretés les moins recommandables.

      J'ajouterai que cela est d'autant plus affligeant que dans nombre de « grands hôtels » de province, où des étrangers auraient scrupule de faire coucher leurs domestiques, les tenanciers ont une arrogance satisfaite, se donnent une importance excessive et comique, comme s'ils vous accordaient une faveur en daignant vous accueillir dans leur bouge qu'ils déclarent et estiment le plus réputé de la ville, le plus entièrement remis à neuf et le plus à la hauteur des progrès modernes.

      Il faut pourtant en rabattre. Sur mille hôtels français, parmi les premiers, aussi bien de Paris que de province, beaucoup plus des trois quarts mériteraient, au nom de l'hygiène seule, d'être discrédités et mis à l'index, en dépit de leurs outrecuidantes prétentions. On aurait vite fait de compter les très rares maisons françaises bien tenues, sérieusement bâties en vue de l'hospitalisation, pourvues de commodités dignes de ce nom, de salles de bains à chaque étage, de cabinets de toilette à eau chaude et froide, d'électricité intelligemment disposée et d'un mobilier aussi sain qu'élégant et neuf, disposé dans des chambres propres, bien vernissées, lavées et désinfectées après le départ de chaque nouvel occupant. J'avoue n'en avoir guère rencontré plus de quinze ou vingt, au très grand maximum, au cours de nombreuses excursions dans le Dauphiné, les Vosges, la Bourgogne, la Provence, le Languedoc et les Flandres. Pour le reste, il faut évoquer le chapitre des désillusions, des mésaventures, des douleurs et des écœurements qui attendent trop souvent chez nous l'excursionniste aux stations de ses vagabondages vers l'inconnu.

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      A cette époque des vacances, il est urgent de parler de ces choses et de s'efforcer de provoquer quelque peu l'opinion à la révolte contre l'optimisme satisfait, la morgue caricaturale, l'incurie et le laisser-aller des hôteliers français. Il est assuré que la grande majorité de nos compatriotes se contenteraient encore longtemps à la rigueur de cet état actuel, étant donné que ceux-ci voyagent peu, qu'ils n'apportent pas, à vrai dire, de grandes exigences pour la chambre où ils doivent passer une nuit ou deux, que la question des salles de bain ne les passionne point, ayant contracté l'habitude d'aller prendre leurs immersions de propreté dans les établissements spéciaux de la ville. Nos voyageurs tiennent principalement à la nourriture ; ils supportent assez bénévolement d'être mal logés dans des cabinets peu aérés, d'une propreté aléatoire, d'une décoration vieillotte prenant jour sur des cours souvent empuantées par l'odeur d'invraisemblables water-closets ou par des relents d'écurie. Cependant, ils ne pourraient être que très agréablement surpris d'une radicale modification de nos hôtelleries qui, leur donnant plus de confortable et de plaisance dans leur logement de passage, les inciterait davantage à voyager.

      Il faut penser surtout au tort que causent au mouvement d'affaires en général la routine aveugle des maîtres-hôteliers. Si nous possédions des grands hôtels dignes de ceux qui sont à l'étranger en si grand nombre et qui font, par exemple, l'agrément des résidences en Suisse, les étrangers afflueraient chez nous, apportant avec eux l'argent si nécessaire à l'accélération du trafic général. C'est à ce point de vue qu'il faut envisager l'urgence d'une réforme complète de nos auberges, maisons garnies et caravansérails hospitaliers. Je n'ignore pas qu'un syndicat d'hôteliers s'occupe actuellement d'organiser avec méthode leur industrie et que tous ceux qui ont intérêt au développement du tourisme sont arrivés à faire comprendre à ces négociants retardataires et trop souvent bornés, quel énorme avantage il pouvait y avoir pour eux à modifier du tout au tout leur attitude et l'état de leurs maisons vis-à-vis d'un public qui les néglige avec raison et pour cause.

      Le Touring-Club de France, ainsi que l'A. C. F. et les agences de voyages économiques ont déjà beaucoup fait pour améliorer et réformer nos hôtelleries. Ce ne sont jusqu'ici toutefois que d'infimes réparations qui ont été obtenues, d'insignifiants « ressemelages ». Les corps de logis demeurent toujours aussi médiocres et c'est à qui n'entreprendra pas les gros ouvrages de chambardement complet et de restauration réelle sur un plan nouveau.

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      Il y a urgence, il faut y insister, à se mettre à la besogne, car l'évolution de la nouvelle locomotion se fait à la vitesse de 100 kilomètres à l'heure, les chemins de fer se trouvent entraînés à doubler leurs express et rapides, le goût du voyage et du déplacement gagne toutes les classes sociales. Encore quelques années et l'on ira demander aux hôtels qui se feront accueillants, méticuleusement propres, relativement bon marché pour le confort qu'ils offriront, plusieurs fois annuellement, sinon davantage, des distractions à la vie du chez soi. Si la France qui a tant de variétés de climats, tant de sites ravissants, qui offre tant de vestiges historiques, qui présente tant de vallées à parcourir, tant de villes illustres à visiter, ne se prend pas d'un beau zèle qui consisterait à prétendre, non sans sagesse, vouloir rivaliser avec la Suisse, tant pis pour elle ! Les touristes continueront à la traverser sans arrêt pour filer vers l'Engadine, vers le Valais, vers les rives du Léman, qu'enrichissent été comme hiver d'innombrables colonies anglo-saxonnes.

      Nos auberges, à l'heure actuelle, sont en quelque sorte préférables à nos hôtels des villes dont la négligence est de plus en plus pitoyable. Déjà la Compagnie des Wagons-Lits a su installer dans certaines grandes cités des Terminus bien aménagés qui arrêtent les voyageurs au passage. Les traiteurs, maîtres- d'hôtel et tenanciers de vieilles baraques humides et noircies, fondées il y a des siècles, dans le centre de la ville, se plaignent amèrement de la concurrence et gémissent sur la misère des temps. La faute en est à qui, sinon à eux-mêmes qui ne nous offrent qu'e des chambres immuables depuis le premier Empire, la Restauration ou la dynastie de Louis-Philippe, des salles de repas tristes, froides et laides à donner l'indigestion, des cabinets de nécessité qui tourneraient le cœur à des employés de vidange ? Et pour tant d'horreurs cependant, ces têtus routiniers écorchent ceux qui sont entrés dans leur musée des antiques en leur présentant les notes les plus salées et les moins équitables.

      Il est à croire que des Compagnies immobilières se formeront un jour prochain pour créer dans les principales villes de France de vastes caravansérails bien modernes, semblables à celui que je voyais inaugurer dans le département de l'Isère il y a environ un an. Ce jour tant désiré, les hôtelleries du temps de Lafitte et Caillard pourront fermer leurs portes, personne ne s'y aventurera plus. Il y aura un soulagement général dans le public et nul ne songera à plaindre les vaincus. Ces veules industriels peuvent encore éviter la destinée qui les menace : qu'ils aillent voir un peu ce qui se fait ailleurs et que, honteux et confus, ils reviennent vite chez eux se mettre à la hauteur des pays capables de recevoir comme il convient les hôtes qui les enrichissent.

OCTAVE UZANNE. (Extrait du journal la Dépêche, de Toulouse, 1er septembre 1903.)

(*) Bulletin Pyrénéen n°41, septembre-octobre 1903, pp. 360-362

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