lundi 27 octobre 2014

Envoi autographe d'Octave Uzanne à la comédienne Marguerite Moreno (1871-1948). "à Mlle Marguerite Moreno. En souvenir. Octave Uzanne." (1897-1898)



Envoi autographe d'Octave Uzanne
Coll. privée
Voici un envoi autographe d'Octave Uzanne à la comédienne Marguerite Moreno : "à Mlle Marguerite Moreno. En souvenir. Octave Uzanne." sur un exemplaire de "Les Modes de Paris, Variations du goût et de l'esthétique de la femme, 1797-1897. ". Volume in-4 richement illustré de 100 planches en couleurs par François Courboin, achevé d'imprimer le 8 octobre 1897, et portant la mention au crayon rouge "offert" de la main même d'Octave Uzanne. L'exemplaire initialement offert broché, a été relié ultérieurement en demi-basane, probablement vers 1930 ou 1940 (la reliure est sans intérêt).
Cet envoi par Octave Uzanne est l'occasion de remettre en lumière les débuts de la carrière de cette comédienne connue pour avoir été la muse des poètes symbolistes pendant les années 1890 à 1900. Octave Uzanne se souvient d'elle à la fin de cette année 1897 ... elle a tout juste 26 ans. Maîtresse de Catulle-Mendès, elle épousera Marcel Schwob le 12 septembre 1900 alors en Angleterre. Marcel Schwob (qui est à cette même époque en relation avec Octave Uzanne) meurt à l'âge de 37 ans en 1905. Elle épouse l'acteur Jean Daragon en 1908. Elle participera à l'épopée du cinéma muet puis parlant. Elle meurt le 14 juillet 1948 à l'âge de 77 ans. Octave Uzanne et son frère Joseph, alors Directeur des Albums Mariani, furent sans doute assez proche d'elle à cette époque (entre 1894 et 1897, et peut-être sans doute encore après). Cet envoi autographe d'Octave Uzanne à Marguerite Moreno est le premier que nous publions de cette sorte : c'est le premier envoi autographe d'Octave Uzanne à une femme dont nous avons fait l'acquisition cette année.


Bertrand Hugonnard-Roche




MADEMOISELLE MORENO (*)


Marguerite Moreno en 1895 (24 ans)
Album Mariani
A l'heure actuelle une biographie de Mlle MORENO ne peut être qu'un mémento, une suite de notes pour demain. Quand la jeune artiste sera une des gloires de notre théâtre (il ne faut pas être bien profond devin pour parler de la sorte) on ne sera pas fâché de trouver dans un des bons coins de notre Album un petit croquis de jeunesse, couleur d'aube, fleuri d'espoirs. Espoir n'est pas le mot propre, car déjà il y a mieux que des promesses : de belles et claires réalisations.
Avez-vous assisté à une représentation du Voile, de Rodenbach, à la Comédie-Française ? Une telle soirée est indispensable à qui veut juger Mlle MORENO. Bien plus, cette unique audition suffit comme base à une opinion. L'artiste s'y affirme en pleine possession de son talent, fait de douceur, de profonde intelligence, de charme très pénétrant. Quels que soient ses succès à venir, elle restera toujours Soeur Gudule, la très délicieuse et la très troublante béguine, dont la robe sombre était comme illuminée par le visage au pur profil de médaille et par ces longues mains comme les géniaux primitifs en donnaient aux madones en prières. Ah ! les beaux gestes lents de ces mains qui semblaient planer doucement déjà loin de la terre ! Ah ! cette démarche de cloîtrée silencieuse, glissant vers le silence absolu ! Et combien femme cependant encore, avec sa gerbe de chrysanthèmes dans les bras ! Mais il faut être à la fois critique et poète pour parler congrûment d'une telle personne. Nous allons donc laisser la parole à Catulle Mendès, - personne ne s'en plaindra. La page qu'il lui a consacrée dit fort justement et en termes précieux toute la carrière de la jolie comédienne. Nous ne bifferons même pas les passages désagréables, car ils sont le garant de la loyauté du critique. "Un sort un peu bizarre, celui de cette toute jeune artiste. Après de prodigieux succès au Conservatoire, elle débute à la Comédie-Française, sans aucun éclat. Certes, on ne peut méconnaître ses adorables dons naturels, l'art inné des délicates attitudes, la singularité frêle du geste, souvenirs d'anciens tableaux, et sa voix, l'une des plus douces, avec des notes graves, l'une des plus nettes, avec des langueurs tendres, l'une des plus dociles au rythme poétique qu'il soit possible d'entendre. Mais, bien que le rôle de la Reine de Ruy-Blas semblât fait comme tout exprès pour elle, elle y fut à peu près médiocre et mérita son insuccès. Trouble des premières soirées devant le grand public ? Nombre insuffisant des répétitions ? Bousculade de bons conseils, trop peu souvent donnés pour qu'ils produisent leurs effets, assez insistants pour empêcher de se manifester la personnalité nouvelle de l'artiste ? Je ne sais. Un four. Les espérances se détournèrent de Mlle MORENO. Peut-être elle-même espérait-elle plus. Et beaucoup de mois se passèrent inutiles. On ne savait même plus si elle était encore à la Comédie-Française. Un poète la voulut pour sa Bertrade, dans Grisélidis. Pas plus d'une centaine de vers, je pense. De chaque vers elle fit un chant. On la trouva tout à coup telle qu'on l'avait espérée. Puis elle joua la Junie de Britannicus. Elle y fut toute la pudeur, toute la grâce émue et tout le frissonnant effarement de l'amour virginal ! Elle eut l'honneur de doubler, dans Grisélidis, l'incomparable Bartet. Elle se montra digne de la confiance qu'on avait eue en elle. Un grand bonheur lui advint. Grâce à la volonté persistante de M. Georges Rodenbach, le rôle de la Soeur Gudule, dans le Voile, lui fut maintenu ; et voici qu'elle fut tout à fait elle-même. On se souvient de cet unanime succès. Quiconque n'a pas entendu Mlle MORENO dire, d'une voix si lointaine, les vers exquis du poète du silence et ne l'a pas vue bercer mélancoliquement, comme un petit enfant parfumé, le bouquet de jeunes fleurs qu'elle n'a pas, pure nonne, le droit de trop étreindre, ne sait pas ce qu'une comédienne peut mettre d'enchantement dans la mélodie du vers et d'infinie pureté dans la résignation du geste. Mais, quoi ! cette jeune femme, qui voisinait volontiers avec les poètes, - on peut avoir de plus mauvaises connaissances, - avait appris d'eux, peut-être, l'air de sa chanson tendre ? On l'attendait dans quelque prose moderne, dans un rôle pratique pour ainsi dire. Grâce à l'intérêt que M. Jules Clarétie n'a jamais cessé de lui témoigner, elle obtint le rôle de Lucy Watson, dans le Monde où l'on s'ennuie. Elle n'eut pas la prétention d'y faire oublier sa parfaite devancière (Mlle Emilie Broisat), mais elle y fut amusante, subtile, et, chose imprévue, adroite. Peste ! cela commençait à compter ! Et ce soir (il s'agit de la représentation d'adieu de Mlle Broisat, et Mlle MORENO y dit un poème de Victor Hugo), Mlle MORENO a si mélodiquement chanté, et si ardemment aussi, les vers sacrés du Maître des Maîtres, que vraiment, cela comptait tout à fait. Voici que cette jeune artiste, de qui on espéra tant, de qui on espéra moins, justifie, définitivement, nos premières espérances."
Qu'ajouter à cette belle et complète analyse de la carrière de Mlle MORENO, de 1891 à 1895, sinon qu'elle est une des muses que les jeunes poètes rêvent pour interprètes ? De taille moyenne, mince mais pas maigre, de cette sveltesse pleine de secrets charmants que recèlent les robes droites des cloîtrées, les plus beaux cheveux roux qu'on puisse imaginer, des mains qui sont des poèmes, des yeux de caresses, des lèvres spirituelles, et, derrière le front très pur, des idées et pas des communes ... Voilà Mlle MORENO telle qu'elle est aujourd'hui, à peine embarquée pour la gloire et pour notre jouissance. Que souffle le bon vent et il y aura de belles heures à passer à la Comédie, les soirs de poésie.

