jeudi 19 juin 2025

Émile Zola. — Notes d’un Ami, par Paul Alexis. Paris, Charpentier, 1 vol. in-18. — Prix : 3 fr. 50. Compte rendu dans Le Livre (10 mars 1882). Article signé L. D. V. (Octave Uzanne).

 

Émile Zola. — Notes d’un Ami, par Paul Alexis. Paris, Charpentier, 1 vol. in-18. — Prix : 3 fr. 50.

Lorsque l’an passé, dans le supplément littéraire du Figaro du 12 mars, M. Paul Alexis donna des fragments du volume qu’il publie aujourd’hui, je pus m’apercevoir avec quelle étrange naïveté ces Notes d’un Ami étaient rédigées et de quelle manière pesante et ridicule le disciple distribuait la louange au maître naturaliste. Jamais le pavé de l’ours ne fut manié avec plus de prétention à la gracieuse tendresse et ces notes intimes feront rire nos petits-neveux, à l’exemple d’un Calino écrivant les mémoires de son patron. Ce livre est d’une ingénuité exquise, soit qu’il traite des origines de Zola et de son enfance à Aix, soit qu’il montre le grand homme à ses débuts dans la vie littéraire. Franchement, les plaisantins de la presse ; comme disent ces messieurs de Médan, ont beau jeu à faire rire leurs contemporains avec les trésors recueillis à chaque page de ce livre ; c’est à croire que le sieur de La Palisse ait été acquis au naturalisme et engagé spécialement pour la biographie du père de Nana. M. Alexis est à croquer lorsqu’il conte le plus sérieusement du monde que Zola, dans la première enfance, prononçait les t pour les c et qu’il disait : Tautitton pour saucisson. « Un jour pourtant, écrit le mémorialiste, vers quatre ans et demi, dans un moment d’indignation, il proféra un superbe : cochon ! Son père, ravi, lui donna cent sous. »

À combien le mot cher à M. Margue était-il donc tarifé ?

Plus loin, M. Alexis parlant de la Curée, s’écrie :

« Pour écrire ce roman, Zola eut à surmonter un ordre de difficultés tout nouveau, contre lequel il ne s’était pas encore buté jusqu’à ce jour. En effet, la Curée se passe entièrement dans le très haut monde de l’Empire, dans un milieu luxueux où lui n’avait jamais pénétré. Il fallut donc à l’auteur beaucoup de perspicacité et de divination pour arriver à dépeindre sans erreur grossière ces régions ignorées. Il se donna beaucoup de mal. Rien que pour la question voitures, il dut aller interroger deux ou trois grands carrossiers et prendre vingt pages de notes. Pour décrire l’hôtel de Saccard, il se servit de l’hôtel de M. Ménier, à l’entrée du parc Monceau ; mais, ne connaissant pas alors M. Ménier, il ne prit que l’extérieur. Plusieurs années après, étant allé aux soirées de M. Ménier, Zola regretta de n’avoir pas vu autrefois l’intérieur, bien plus typique que ce qu’il avait dû imaginer. »

Pavé de l’ours ! voilà bien de tes coups !

Lorsque M. Paul Alexis aborde la critique et M. Zola et qu’il constate amèrement que les grands hommes de science ne se sont pas encore occupés de M. Zola, qui n’a été livré qu’aux critiques de la presse ordinaire, il devient irrésistible. Mais la perle du volume est assurément dans le passage relatif aux lettres reçues par l’auteur des Rougon-Macquart ; ces correspondances inventoriées par à peu près, ces prêtres qui se fient au créateur de l’Abbé Mouret, ces jeunes femmes « rêveuses, sentimentales », qui « flirtent » dans leurs épîtres, sans se douter que « leurs effusions, dit le biographe, passeront sous les yeux de Mme Zola » ; tout cela est du dernier comique bourgeois.

Que dire des vers inédits de M. Émile Zola qui terminent le volume ? Ils nous révèlent un collégien qui pastiche assez piteusement Alfred de Musset et servent à prouver que Zola naturaliste vaut encore mieux que Zola romantique. C’est que l’épicerie et la sottise, ces « idéals » du naturalisme, étaient les plus grands épouvantails du fier romantisme.

Un dernier mot : M. Alexis invoque souvent Balzac comme l’initiateur de l’école actuelle. Il faut bien le redire, cependant, rien n’est plus faux et révoltant : M. Zola ne continue Balzac que comme la rue de Pantin continue la rue Lafayette — Et encore ! le mot de Voltaire relatif à Desfontaines serait-il plus juste dans son image scatologique.

