dimanche 14 juin 2015

Lettre de Eugène Grasset à Octave Uzanne (25 juillet 1890). A propos d'un rendez-vous avec leur vitrailleur (Félix Gaudin).

Portrait de Eugène Grasset par lui-même
paru dans l'Art et l'Idée d'Octave Uzanne (1892)
Octave Uzanne écrit en 1892 dans sa revue l'Art et l'Idée (*) : "Grasset n'est pas de ceux qui ont fait retentir avec toute la puissance et tout l'éclat de leur aimable médiocrité le pavillon des cuivres engorgés de la Renommée ; la Déesse aux cent bouches polluées par toutes les irrumations littéraires et artistiques n'est s'est pas plus souciée de sa gloire, que lui ne s'est préoccupé des complaisantes fanfares et sonneries de cette vieille buccinatrice. - Eugène Grasset est un dévot d'art qui, jusqu'ici, a vécu fier, mystérieux et béatifié, sous la cagoule de son idéal et qui a nourri plus rêves élevés que de basses ambitions honorifiques courantes."

"Depuis plusieurs années, écrit encore Octave Uzanne, ce grand artiste réfléchi, observateur et philosophe, insensible à la flatterie, vit très retiré dans son atelier du boulevard Arago ; c'est là, au milieu d'une foule de belles oeuvres ébauchées, que je l'ai, il y a longtemps déjà, connu, estimé et affectionné de profonde amitié. Sa vie est solitaire, car seule la solitude permet un travail véritable lentement mûri, médité et procréé dans le silence, ce maître accoucheur des cerveaux en gésine."

Octave Uzanne écrit :

"Ses cartons de vitraux sont en nombre déjà fort remarquable [...] Ses vitraux, par exemple, dont plus de cinquante ont été exécutés sous sa direction avec des choix de verres irrisés et frissonnants, d'importation américaine, portent tous l'empreinte de son style respectueux du passé, mais exclusivement préoccupé de modernisme ; il est difficile d'imaginer plus belles verrières que celles qu'il a fait dresser, et c'est à hurler de douleur quand on pense que nos plus merveilleuses cathédrales françaises sont déshonorées par des vitraux d'un dessin honteux et d'une coloration qui donne le mal de mer, alors qu'un si excellent artiste est là qui permettrait de ne plus profaner les fenêtres ogivales par d'aussi carnavalesques chromos de pacotille."

On peut supposer à la lecture du billet ci-dessous qu'Octave Uzanne a fait appel aux services d'Eugène Grasset et du maître verrier Félix Gaudin pour quelque travail de décoration dans son appartement du Quai Voltaire.


Bertrand Hugonnard-Roche



* * *


Lettre de Eugène Grasset (*) à Octave Uzanne

65 Bd Arago Paris 25 juill[et] [18]90.

Mon cher Uzanne,

C'est entendu, je vous attendrai jeudi à 5h. et je préviendrai notre vitrailleur (**)
pour qu'il se trouve là, mais ne venez pas trop tard de façon à ce que nous
puissions le voir avant 6h.

A vous
Sincèrement


E. Grasset

(*) L'Art et l'Idée, Les Artistes originaux : Eugène Grasset, illustrateur, Architecte et Décorateur. Paris, A. Quantin, 1892, pp. 193-220. Lire également dans Quatorze sensations d'art signées Octave Uzanne, L'Exposition récapitulative d'Eugène Grasset aux artistes décorateurs, textes rassemblés par Bertrand Hugonnard-Roche. Alise-Sainte-Reine, 2014. pp. 43-52 (publié pour la première fois dans la revue Art et Décoration, juillet-décembre 1906, pp. 173-186).

