lundi 10 juillet 2017

The Ballad of Reading Gaol : la Ballade de la prison de Reading, par Oscar Wilde, critique par Octave Uzanne (6 avril 1898).

Frontispice par Eric Forbes Robertson
pour les Visions de Notre Heure
Paris, H. Floury, 1899

Octave Uzanne évoque Oscar Wilde dans ses Instantanés d'Angleterre publiés en 1914 : "[...] Oscar Wilde qui alors âgé de trente-cinq ans (vers 1892) était un vrai dandy, gras, rose, maniéré, dans l’apothéose éclatante de ses succès mondains dont les lendemains, hélas ! devaient être si amers et pitoyables. [...]." Octave Uzanne aurait alors fait la connaissance de l'auteur du Portrait de Dorian Gray. Voici un article qu'il publie dans l’Écho de Paris en avril 1898. Octave Uzanne nous livre ici en demi-teinte ses impressions sur le poète anglais qu'il décrit comme doué d'une supersensibilité anormale. Octave Uzanne ne dénonce ni ne condamne l'homosexualité du poète. Il se contente de constater la qualité de son œuvre littéraire.

Bertrand Hugonnard-Roche

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      6 avril 1898 - The Ballad of Reading Gaol : la Ballade de la prison de Reading, par C. 3. 3. - Ainsi se frontispice un livre qui vient de paraître à la fois en Angleterre et en Amérique et qui, primitivement imprimé à 800 exemplaires, a vu monter son tirage au delà de six mille. - O vertueuse et curieuse Albion !
      C. 3. 3. fut le chiffre matricule à la prison de Reading du poète, romancier et auteur dramatique Oscar Wilde, mis à l'ombre durant deux années en raison de ses goûts-non conformistes, et il est juste de dire que l'originalité de ce pseudonyme est un trait d'humour auquel ne résistèrent pas ses compatriotes ; - on lit, on s'arrache en ce moment dans le monde littéraire la Ballade de Reading gaol.
      Cette plaquette de 31 pages est dédiée à la mémoire de C. T. W., anciennement soldat du régiment royal des horse guards, qui mourut à la prison de Reading, en Bertshire, le 7 juillet 1896. C'est un poème d'environ sept cents vers, groupés par stances de six, et qui conte les angoisses, les mortelles affres, les nuits de terreur et d'émotion que ressentit le détenu Oscar Wilde durant la captivité, voisine de la sienne, d'un jeune soldat condamné à mort pour avoir tué sa maîtresse.
      A la suite d'une sorte d'avatar ou d'hallucination que les rigueurs de l'internement suffisent à expliquer par l'état de supersensibilité anormale d'Oscar Wilde, le poète qui avait vu, connu peut-être, le cavalier meurtrier de son amie, s'était pris de pitié pour ce jeune homme destiné au supplice de la potence en sa cellule même. Chaque jour, à chaque heure, à mesure qu'approche le dénouement terrible, le condamné au hard labour note les frayeurs, les dysphories du soldat à la veille d'être exécuté ; il croit sentir toutes les tortures, les remords, les émois, les anxiétés, les suées, les effroyables transes du malheureux qu'il peut apercevoir chaque jour au cours de sa régulière et pénible promenade dans le préau de la prison.
      En des stances au rythme noble, berceur et pitoyable, il nous dit l'expression de l'homme vers qui convergent aussitôt nos sympathies et notre commisération ; il nous montre ses yeux étrangement bleus, sa mélancolique résignation, et comment lui est venue, à lui poète, cette prise de possession morale par un autre être dont il partage ou plutôt exagère toutes les souffrances et toutes les émotions.
      Ce poème révèle un admirable pathétisme de supérieure humanité chez son auteur, une sensibilité exquise, affinée, dont l'expression nous gagne et nous méliore ; l'intellectuel, le paradoxal Oscar Wilde, l'homme des recherches de mots précieux, des originalités voulues et qui nous énervait à force de tarabiscoter sa pensée et de nous donner le change sur ses réelles émotions ; Wilde qui se mit en scène dans un rôle de Desgenais superbe en son roman de Dorian Gray et que la société anglaise considéra comme le cœur le plus sec sous le cerveau le plus souple et le plus brillant, rachète amplement dans ce tendre poème de pitié toutes ces préventions. Loin du sommet de gloire qui lui donna le vertige, en sa cellule de Reading, il aura senti dans l'ombre et le recueillement, - en même temps que le rire cessait de creuser son masque gras, - renaître en soi la source des larmes et des douleurs fécondes ; c'est pourquoi, si ce petit poème ne doit pas être considéré comme son œuvre la plus sereinement esthétique et la plus haute, on peut être assuré que ce sera la plus humaine, celle qui vivra non pas par un genre d'esprit qui se démonétise ou par une symbolique d'art dont la mode peut passer, mais par l'émotion sincère, indestructible, qui aura toujours son écho dans le cœur des hommes qui ont vécu, souffert et aimé ... chacun selon ses instincts.

La Cagoule alias Octave Uzanne (*)

(*) article publié initialement dans l’Écho de Paris du 6 avril 1898 puis réédité par Octave Uzanne dans le volume Visions de Notre Heure achevé d'imprimer le 8 mars 1899.

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