Le présent article nous avait échappé lorsque nous avions publié la série de trois articles consacrés aux outrages par l'image et à la pornographie ambiante dénoncée avec virulence par Octave Uzanne dans les colonnes de l'Echo de Paris entre le 20 novembre et le 25 décembre 1902. Ce n'est donc pas trois chroniques qu'il fallait compter mais quatre ! Celle-ci s'insère à la date du jeudi 27 novembre 1902 et poursuit le combat engagé contre la pornographie de la rue par l'image dans la presse et le livre. C'est donc Octave Uzanne Père la Pudeur que nous retrouvons ici. Les autres articles de cette série sont à lire ICI.
Bertrand Hugonnard-Roche
LES OUTRAGES PAR L'IMAGE
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Du Balai ! du Balai !
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Les publications des images de lèse-pudeur, des gravures d'excitations perverses ou des répulsifs dessins de corruption, qui font de Paris et de la France comme un écœurant dépotoir d'immondices, provoquent chez les braves gens de notre nation - nous sommes heureux de la constater - une instinctive nausée, qui souvent s'affirme par un infamant vomissement sur nos excessives licences.
Notre récent article était un appel à la protection de l'enfance, à une décisive et énergique sédition des pères et mères de famille depuis trop longtemps outragés par les attentats à la candeur, à l'ingénuité, à la santé morale de leur "couvée". Cet article nous apporte, pour notre joie et réconfort, d'innombrables témoignages que le mal est devenu, dès maintenant, sensible à tous les degrés de la conscience publique. Nous considérons donc que le devoir nous incombe de sonner, une fois encore, la cloche d'alarme avec toute la vigueur et la persistante indépendance qui sont dans nos moyens.
Tous ceux qui aiment profondément et sincèrement notre pays doivent nous seconder dans notre tâche. Or, puisque, pour arrêter ce développement de mercantile immoralité, aucune sanction ne vient des pouvoirs, puisque les Parquets ne reçoivent point d'ordres, soit pour arrêter ce répugnant flux d'ordures, soit pour canaliser dans l'ombre et en éviter le débordement et l'étalage extérieur, il convient que tous ceux qui peuvent s'honorer de tenir une plume au service de l'intérêt commun ou d'occuper une tribune plus ou moins retentissante pour y vulgariser des réformes fassent un énergique effort de protestation et invitent toute la partie saine de la population à une nécessaire et hygiénique révolte.
Il est inadmissible qu'il ne se produise pas bientôt une violente pression, une "poussée de chasse", comme une grande marée d'indignation qui nous vienne débarrasser et purger de ces amas de fumier qui nous souillent et nous dégradent. Dans cette chère France où nos actuels gouvernants semblent prendre plaisir à développer les virus de l'obscénité ou les infections purulentes, ignominieuses et diffuses, les bons citoyens, soucieux de la propreté du milieu où ils évoluent, sont encore, nous aimons à le croire, en assez grande majorité pour constituer une sorte de Comité de salut public ou d'Analeptie, qui, en dehors de tout parti, de toute politique, de toute opinion, ne s'appliquerait qu'à la sauvegarde de la santé et des forces nationales. Nous ne pouvons vraiment pas courir ainsi, de gaieté de coeur, vers le cataclysme, qui, à plus ou moins brève échéance, pour peu que persiste ce pitoyable état de choses, fera de notre pays une nation de pervertis, de dégénérés, d'avariés, quelque chose comme un hôpital de malades honteux.
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On doit s'étonner de la coupable indifférence, sinon de l'inconcevable complaisance qui, jusqu'ici, protégea le commerce de la pire pornographie. tandis qu'on s'occupait en tous hauts lieux de la "Traite des Blanches", si difficile à atteindre et à refréner, personne chez nous ne s'inquiétait de la corruption générale par l'image, qui est un mal plus immédiat, plus perturbateur, et qui, non seulement entache profondément le bon renom de la France, mais encore pervertit journellement et progressivement toute la jeunesse contemporaine.
Cette démoralisation constante, favorisée par la complicité du gouvernement, pourrait cependant être arrêtée avec rigueur, du jour au lendemain, et, par là même, stérilisée pour longtemps. Des lois et ordonnances existent, il ne s'agit que de les mettre en exécution. La répression ne saurait être trop violente, car il ne conviendrait point de s'inquiéter d'observer des nuances, ni de rechercher divers degrés de culpabilité. La rafle doit être largement pratiquée. La licence est partout, peut-être encore davantage dans les intentions dégradantes des déshabillés que dans les complètes nudités, toujours ici peu académiques et sans art aucun. Le temps est venu de nous émonder de toutes ces petites feuilles scandaleuses, sordides, qui pullulent et se multiplient comme des parasites aux prurits déshonorants, et qui sont les actifs infusoires de notre décomposition organique.
On peut aisément reconnaître que les instincts de libertinage se développent actuellement en proportion de l'aliment qui leur est offert en toxique pâtée, puisque la création de chaque nouvelle publication impure recueille d'inquiétants succès d'acheteurs qui ne font que surexciter encore l'infernale concurrence. Chaque semaine, chaque jour, chaque heure qui s'écoule augmente le nombre de ces petits journaux obscènes qui, graduellement, témoignent de plus d'audace dans l'ordure et de plus de crânerie dans la turpitude. Les derniers venus nous ont fait passer le seuil des maisons de rendez-vous et pénétrer dans des lieux de tolérance afin de nous exhiber des scènes de la plus basse érotographie. La curiosité sur les mystères des sérails de Paris doit être aujourd'hui en partie satisfaite. Que sera-ce demain ? Après la Vénus pour tous, ne verrons-nous point apparaître l'Androgyne anti-physique ou le Giton infâme des bouges heureusement jusqu'ici irrévélés ?
