lundi 7 juillet 2014

Octave Uzanne médecin malgré lui ... Hommage aux Microbes (Echo de Paris du 7 juillet 1901)


Bacilles pathogènes ? ou non ...
Le texte ci-dessous est à remettre dans le contexte hypocondriaque d'Octave Uzanne. Octave Uzanne était-il hypocondriaque ? On peut le dire à la lecture de nombreux articles et textes consacré aux maladies, aux traitements médicaux, etc. Neurasthénique auto-proclamé (d'après la Correspondance inédite d'Octave Uzanne avec son frère Joseph, 1905-1910, en cours de publication), il n'a de cesse de fouiller dans les maladies psycho-somatiques, maladies du transit et autres pathologies grastro-psychologiques.
On peut donc lire ci-dessous, un intéressant exemple de mise accusation du système de Pasteur et de la stérilisation à outrance. Avec plus d'un siècle de recul, on peut dire aujourd'hui qu'Octave Uzanne, médecin improvisé, s'en sort plutôt assez bien pour défendre les bons bacilles qu'on extermine alors sans vergogne.

Sur un sujet connexe on peut lire également : Le droit de guérir (1902).




VÉRITÉS DE DEMAIN
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Hommage aux Microbes
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Comme je remontais l'avenue des Champs-Elysées, ces derniers jours de juin, je crus apercevoir l'ombre de mon condisciple Marcel Beauvillain (*), le bactériophobe excessif et apôtre de l’aseptie à outrance, dont je décrivais ici, il y a quelques mois, l'affolant logis prophylactique et les larbins en livrée salolée (**).
Était-ce bien Beauvillain ? Était-ce l'élégant quadragénaire toujours rigide et soigneux de sa personne ? Je pouvais en douter. L'homme qui marchait devant moi, affalé au bras d'un valet, vieilli, cassé, traînant la jambe, la tête pendante, le dos voûté, semblait être la sénile caricature du camarade retrouvé l'hiver dernier si solide et si sain. Son aspect déprimé, sa démarche ataxique, la lassitude qui aveulissait toute sa charpente étaient pénibles et douloureux à voir. Je hâtai le pas pour juger du profil de cette loque ambulante ; je reconnus nettement Beauvillain. Alors, mû par cette curiosité vaguement égoïste qui nous pousse à rechercher les origines des individuelles démolitions humaines, brusquement j'abordai mon Labadens de Rollin.
- "Tiens, mon vieux Marcel, quel hasard ! Comment va ?"
Il releva la tête et je vis son regard fébrile me dévisager, palpiter inquiet, tandis que ses lèvres, dans un troublant effort de mogitalisme balbutiaient :
- "Tu vois, cher ami ..., pas brillant ; très malade ..., sais pas quoi, mais grignoté par quelque chose inconnu, mystérieux !"
Il s'était arrêté, comme exténué et poussif ; le valet l'aida à s'asseoir et, près des massifs du Grand-Palais, au milieu des bruits continus de la vie hâtive et roulante, nous établîmes notre petite parlotte.

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* *

- Pauvre vieux ! Et quand ça t'a-t-il pris ?
- Oh ! il y a quatre mois environ ... peu après le jour où tu vins déjeuner avec moi, pour me blaguer ; ... te souviens ? D'abord dyspepsie, hypochlorhydrie, troubles sensitifs, névrose motrice ... Ah ! bien mal, je  t'assure ; fatigue, ah ! intense, intense !
- Et tu as vu des médecins ?
Il sourit avec amertume et découragement ; - Des médecins ! si j'en ai vu ! quarante, cinquante ; français, étrangers, de toutes Facultés, célébrités, charlatans, hypnotiseurs, électriciens, somnambules ... j'ai tout consulté.
- Et que t'ont-ils dit ?
- Des mots, des mots : ... Dégénérescence cellulaire ; dénutrition ; artériosclérose, désordres du grand sympathique, ... Savent pas, tu comprends. M'ont fait avaler des cantines de drogues ; hydrothérapie, bains statiques, suggestions, vapeur, photothérapie, tout essayé, tout fait avec docilité. Résultat, aucun ; tu vois. Suis arrivé à la méthode du renoncement, me laisser aller sans plus rien faire ; fini, fini, me sens fini.
Le pauvre diable parlait lentement avec une lassitude visible, ses grands yeux caves étaient lubrifiés de larmes timides et contenues.
- Voyons, voyons, insistai-je, ne désespère point. Est-ce concevable ce mal étrange qui s'abat sur toi dont la vie était précisément un modèle d'ordre, de quiétude cherchée, de salubrité voulue, de rigoureuse antiseptie et qui croyais avoir créé la maison-type de la pasteurisation ? car tu fus bien le plus féroce bourgeois microbicide de notre temps, et tu semblais devoir braver les intoxications bactériennes. Tu sais que je me moquais de ton absolutisme dans cette voie de l'aseptie ... Es-tu bien sûr de n'avoir pas été trop loin ?
Beauvillain me regarda perplexe, semblant se demander si mon ironie n'était pas en jeu et s'il pouvait se confesser en toute assurance à propos du point d'interrogation que je venais d'émettre. Rassuré sans doute, il me fit confidence de ses craintes :
- Ah ! si, mon ami, je redoute sincèrement, sérieusement, d'avoir été trop loin dans mes méthodes prophylactiques. Je me suis souvent rappelé la sortie que tu fis chez moi à ce sujet, alors que tu affirmais que la vie animale par l'infiniment petit, la vie fécondée par les ferments de l'organisme, pouvait s'éteindre ou s'atrophier dans un milieu nettement purgé de microbes et stérilisé avec excès. Oui, je t'avoue mes doutes ; le corps humain, disais-tu, est un champ de bataille grandiose où l'énergie de l'individu doit triompher des quotidiennes mêlées. La santé est un chant de victoire qui n'est éclatant et réjouissant que parce qu'il y a eu lutte et conquête. J'ai cru qu'on pouvait assurer la vigueur, la verdeur et la validité en supprimant sommairement les éléments qu'on estime offensifs ; je me suis trompé. Peut-être le mal dont je meurs est-il ce mal inconnu encore que tu baptisais drôlement du nom d'abacillie ou défaut de bactéries et d'infusoires. Croirais-tu cependant que je n'ose encore me priver de mes étuves, de mes filtres et autres stérilisateurs ? Je continue l'aseptie absolue ; - et, voulant faire un mot, Marcel conclut, tandis qu'un vague rire éclairait son visage : "Dis, suis-je assez abacille !"