[Joseph UZANNE]

Mlle MORENO (Marguerite MONCEAU, dite), née à Paris le 13 septembre 1871, d'une mère espagnole et d'un père très voisin aussi des Pyrénées. Deuxième prix de tragédie et de comédie en 1889 ; premier prix de comédie et premier prix de tragédie en 1890 au Conservatoire (classe de M. Worms). Débute à la Comédie-Française le 26 septembre 1890, dans la Reine de Ruy-Blas. Voici, pour les curieux qui aiment l'exactitude, quelques dates, jours où Mlle MORENO prit pour la première fois les rôles qu'elle garde aujourd'hui : 15 mai 1891, Bertrade de Grisélidis (création), le 15 juillet suivant joue le rôle de Grisélidis après Bartet. - 22 août, Dona Sol d'Hernani. - 27 avril 1892, Bianca de Par le Glaive. - 28 avril, Zacharie d'Athalie. - 7 juillet, Orsola de Par le Glaive. - 16 août 1893, Junie de Britannicus, où elle est exquise. - 26 août, Armande, des Femmes savantes. - 21 décembre, Phénice, de Bérénice. - 21 mai 1894, Soeur Gudule du Voile (création). - Joue encore Julie d'Horace, et a succédé à Mlle Emilie Broisat dans le rôle de l'Anglaise du Monde où l'on s'ennuie.

[Joseph UZANNE]

La notice de l'Album Mariani est illustrée d'un portrait de Marguerite MORENO gravé par Adolphe Lalauze (profil tourné vers la droite). Ce portrait est accompagné de l'autographe suivant de la comédienne : "On a dit tant de belles choses sur le vin de Coca Mariani qu'il ne me reste rien à trouver. Je me bornerai à joindre ma voix à ce concert d'éloges. M. Moreno"

(*) Cette notice a été publiée dans le deuxième Album Mariani (Paris, H. Floury, 1896). Bien que non signées, les notices des Album Mariani sont de Joseph Uzanne (1850-1937), frère cadet d'Octave. Nous savons, par la correspondance inédite sur laquelle nous travaillons actuellement, qu'Octave Uzanne a parfois aidé son frère dans la rédaction de ces biographies (c'est peut-être le cas ici). Armand Silvestre, le préfacier de cet album, est, lui aussi, tombé sous la charme de la jeune comédienne. Hiératique, avec un profil de Boticelli, écrit-il, le nez long et droit qui dit la race, les yeux vifs et le sourire énigmatique où se devinent la sensibilité et l'esprit, voici Mlle MORENO : et j'entends, rien qu'à la regarder, comme on respire une fleur même avant de l'avoir vue, les vers tomber de ses lèvres en belles perles sonores, comme d'une rose qui secoue des gouttes de rosée ; car elle a la seule voix qu'on puisse comparer à celle de Sarah Bernhardt et elle est, déjà, à la Comédie-Française, la glorieuse interprète des poètes. Nul de l'a oubliée ni dans Grisélidis, ni dans le Voile. Ceux qui ont l'honneur d'avoir causé souvent avec elle savent combien son esprit est délicieusement imprévu et primesautier.

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