(**) Eugène Grasset, né à Lausanne le 25 mai 1845 et mort le 23 octobre 1917 à Sceaux, est un graveur, affichiste et décorateur et architecte français d'origine suisse, représentatif de l'Art nouveau. Né d'un père décorateur et sculpteur, Eugène Grasset étudie le dessin avec François Bocion, puis l'architecture au Polytechnicum de Zurich à partir de 1861. À la fin de ses études, en 1866, il visite l'Égypte, dont on retrouve l'inspiration dans ses œuvres ultérieures. Il est aussi un admirateur de l'art du Japon, qui influence nombre de ses œuvres à partir de 1871. En 1869 et 1870, il travaille comme peintre et sculpteur à la décoration du théâtre de Lausanne, puis s'installe à Paris en 1871 et fournit des modèles pour des fabriques de fournitures, de tapisseries, de céramiques et de joaillerie, où il acquiert vite une bonne réputation. Il découvre les travaux de Viollet-le-Duc qui exerce sur lui une grande influence. En 1880, il dessine le mobilier de Charles Gillot, conservé au musée des arts décoratifs de Paris, que l'ébéniste Fulgraff réalise sous la surveillance de Grasset. Il s'agit d'un buffet pour la salle à manger, en chêne et en noyer sculptés, orné d'animaux fantastiques et de personnages de l'art populaire, d'un lit (aujourd'hui disparu) ainsi qu'une cheminée monumentale. En 1905, il réalise, pour Madame Marcelle Seure, la fille de Charles Gillot, une salle à manger en noyer (une grande table, un buffet, six chaises, une desserte et deux consoles d'applique. À partir de 1877, il réalise des illustrations pour des ouvrages comme : Les Fêtes Chrétiennes - 1880 (pour l'Abbé Drioux), Les Quatre Fils Aymon - 1883, Le Petit Nab - 1883, La Plante et ses applications ornementales - 1896, Nouveau Larousse illustré - 1897, Le Procurateur de Judée - 1902 (éd. Édouard Pelletan), L'Almanach du Bibliophile pour l’année 1901 (Édouard Pelletan), Méthode de composition ornementale - 1905, (Librairie Centrale des Beaux-Arts), Larousse pour tous - 1910. Il crée aussi des tissus (La Marseillaise), des papiers peints, des mosaïques, des vitraux religieux et profanes, des lithographies et des affiches. Il dessine également des cartes postales et des timbres pour les Administrations française et suisse. Pour sa réouverture, Grasset dessine l'enseigne du nouveau cabaret du Chat Noir, la silhouette d'un chat sur un soleil d'or se prélassant entre deux colossales lanternes de fer forgé, tandis qu'à l’intérieur il dessine la cheminée et des lustres. Il dessine des cartons pour des vitraux : l'Église Saint-Étienne de Briare, La vie de Saint Joseph dans l'Église de la Sainte Madeleine à Troyes en 1894, Le Saint Hubert à Lyon Saint Michel - Jeanne d'Arc - La Musique - Le Printemps - L'Automne à Châlons Cathédrale d'Orléans (non réalisés). Pour la réalisation de ces vitraux, il collabore avec son ami Félix Gaudin à partir de 1887 et jusqu'à sa mort. Par ailleurs, Félix va organiser en mars 1918 en quatre ventes à l'Hôtel Drouot, la dispersion du fonds d'atelier Grasset. Parmi les toiles exécutées : Au Jardin, Pauvre quartier, La Seine à l'Institut. En 1890, il crée le logotype de la Semeuse soufflant une fleur de pissenlit pour le dictionnaire Larousse, qui figure sur la plupart des ouvrages des éditions Larousse de 1890 à 1952 environ et reparaîtra dans les années 1970. En 1894, il crée la mosaïque La Mosaïste en émaux de Briare, conservée au musée de la mosaïque et des émaux de Briare. Par ailleurs, la quasi-totalité des sols de l'Église Saint-Étienne de Briare sont des mosaïques réalisées sur des cartons de Grasset en 1895, de nombreuses mosaïques ornent les différentes façades extérieures de l'édifice, mosaïques fournies par Jean-Félix Bapterosses et exécutées par les ouvriers de la Manufacture de Briare. Devenu mondialement célèbre, il est contacté par plusieurs publications américaines. En 1892, il fait la couverture du numéro de Noël du Harper's Magazine et en 1894, il crée la publicité The Wooly Horse pour The Century Magazine. Il est l'un des initiateurs de l'Art nouveau aux États-Unis. En 1898, pour la Fonderie G. Peignot et Fils, il crée le caractère d'imprimerie Grasset, qui est présenté lors de l'Exposition universelle de 1900 à Paris et utilisé sur ses affiches et posters. Il obtient la nationalité française en 1891, est nommé chevalier en 1895, puis officier de la Légion d'honneur en 1911. Il est membre et/ou collaborateur de plusieurs revues : Art & Décoration, L'Estampe et L'Affiche, Les maîtres de l'affiche, Ver Sacrum (un parmi les 49 membres d'en dehors d'Autriche) Il est cofondateur avec Hector Guimard de la Société des artistes décorateurs. Avec René Lalique, il cofonde la Société de l'art décoratif français. Avec Henri Cazalis, (Jean Caselli / Jean Lahor) , René Lalique, Émile Gallé, Alphonse Mucha et Victor Horta, il cofonde la Société internationale de l'art populaire. Membre de la Société nationale des beaux-arts, il est élu membre permanent du jury de l'Union centrale des arts décoratifs. Son début en tant qu'enseignant fut à l’École de la rue Thévenot (Syndicat des ouvriers bijoutiers) entre 1875 et 1877 avec un cours de principes généraux de décoration, suivi des cours éparses dans l'atelier de vitraux de son ami, Félix Gaudin. Il reprend cette activité avec un cours de dessin d'art industriel et composition décorative à l'École Guérin de la rue Vavin de 1890 à 1903. Puis il enseigne à l'École d’Art graphique de la rue Madame de 1903 à 1904, et enchaîne avec des cours à l'Académie de la Grande Chaumière de 1904 à 1913. Ensuite, il donne un cours d'histoire et de dessin de la lettre à l'École Estienne jusqu'à sa mort. (source : Wikipédia).

(***) Il pourrai s'agir de Félix Gaudin (1851-1930), artisan verrier "vitrailleur".



Coll. B. H.-R., acquisition juin 2015
auprès de la Librairie Trois Plumes
(Benoît Galland Libraire)

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