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* *

- Enfin ! tu approches de la Lumière et de la Vérité, mon brave ami, crai-je à Beauvillain, tu es comme tant d'autres malades, désignés neurasthéniques, la victime de cette peur des microbes pathogènes qui fait plus de ravages que les toxines même qu'on veut éviter. Ton malaise vient d'avoir redouté de boire largement la vie en pleine ébullition, de la filtrer. Tu fus le gardien jaloux de tes organes internes et tu les stérilisas comme des eunuques. Rien en toi n'est plus fécondé parce que tu as injustement arrêté toutes les fermentations, supprimé tous les éléments de désagrégation, de dissolution nécessaires pour activer l'action gastrique et diviser les déchets du chyle assimilable.
"Les savants de l'Institut Pasteur, en nous mettant en garde contre le pneumocoque, le streptocoque, le staphylocoque, le bacille pyocianique et les infusoires de la diphtérie, du charbon, du tétanos, etc., ne se sont pas suffisamment avisés que, pour détruire ces microbes menaçants, auxquels d'ailleurs, résistent un nombre infini d'humains, il fallait mettre à néant une quantité d'honnêtes agents animés dont le rôle est salutaire et même indispensable à l'équilibre de nos bonnes fonctions organiques. Les médecins, les pharmaciens, les inventeurs et industriels de toute sorte, les possesseurs d'eaux minérales de table, les parfumeurs même exploitèrent à qui mieux mieux cette peur du microbe et l'aseptie à outrance exerça un rôle néfaste dont on n'apprécie pas encore toute l'étendue. A côté du bien que fit Jenner, par l'inoculation de la vaccine, on constate à peine encore aujourd'hui les maux que son invention, parfois mal appliquée, causa en transmettant la tuberculose, la syphilis et nombre d'autres maladies constitutionnelles. On jugera plus tard sainement les folies commises actuellement, au nom de l'antiseptie ou de la stérilisation pastorienne. L'excès de zèle des morticoles paraîtra folâtre à distance ...
Ce qu'on rira de nous un jour !
- Et quel est, selon toi, l'avenir de cette méthode de Pasteur ? interrogea Marcel.
- Oh ! bien simple mon cher ; les lois qui condamnent encore en bloc les associations microbiennes seront abolies. On fera des réserves pour quantité de bacilles dont on aura démontré et apprécié les rôles bienfaisants, l'utilité absolue, l'activité nécessaire dans notre organisme. Les bons microbes étudiés, analysés, expliqués, biographiés et microscopo-photographiés seront cultivés, recherchés, emmagasinés avec soin et vendus comme des agents précieux de notre santé, - les probes bacilles empilulés nous seront détaillés au lieu et place des terribles drastiques chimiques qui ravagent nos estomacs ; ils viendront au secours de nos digestions laborieuses, de nos fièvres, de nos dénutritions, et l'humanité, qui leur devra beaucoup, écrira avec compassion l'histoire de nos erreurs actuelles et songera avec pitié au massacre des Innocents dont nous donnons aujourd'hui l'exemple, car nous stérilisons sans doute vingt excellents agents de vie pour un méchant criminel pathogène contre lequel notre tempérament saurait peut-être se défendre efficacement.
- Tu es peut-être un prophète, dit Marcel Beauvillain, et je serais volontiers croyant.
- Un prophète, non, mon cher, mais, à travers les mensonges du jour, j'aime à rechercher les vérités du lendemain, celles qui, peut-être, te sauveraient si tu consentais vraiment à devenir mon disciple et à envoyer promener ton aseptie inexorable et parfaitement homicide.


OCTAVE UZANNE
Echo de Paris du 7 juillet 1901


(*) Marcel Beauvillain ?? On ne trouve personne de ce nom qui aurait pu produire quelque écrit sur le sujet de l’antisepsie ou de l'asepsie ? Pas plus qu'on ne trouve ce nom parmi les personnes connues au début du XXe siècle, que ce soit dans le milieu des lettres ou ailleurs. Marcel Beauvillain exista-t-il vraiment ou n'est-il qu'une invention, un modèle théorique conçu par Octave Uzanne pour mettre en scène sa tirade anti Pasteurienne ? Nous ne savons pas. 

(**) le Salol est le nom donné à l'Ester salicylique du phénol, qui a été utilisé comme antiseptique des voies urinaires et intestinales à la fin du XIXe siècle.

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