mercredi 4 mars 2020

Critique littéraire du mois par Octave Uzanne : Le Boul' Mich', par JOSEPH CARAGUEL (1884). Le Livre, Bibliographie moderne, Critique littéraire du mois, livraison n°49 du 10 janvier 1884.


Le Boul' Mich', par JOSEPH CARAGUEL (*). Paris, P. Ollendorff. 1 vol. in.-18. Prix: 3 fr. 5o.

Les profanes qui ne sont pas « à la coule » de l'argot du quartier Latin mis à la portée des révolutions du jour, comme dit Lorédan Larcher, n'ont qu'à ne pas ouvrir ce livre. Ils n'y verraient goutte. Le Boul' Mich' c'est le boulevard Saint-Michel et ses dépendances, c'est le pays des brasseries à femmes comme le « bourg Germain » est la contrée des grands et nobles hôtels. Beaucoup d'esprit dans ce roman, beaucoup de verve et d'originalité. L'auteur n'est certainement pas le premier venu. Il a ce tempérament spécial qui fait reconnaître de suite une personnalité ; c'est un jeune d'avenir à coup sûr. Mais à ce titre il mérite moins d'indulgence qu'un faiblard, et nous ne saurions trop passer sous ses yeux le miroir assommant de la vérité. Ce roman naturaliste et argotique est essentiellement forcé comme note. M. Joseph Caraguel s'y montre disciple de Zola et de Goncourt, et c'est là son tort. Il n'est pas assez lui, il s'époumone à « gueuler » alors qu'on sent qu'il saurait se passer des ficelles réalistes pour faire mouvoir son monde de filles et de caboulotiers. Il y a en lui un précieux, un raffiné qui se complairaient, se développeraient à merveille dans une atmosphère moins canaille et dans un style de meilleure compagnie. S'il y avait affinité littéraire, M. Caraguel pourrait comparer la filiation de sa manière avec celle- de J.-K. Huysmans. L'auteur des Sœurs Vatard non plus que l'auteur du Boul' Mich' ne sont naturalistes. Ce sont des paons diaprés qui jouent à la pie. Ils sont, dans le fond, très quintesséncés, très psychologues, très fins, et n'ont pas besoin de marcher dans les souliers d'autrui. Nous retrouverons M. Caraguel dans un livre plus pondéré. Pour aujourd'hui, félicitons-le sincèrement de son début. Ses types de Tralala, de Tatave Salvy, de Sartignac et de Floflo sont réussis au possible, bien que très photographiés ainsi que le quartier. Il y a trop de vadrouille dans toutes ces pages ; la plume de l'auteur se complaît à cracher ce vilain mot. Il y revient à chaque ligne. Allons, jeune hirsute, débarbouillez votre encrier ; soyez moins moderne si vous voulez, plus humain si vous pouvez, et maintenant franchissez les ponts si vous tenez à être lu ailleurs qu'au Boul' Mich'.

O. U. (Octave Uzanne)

Le Livre, Bibliographie moderne,
Critique littéraire du mois,
livraison n°49 du 10 janvier 1884

(*) Joseph Caraguel (1855- ?), auteur selon la fiche Data Bnf de : La raison passionnée (1896) ; La Fumée, puis la flamme (1895) ; 1895 Les Barthozouls (1887) ; Le Boul'-Mich (1884) ; M. Mistral et le Félibrige (1884).

Bertrand Hugonnard-Roche
Pour évocation conforme

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

LinkWithin

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...