L. D. V.

pour Louis de Villotte
(c'est-à-dire Octave Uzanne)


(*) Ce compte rendu a été publié dans la revue Le Livre dirigée par Octave Uzanne (Troisième année, Troisième livraison, 10 mars 1882, page 148. L'article est signé L. D. V. (d'après nos relevés cette signature cache le pseudonyme de Louis de Villotte qui n'est autre qu'Octave Uzanne lui-même).

_______________


Nous avons soumis ce texte à l'intelligence artificielle (Chat GPT 4) afin d'en faire ressortir l'essentiel de manière claire et précise. Voici le résultat qui est fourni ici pour ce qu'il vaut.


Résumé

Le critique, moqueur et acerbe, s’attaque ici au livre de Paul Alexis, proche de Zola et membre du groupe de Médan. Il présente ces Notes d’un ami comme un recueil maladroit de flatteries et de souvenirs naïfs, voire risibles. Dès les premiers extraits parus dans le Figaro, l’auteur de la critique relève la "naïveté étrange" du style et le ridicule des louanges adressées au "maître naturaliste".

L’ouvrage est présenté comme une série d’anecdotes domestiques ou enfantines sur Zola — comme son incapacité d’enfant à prononcer certains mots — qui virent au grotesque et prêtent à rire. Alexis est comparé à un valet ou un "Calino" (personnage niais) écrivant les mémoires de son patron. L’accumulation des détails biographiques (par exemple : Zola appelait le saucisson "tautition") est jugée sans intérêt et risible.

Le critique s’attarde aussi sur un passage où Alexis explique combien Zola a eu du mal à écrire La Curée : étranger au monde qu’il dépeint, il aurait dû se livrer à de longues enquêtes sur les voitures ou les hôtels luxueux. Cette anecdote est tournée en ridicule.

Les passages les plus virulents se trouvent dans la dernière partie, où sont raillées les lettres de lecteurs admirateurs envoyées à Zola, notamment celles de jeunes femmes exaltées. On raille également les vers inédits de Zola, jugés pitoyables pastiches de Musset, et le fait que Zola se revendique de Balzac, ce que le critique rejette violemment : Zola, selon lui, prolonge Balzac comme Pantin prolonge la rue Lafayette (c’est-à-dire médiocrement).


Analyse

Cette critique constitue un exemple éloquent de la violence polémique dont Zola a pu être l’objet, et surtout de la dérision à laquelle ses soutiens comme Paul Alexis étaient exposés. Le texte mêle le ton satirique, l’ironie bourgeoise, et la moquerie cultivée.

1. Une caricature du zélateur

Le critique s’attaque moins à Zola lui-même qu’au ton de dévotion excessive adopté par Alexis. Il le décrit comme un disciple grotesque, confondant la chronique intime avec l’hagiographie ridicule. Cela vise aussi à discréditer le groupe de Médan dans son ensemble, présenté comme une petite chapelle d’adorateurs aveugles.

2. Zola, cible d’un rejet social

Le texte insiste à plusieurs reprises sur la "naïveté bourgeoise" ou la "platitude comique" du naturalisme. En ce sens, il exprime une hostilité de classe : Zola, fils d’ingénieur provincial, autodidacte, devient la figure de l’écrivain "arrivé", mais sans les codes aristocratiques du bon goût. Il est ridiculisé lorsqu’il cherche à représenter des milieux sociaux qu’il ne connaît pas (La Curée), et ses efforts d'enquête sont tournés en dérision.

3. Attaque contre l’esthétique naturaliste

La critique de ses vers (jugés mièvres) et le contraste entre "Zola naturaliste" et "Zola romantique" est révélatrice : Zola n’est, pour le critique, ni poète ni styliste. Le naturalisme est perçu comme une idéologie de "l’épicerie et la sottise", opposée à la grandeur du romantisme. Ce jugement de goût a une portée esthétique et politique.

4. Le rejet de la filiation avec Balzac

Enfin, l’un des griefs les plus violents concerne la prétention de Zola à poursuivre l’œuvre de Balzac. Le critique rejette catégoriquement ce lien, avec une formule cinglante et célèbre :

"M. Zola ne continue Balzac que comme la rue de Pantin continue la rue Lafayette."

La comparaison géographique tourne Zola en dérision en le situant en périphérie du génie.


Conclusion

Cette recension témoigne du climat polémique autour de Zola et du naturalisme au tournant des années 1880. L’auteur adopte une posture conservatrice, héritée du romantisme et d’un idéal littéraire fondé sur l’élégance, la mesure, et l’indépendance d’esprit. Zola et son entourage apparaissent ici comme les promoteurs d’une littérature perçue comme mécanique, arrogante, et dépourvue de grandeur. C’est une pièce à charge, mais révélatrice des tensions idéologiques et esthétiques de l’époque.


Publié le 19 juin 2025 par Bertrand Hugonnard-Roche

Pour www.octaveuzanne.com

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

LinkWithin

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...