Devant les étalages sans cesse renouvelés d'images licencieuses soulignées de légendes d'un caractère qui n'a rien de cryptographique, on voit avec tristesse stationner longuement des enfants des deux sexes, des jeunes gens et des jeunes filles de toutes conditions qui semblent y prendre un vif intérêt et un sensible plaisir et qui, hélas ! pour contempler toutes ces dégoûtantes effigies de débauches complaisamment étalées à tous regards, n'ont point besoin de faire débours de la plus modique somme. La consommation est gratuite ; jamais le mot à l’œil n'a été d'une plus affligeante signification.
On ne nous fera jamais croire que de telles exhibitions soient sans influence sur les mœurs et sur la santé physique et morale de la jeune génération. Tous ceux qui fréquentent les pépinières de nos contingents futurs ont pu reconnaître déjà, à de nombreux témoignages de paroles, de gestes ou d'actions, les effets lamentables de la contagion qui exerce encore de si constants ravages.
Cette pornographie épidémique nous étreint sous toutes les formes par l'image, par le livre, par les catalogues de réclame, par les prospectus spéciaux ad hominem et même par l'étalage de certains marchands qui favorisent, par l'offre pratique, les théories de Malthus. Elle est, cette pornographie, si puissante et si insinuante qu'elle assiège nos demeures, à tel point qu'il faut veiller sur les imprimés qui y arrivent de peur que quelque obscénité ne s'y soit glissée qui puisse contaminer les esprits mineurs de la maison. - Pourquoi mon Dieu ! pourquoi avoir tant blagué l'excellent M. Bérenger qui, le premier, eut le courage, la force et la noblesse de se dresser de toute son austérité contre le fléau ? Ne sommes-nous pas tous plus ou moins coupables de complicité dans l'ironie qui anéantît ou submergea en partie les vaillants efforts du Père la Pudeur ?
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Puisqu'on ne sévit pas contre ces scandaleuses illustrations qui constituent de permanents et durables attentats à la pudeur, de quel droit arrête-t-on et punit-on un citoyen coupable d'un geste luxurieux ou d'une démonstration trop évidemment passionnelle faite en public ? Le geste déshonnête est en réalité un fait unique et momentané qui ne franchit pas le temps et le lieu. Les publications des images licencieuses sont infiniment plus répréhensibles, plus corruptrices, plus attentatoires à la morale publique ; elles subsistent, elles passent de mains en mains, elles souillent toutes les visions qui entrent en contact avec elles ; de plus, elles oblitèrent la notion du bien et du mal dans les vacillantes intelligences populaires où elles vulgarisent et consacrent le vice en le faisant transparaître comme normal, officiellement toléré et mis à la portée de toutes les convoitises aussi bien que de toutes les bonnes volontés.
Soyons sûrs que si la criminalité dépasse actuellement chez nous tout ce que l'histoire a pu enregistrer jusqu'à ce jour et si l'étiage des forfaits des filles, des souteneurs, des déséquilibrés et amoraux s'élève si fort au-dessus de ceux qui sont constatés à l'étranger, c'est que cette criminalité a poussé ses racines profondes dans l'ignoble et excrémentiel humus déposé depuis trop longtemps dans les bas-fonds de nos mœurs par la pornographie contemporaine.
Tous les bons Français doivent dorénavant entrer en campagne afin de protéger leur descendance, d'éviter la contamination des sources de l'enfance, d'assurer l'intégrité intellectuelle et morale des vierges et de préserver notre malheureux pays d'une catastrophe qui serait comme une irrémédiable glissade à l'égout des déliquescences finales.
L'heure n'est plus de plaisanter, de sourire, de traiter sans conséquence ces écœurantes pornographies que l'on considérait naguère comme des "cochonneries" aimables. Le mal est déjà invétéré et profond. Puisque l'on expurge les textes de la plupart des livres que l'on donne aux écoliers, puisque l'on interdit aux citoyens de sortir en chemise et qu'on coffre les filles galantes qui ont la provocation trop démonstrative, il faut de la logique, de l'impitoyable logique, et sans plus tarder, de toutes parts, des pétitions doivent être faites aux conseils généraux et municipaux, aux parquets, aux préfets, aux députés, à tous ceux qui sont chargés d'enregistrer les mouvements de l'opinion et d'agir conformément aux vœux de la population.
Il nous reste également à souhaiter que tous nos confrères de la grande et petite presse de Paris et des départements se joignent à nous pour s'efforcer de hâter le remède à un mal dont s'affligent à bon droit les citoyens les moins pudibonds.
Nous ne pouvons tolérer davantage pour nous, pour nos femmes, nos fils et nos filles, l'envahissement des ordures qui progressent à tel point que la France finirait bientôt par être mise en interdit comme un pays d'où toute bienséance, moralité et respect ont été exclus. En conséquence, de toutes parts, qui que nous soyons, réveillons-nous, protégeons-nous, débarrassons-nous des immondices pornographique, et, d'un même élan fraternel, préparons-nous à donner le vigoureux coup de tampon et de houssage qui nous doit assainir.
Tous au balai ! et allons-y brutalement, comme il faut, en dépit de la police et du gouvernement. On a trop crié : Ecrasons l'Infâme ! Que notre cri à nous soit désormais : Chambardons l'Obscène !
OCTAVE UZANNE
Echo de Paris, jeudi 27 novembre 1902
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